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L’agro-écologie est-elle une réponse à l’essoufflement de l’agriculture traditionnelle ?

Illustrations d'Hugo Boutry sur l'agroécologie

Par Hugo Boutry (artiste) et Dimitri Touren (rédacteur)

L’agriculture est l’un des secteurs économiques qui a connu le plus de mutations au cours du dernier siècle. D’un modèle très majoritairement familial, le secteur s’est peu à peu industrialisé pour supporter la croissance de la population mondiale. Le 20ème siècle a ainsi vu l’émergence des fermes industrielles, de très grandes exploitations qui pratiquent le plus souvent la monoculture (c’est-à-dire qu’elle n’exploite qu’une seule espèce, en général de céréale, de manière intensive) et ont une activité tournée vers l’exportation, avec une réduction de la main d’œuvre par hectare en grande partie due à la mécanisation de la profession. C’est un secteur qui s’est également très largement financiarisé et mondialisé.

Comme pour les autres secteurs industriels, ce sont la rentabilité et la compétitivité qui priment. Si un principe économique gouvernait seul l’industrie alimentaire mondiale aujourd’hui, ce serait celui de l’avantage comparatif de Ricardo : chaque pays, chaque région, devant se spécialiser sur un savoir-faire où elle possède un avantage comparatif afin de maximiser sa production et ses revenus1. Si ces évolutions prennent racine en Occident et principalement en Amérique du Nord, elles se sont depuis répandues à la quasi-totalité du globe sous l’impulsion de la Green Revolution2 dans les années 1970, puis de la libéralisation menée sous l’égide de l’OMC3 (Organisation mondiale du commerce) à partir des années 1980-90,  avec un succès mitigé.

D’après le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publié en 2014, l’utilisation des sols (sous l’appellation « AFAT » pour agriculture, foresterie et autres affectations des terres) contribue à 24% des émissions de gaz à effet de serre4. Elle constitue la deuxième source d’émissions derrière le secteur énergétique et loin devant les transports. Ceci s’explique par de nombreux facteurs : l’utilisation de plus en plus fréquente d’engrais chimiques, la dépendance aux énergies fossiles, la distance parcourue par les denrées entre les lieux de production et de consommation ou encore la dégradation des sols et la déforestation au profit de l’accroissement des terres agricoles, notamment dans les pays du Sud. En réalité, le secteur est en proie à de nombreux paradoxes : on produit aujourd’hui de quoi nourrir deux fois la population mondiale et pourtant la famine touche encore près de 800 millions de personnes5. Une quantité très importante de ce qui est produit est gaspillée6 à différents niveaux de la chaîne d’approvisionnement et si l’on a pu augmenter le nombre de calories disponibles par personne depuis la fin des années 1960, nous n’avons jamais bénéficié d’une si pauvre diversité nutritionnelle dans nos assiettes7.

Tout cela fait dire à Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation auprès des Nations unies de 2008 à 2014, que le secteur de l’agro-alimentaire actuel est « à bout de souffle ». Auteur d’un rapport retentissant sur la question en 20108, Olivier de Schutter est un ardent défenseur de l’agro-écologie comme solution écologique, politique et sociale aux maux de l’agriculture d’aujourd’hui9. L’agro-écologie peut se comprendre comme l’application de la science, du design et de la gestion écologique aux systèmes agricoles. Le ministère français de l’Agriculture la définit comme « une façon de concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes. Elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement. »10 Pratiquée à petite échelle, l’agro-écologie favorise la culture de plusieurs espèces végétales ou l’élevage sur un même lieu, d’une manière qui reproduit certains écosystèmes naturels. L’agro-écologie n’est pas forcément bio, mais se passera bien plus volontiers d’engrais ou de désherbants chimiques dans la mesure où la pratique vise à reproduire ce qui se fait dans la nature pour cultiver de façon moins nocive pour les sols et l’environnement – c’est également un gage d’indépendance économique pour les producteurs. Elle s’appuie sur la mise en place de circuits courts qui nécessitent un tissu économique et social performant à l’échelle locale. De nombreux obstacles à son développement demeurent toutefois, parmi lesquels la question des rendements, mais surtout, le système en place, où coexistent un certain nombre d’acteurs qui n’ont pas forcément intérêt à voir l’agriculture mondiale évoluer de la sorte.

Illustrations d'Hugo Boutry sur l'agroécologie
Visuels d'Hugo Boutry constitués à partir de photographies originales d'assiettes de la Faïencerie de Gien. Elle a été créée en 1821 dans le Val de Loire. Elle a fait sa renommée en fabriquant les services de table aux armoiries de grandes familles de France et d’Europe et les carreaux du métro parisien en 1930. La Faïencerie maitrise localement tout le processus de fabrication de ses Faïences. Chaque pièce passe entre les mains de 30 maîtres faïenciers...

Les évolutions récentes du monde agricole

 

Tout au long du XXème siècle, l’agriculture mondiale a connu une série d’évolutions majeures qui l’ont fait passer du modèle familial classique à une agriculture mécanisée, industrielle et tournée vers l’exportation. D’un modèle intense en main d’œuvre à un modèle intense en capital. La Green Revolution débute au tournant de la Seconde Guerre mondiale en Amérique du Nord puis en Europe. Elle est supportée au départ par l’accroissement des productions industrielles pendant le conflit et va se traduire par une augmentation des intrants chimiques, une mécanisation des systèmes d’irrigation, des semences et des récoltes pour se poursuivre jusque dans les années 1970 en s’étendant vers d’autres régions du monde. Ce modèle va principalement récompenser les économies d’échelle, c’est-à-dire une baisse des coûts par unité de production résultant d’un accroissement des quantités produites. Il va favoriser l’émergence de grandes fermes pratiquant la monoculture au détriment des petits exploitants, moins compétitifs.

Vint ensuite l’époque néolibérale, qui durera jusqu’au début des années 2000, durant laquelle les États laissèrent le leadership aux marchés et aux multinationales de l’agro-alimentaire. C’est l’avènement d’entreprises comme Cargill, Syngenta ou Monsanto qui vont, grâce à l’abaissement progressif des barrières douanières dans le monde entier, peu à peu conquérir de nouveaux marchés avec leurs semences transgéniques, fertilisants et désherbants. Les agriculteurs les moins compétitifs sont marginalisés et doivent se transformer et grandir sous peine de disparaître. On voit émerger une agriculture avec des rendements de plus en plus élevés alors que la dépendance aux importations de certaines régions du monde comme l’Afrique sub-saharienne ne cesse de croître.

À partir de 2005, on commence à parler de seconde Green Revolution, cette fois-ci organisée sous l’impulsion des acteurs du marché et de grands philanthropes comme la Bill & Melinda Gates Foundation, aujourd’hui investisseur majeur du groupe Monsanto-Bayer et grand défenseur des semences transgéniques11. Les objectifs de la première Green Revolution sont repris avec l’idée que les agriculteurs doivent désormais agir en auto-entrepreneurs, en recherchant l’innovation et l’indépendance financière. Le fil rouge des différentes étapes ayant mené l’agriculture familiale du début du XXème siècle au système actuel repose sur la compétitivité et les exportations, avec pour objectif principal l’augmentation de la quantité de calories par personne pour lutter contre la faim dans le monde. À ce titre, le succès est relativement mitigé : si le nombre de personnes souffrant de faim a globalement diminué (d’environ 1 milliard en 1990 à 800 millions aujourd’hui), la lutte contre la sous-alimentation menée depuis plus d’un siècle n’a pas permis de la faire disparaître12.

Illustrations d'Hugo Boutry sur l'agroécologie
Le décor « chromo » est appliqué tel un décalcomanie sur une pièce blanche émaillée.

Lutter contre la faim dans le monde

 

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO) estime qu’une personne doit ingérer 1 800 kcal par jour en moyenne pour ne pas se trouver en situation de sous-alimentation. L’objectif a donc été d’augmenter l’apport calorique afin d’assurer ce minimum vital pour le plus grand nombre. Cette stratégie est notamment passée par le développement des monocultures de soja et de maïs en Amérique du Nord puis du Sud (le soja qui vient également nourrir le bétail à grande échelle). Si l’on a obtenu une plus grande quantité de nourriture par tête en moyenne dans le monde, de très grandes inégalités persistent entre les régions et les États, mais aussi entre les catégories sociales puisque étonnamment, ce sont d’abord les fermiers (et principalement les petits producteurs des pays pauvres qui ne peuvent pas vendre leurs récoltes à un prix suffisamment élevé) qui souffrent de la faim : 50% des personnes en situation de sous-alimentation dans le monde sont de petits exploitants agricoles. En revanche, si nous consommons en moyenne plus de calories, notre diversité alimentaire et nutritionnelle a elle baissé avec la diminution de la diversité des productions agricoles. Avec le développement des principales céréales qui servent notre alimentation aujourd’hui, le système agro-alimentaire a abandonné de nombreux aliments, ce qui explique en partie cette relative pauvreté nutritionnelle dont nous souffrons aujourd’hui et l’émergence de nouvelles maladies autrefois inexistantes ou presque, comme l’obésité.

Depuis les années 1970, on observe ainsi une très grande homogénéisation de l’agriculture à l’échelle mondiale et une perte de biodiversité végétale, animale et économique. Les pays où subsiste une agriculture familiale et encore relativement diversifiée sont par ailleurs menacés – notamment par les décisions prises à l’OMC – comme autant de nouveaux marchés pour le secteur agro-alimentaire. C’est le phénomène de « land grabbing » ou « acquisition de terres » dont l’exemple le plus frappant est actuellement l’Afrique. Le Land Matrix Project, initiative indépendante visant à faire la transparence sur la gestion des terres dans le monde révèle plusieurs chiffres frappants sur le sujet13 : en 2012, environ 56 millions d’hectares de terres ont été achetés ou saisis en Afrique (contre 18 millions en Asie et 7 en Amérique). Ces terres servent essentiellement aux cultures vivrières (31%) mais aussi non vivrières ou flexibles (26% dans les deux cas). Si ces opérations permettent souvent d’améliorer les infrastructures locales, de créer des emplois et de l’activité économique, elles mettent généralement la sécurité alimentaire locale en danger, puisque ce sont souvent de petites exploitations qui nourrissaient des familles ou des villages qui sont transformées en grandes fermes dont le produit sera exporté. Ce phénomène est particulièrement facilité par l’absence de structures administratives, de droits formels, comme des actes de propriété officiels dans certaines régions du monde. Entre 2011 et 2013, les pays les plus touchés étaient le Soudan et le Soudan du Sud, l’Éthiopie, l’Indonésie et la Papouasie Nouvelle-Guinée. Ces pays font également partie des plus affectés par la famine et la sous-alimentation14.

Illustrations d'Hugo Boutry sur l'agroécologie
Les contours des décors « peint main » sont imprimés à partir de plaques de cuivre gravées. La pièce est ensuite peinte à la main.

L’agriculture mondiale doit également faire face à un certain nombre de contraintes écologiques et climatiques, alors même qu’elle exerce une pression sur l’environnement en contribuant très largement à l’effet de serre. Si bien que l’évolution du secteur est actuellement remise en cause par, notamment, la diminution de ressources en eau potable. La FAO prévoit ainsi un fléchissement de la croissance des terres cultivées au cours de la décennie actuelle15. Le réchauffement de la température à la surface de la Terre devrait également nuire aux récoltes, principalement en zone intertropicale, où la production de maïs pourrait diminuer de 20% et celle de blé jusqu’à 50% en cas d’augmentation de 5°C de la température ambiante16. L’érosion des sols, accélérée par l’intensification des cultures, la déforestation, la mauvaise gestion des terres et l’usage de nombreux intrants chimiques est également un facteur limitant pour l’agriculture en ce qu’elle entraîne une perte de biodiversité, la diminution des capacités de stockage d’eau de pluie des sols ou encore la baisse de la fertilité des terres dans de nombreuses régions du globe.

 

Souveraineté alimentaire et agro-écologie, quelles perspectives pour l’agriculture de demain ?

 

Les évolutions de l’agriculture mondiale au XXème siècle ont ainsi permis de nombreuses avancées dans les rendements agricoles, le progrès technique, l’émergence de réseaux de distribution ou la recherche agronomique, tout en permettant de lutter contre la faim dans le monde et de supporter la croissance démographique. Toutefois, les problèmes du modèle actuel justifient les interrogations qu’il suscite et la recherche de pratiques alternatives, dont l’agro-écologie pourrait être l’une des plus prometteuses. Celle-ci répond en effet à un certain nombre de besoins17 sans pour autant s’imposer naturellement dans le paysage actuel, particulièrement en Occident.

Pour Olivier de Schutter, l’agro-écologie répond avant tout aux problématiques écologiques et sanitaires. L’utilisation intensive d’intrants chimiques dans l’agriculture moderne – mais aussi d’antibiotiques et d’hormones de croissance dans l’élevage – est de plus en plus critiquée en raison  son impact sur la santé18. Comme alternative, l’agro-écologie privilégie l’association de plusieurs cultures ou élevages simultanés afin de combiner leurs bienfaits mutuels tout en se passant, par exemple, de désherbants ou d’engrais chimiques – elle lui préfèrera aussi l’utilisation de compost comme engrais naturel et biodégradable. Par exemple, l’agroforesterie consiste à faire pousser sur un même terrain des arbres fruitiers et des plantes ou céréales au sol, et permet une meilleure utilisation de l’espace disponible. Ou encore, la cohabitation de poissons et de canards dans les rizières ; ceux-ci garantissant notamment une meilleure alimentation en fer du riz tout en éliminant les insectes et parasites dans les cultures.

Illustrations d'Hugo Boutry sur l'agroécologie

Ces pratiques permettent aussi de diversifier les cultures ce qui, grâce à l’absence ou la diminution d’engrais chimiques, permet un meilleur apport nutritionnel de l’alimentation produite ; un enjeu de santé publique majeur aujourd’hui. L’objectif est de rendre l’agriculture plus durable, c’est-à-dire à la fois moins polluante et plus résistante aux effets du changement climatique ou aux aléas de l’économie mondiale. Si utiliser les mêmes semences partout permet d’importants gains d’échelle et facilite l’émergence des fermes industrielles compétitives que l’on connaît, c’est en revanche un facteur de fragilité pour les cultures qui sont, par nature, toutes exposées aux mêmes risques biologiques et climatiques. En d’autres termes, s’il advenait que les semences transgéniques de soja actuelles soient particulièrement exposées à un virus ou un insecte particulier, une proportion très importante de la production mondiale de soja, et donc de l’élevage mondial qui en dépend, serait potentiellement exposée – avec des conséquences alimentaires et sanitaires dramatiques. À l’inverse, favoriser une plus grande diversité de semences et de pratiques agro-écologiques pourrait permettre une meilleure résilience des systèmes agricoles.

Réduire l’impact de l’agriculture sur l’environnement passe néanmoins aussi par une réduction de la distance parcourue par les aliments entre leurs lieux de production et de consommation. Les prix des matières premières alimentaires sont fortement corrélés aux cours du pétrole et diminuer le recours aux énergies fossiles serait aussi bien gage de sécurité que de réduction des émissions pour le secteur agricole. C’est bien sûr un changement de modèle économique mais également un changement des pratiques alimentaires. Cela nécessite aussi une meilleure protection des petits agriculteurs, avant tout dans les pays les plus exposés au phénomène de « land grabbing », afin de lutter plus efficacement contre la famine grâce aux productions locales. D’après Olivier de Schutter, cela doit passer par le renforcement des structures sociales locales, des coopératives paysannes et par l’établissement de circuits courts – et c’est aussi vrai pour les pays du Nord. Pour lui, le but est bien d’assurer une meilleure sécurité alimentaire grâce à une souveraineté alimentaire plus juste et sûre. Ce n’est malheureusement pas sans obstacle.

 

Les freins au développement de l’agro-écologie19 

 

Les marchés agro-alimentaires actuels favorisent la compétitivité des grandes exploitations, plus rentables à court terme et génératrices de revenus. Les plus petites exploitations, moins compétitives, bien que souvent plus productives par hectare, en pâtissent en retour. Les premières bénéficient par exemple d’un accès facilité aux crédits. Elles ont ainsi une plus grande capacité d’investissement, ce qui favorise de nouveaux gains en compétitivité. Les inégalités entre petits et gros acteurs du marché ont ainsi tendance à se figer, quand elles ne croissent pas. La libéralisation économique, la généralisation d’une agriculture tournée vers l’exportation, l’émergence d’acteurs de taille mondiale dans le secteur de l’agro-alimentaire et la généralisation du lobbying favorisent également ces grandes exploitations et la monoculture.

Le phénomène de « land grabbing » affecte en priorité les petits exploitants des pays du Sud et contribue également à ces inégalités. Les petites exploitations sont ainsi plus exposées aux pressions du marché et des autres acteurs, car elles manquent de protection juridique mais aussi de financement et de soutien politique.

Par ailleurs, l’agro-écologie est souvent perçue comme synonyme d’un retour au passé et aux méthodes anciennes, forcément moins productives et moins modernes20, ce qui n’est pas forcément le cas21. Le modèle actuel n’inclut pas l’ensemble des externalités négatives (c’est-à-dire l’ensemble des effets néfastes engendrés par une activité économique) dans le prix des produits agricoles et cela a, en partie, permis le développement de l’agriculture industrielle, en dépit des coûts sociaux et environnementaux qu’elle engendre. Si l’impact climatique par exemple, était inclus dans le prix du soja, actuellement bon marché et produit en très grande quantité à des coûts très faibles, nul doute qu’il serait bien moins compétitif, ce qui pourrait avantager du même coup d’autres cultures et notamment celles des plus petites fermes, aux productions plus diversifiées.

Illustrations d'Hugo Boutry sur l'agroécologie

Au-delà, la première question qui se pose à l’agro-écologie est celle de son échelle et de sa stratégie de déploiement. Deux voies semblent se dessiner : l’agro-écologie défendue par le mouvement Colibris autour de Pierre Rabhi, qui est l’un des pionniers de l’agriculture écologique en France, c’est-à-dire une agro-écologie déconnectée de toute protestation envers le système agro-alimentaire en place. Colibris, car c’est cet oiseau qui participe, à sa manière et à son échelle, à éteindre l’incendie en transportant une goutte d’eau dans son bec. C’est un mouvement populaire qui a des adeptes, mais qui n’a actuellement aucune influence sur les décisions politiques prises au sommet de l’échelle, comme la signature du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), dont beaucoup considèrent qu’elle va dans le sens de l’agriculture industrielle, exportatrice et nocive pour l’environnement. La deuxième devrait donc nécessairement être plus politique et consisterait en l’émergence, au sein de la société civile, des États ou des organisations non-gouvernementales, d’alternatives moins polluantes au système agro-alimentaire en place. Le problème est qu’en la matière, les États se sont peu à peu désengagés du secteur agricole au cours des dernières décennies pour laisser place aux intérêts privés dans les négociations internationales, dominées par une poignée d’acteurs22.

Par ailleurs, l’une des principales interrogations à propos d’une possible transition agro-écologique est celle des rendements agricoles. Sur ce sujet, le rapport publié par les Nations unies sous le mandat d’Olivier de Schutter est on ne peut plus éloquent et pousse à l’optimisme23 ; on y affirme que l’agro-écologie pourrait permettre de doubler la production alimentaire mondiale en l’espace d’une dizaine d’années : « Les preuves scientifiques actuelles démontrent que les méthodes agro-écologiques sont plus efficaces que le recours aux engrais chimiques pour stimuler la production alimentaire dans les régions où se concentre la faim. […] À ce jour, les projets agro-écologiques menés dans 57 pays en développement ont entraîné une augmentation de rendement moyenne de 80% pour les récoltes, avec un gain moyen de 116% pour tous les projets menés en Afrique. » Si l’agro-écologie peut sembler nécessaire au regard de l’agriculture d’aujourd’hui, il semble aussi qu’elle soit une alternative réaliste.

  1. Le principe de l’avantage comparatif de Ricardo est un principe économique classique, c’est-à-dire basé sur un modèle économique théorique (il ne reflète pas la réalité). Ce principe, plutôt contre-intuitif à première vue, stipule qu’un pays, même s’il n’a aucune industrie plus compétitive qu’un autre, gagnerait à pratiquer le libre-échange en se spécialisant sur le secteur économique dans lequel il est le plus avantagé (ou le moins désavantagé vis-à-vis de la concurrence). Voir : RICARDO, Daniel (1817), Des principes de l’économie politique et de l’impôt.
  2. Green Revolution : on pourrait la définir comme une révolution technologique décidée et menée par les États pour améliorer les rendements agricoles, notamment dans les pays du Sud. Quelques chiffres significatifs : au Mexique, les rendements de culture de blé sont passés d’environ 800 kilos par hectare en 1950 à près de 5 000 kilos par hectare au tournant du XXIème siècle. Entre 1960 et 2000, dans les pays en développement, les rendements du blé ont augmenté en moyenne de 208%, de 109% pour le riz, 157% pour le maïs, 78% pour les pommes de terre et de 36% pour le manioc d’après les chiffres de la FAO (Food and Culture Organization of the United Nations). Voir : FAO : State of Food and Agriculture 2003-2004Globalement, ces gains en productivité ont été inégaux dans le monde. Les prix ont largement diminué en relation avec l’augmentation de l’offre et les gains en productivité n’ont pas été répartis également dans le monde, si bien que si les consommateurs ont globalement profité de ces baisses de prix, les producteurs n’ont réellement bénéficié de cette transition que là où les coûts de productivité ont davantage diminué que les prix. Si bien que la majorité des personnes aujourd’hui en grande précarité – au point de souffrir de la famine – sont eux-mêmes fermiers.
  3. L’OMC s’est attaquée à l’agriculture mondiale pour la première fois avec le round de négociation dit de l’Uruguay, dans les années 1990. La politique qui y est décidée consistait principalement en l’abaissement des barrières douanières sur les différents produits agricoles. Toutefois, le round de négociation suivant (round de Doha) est au point mort depuis 2001. La raison principale de ce blocage vient du fait que les pays du Sud et les pays qui ont une agriculture moins mécanisée et moins puissante se sentent défavorisés par ce processus de libéralisation. Il faut dire que les résultats du round précédent étaient majoritairement à l’avantage des secteurs agro-alimentaires nord-américains et européens. Voir : CLAPP, Jennifer (2006). “Developing Countries and the WTO Agriculture Negotiations” Global Institutional Reform Working Paper 6, The Centre for International Governance Innovation.
  4. GIEC (2014) 5ème Rapport sur le changement climatique. Changements climatiques 2014. Rapport de synthèse. Résumé à l’intention des décideurs. http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/AR5_SYR_FINAL_SPM_fr.pdf
  5. Voir : World Food Program, Faits et chiffres sur la faim https://fr.wfp.org/faim/faits-et-chiffres
  6. On estime que pour un total moyen de 4 600 kcal par jour et par personne de récoltes comestibles, environ 2 000 kcal par jour et par personne nettes sont effectivement disponibles en bout de chaîne (600 kcal par jour et par personne sont gâchées dans le processus de récoltes et les étapes directement liées, 1 700 pour nourrir le bétail qui en rapporte en retour environ 500, enfin 800 kcal par jour et par personne sont ensuite gâchées dans les différents réseaux de distribution). Voir : High-Level Panel of Experts (HLPE), Food Security and Climate Change (June 2012).
  7. Voir : France 24, Olivier de Schutter, rapporteur de l’ONU sur le droit à l’alimentation : « il faut changer de modèle », 24 juin 2014, visible https://www.youtube.com/watch?v=8FfPUaK05DI
  8. Conseil des droits de l’homme. Seizième session. (2010) Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter. Assemblée générale des Nations unies. 20 décembre 2010. A/HCR/16/49http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf
  9. Agnès Rousseaux et Chapelle (2015) Olivier de Schutter : « Nous sommes extrêmement immatures dans notre manière de concevoir l’avenir de nos sociétés. » Bastamag. 28 mai 2015. Voir :https://www.bastamag.net/Olivier-de-Schutter-Nous-sommes-extremement-immatures-dans-notre-maniere-de
  10. Voir : agriculture.gouv.fr « Agro-écologie : éléments de définition et concepts ». http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/concept-agroecologie.pdf
  11. La Bill & Melinda Gates Foundation (avec entre autres le concours de la Commission européenne) a notamment annoncé vouloir investir 300 millions d’euros pour équiper les petits agriculteurs en semences transgéniques dans les zones les moins équipées en la matière lors du One Planet Summit qui se tenait à Paris le 12 décembre dernier. Voir : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/oneplanetsummit-lesengagements_cle041ac2.pdf & http://www.rfi.fr/afrique/20171217-bill-gates-genereux-donateur-climat-fondation-afrique-rechauffement-ogm
  12. Voir : FAO-IFAD-WFP, The State of Food Security in the World (2015)
  13. Voir : http://landmatrix.org/en/
  14. Voir : http://fr.wfp.org/content/faits-et-chiffres-sur-la-faim-et-la-malnutrion
  15. Voir : FAO (2017) The Future of Food and Agriculture.
  16. GIEC (2014) 5ème Rapport sur le changement climatique. Changements climatiques 2014. Rapport de synthèse. Résumé à l’intention des décideurs. http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar5/syr/AR5_SYR_FINAL_SPM_fr.pdf
  17. IPES-Food. 2016. From uniformity to diversity: a paradigm shift from industrial agriculture to diversified agroecological systems. International Panel of Experts on Sustainable Food systems. www.ipes-food.org
  18. SAFRAN FOER, Jonathan. (2011) Faut-il manger les animaux ? Éditions de l’Olivier.
  19. IPES-Food 2016. Op. cit.
  20. Voir : https://blogs.mediapart.fr/marc-white/blog/080817/glyphosate-derriere-les-gesticulations-politiques-l-agriculture-sous-tension
  21. IPES-Food. 15.11.2017. Contribution to e-consultation on the scope of High level Panel of Experts (HLPE) of the Committee on World Food Security report on: ‘Agroecological approaches and other innovations for sustainable agriculture and food systems that enhance food security and nutrition’.Voir: http://www.ipes-food.org/images/CoreDocs/IPES-Food-contribution-to-HLPE-e-consultation.pdf
  22. IPES-Food 2016. Op. cit.
  23. Conseil des droits de l’homme. Seizième session. (2010) Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter. Assemblée générale des Nations Unies. 20 décembre 2010. A/HCR/16/49http://www.srfood.org/images/stories/pdf/officialreports/20110308_a-hrc-16-49_agroecology_fr.pdf