Peck Illustration (artiste) et la rédaction, avec les témoignages de Romane Groleau et Pierre Leibovici.
Unsighted prépare un long format sur le changement à l’oeuvre dans le paysage médiatique français. Un dossier construit sur plusieurs mois, pour décrypter les ressorts d’un secteur en plein bouleversement. Unsighted vous présente l’imprévu, le média qui éclaire le présent à partir du passé.
L’Imprévu est un média en ligne lancé durant l’été 2015. Les 3 associés fondateurs sont des anciens du journal Owni, un site d’information fermé en 2012. Après un court passage en entreprise, l’actuel président du journal, Pierre Leibovici, fait « le constat de l’amnésie », nous confie-t-il. L’information se déverse en flux continu, mais est trop vite oubliée. La frustration laisse place à la création et les idées prennent forme. Celle d’un « combat contre l’accélération de l’information et son uniformisation ».
En juin 2015, les journalistes de l’imprévu sortent la première version de leur site Internet. Elle est ensuite affinée en février 2016. Il s’agit, pour chaque article, de revenir sur l’actualité oubliée. Au total : 4 plumes, pour 4 articles par semaine — un long format et 3 articles courts.
Dans la continuité de ce projet calé sur le temps long et sur le passé, L’imprévu a transformé, ce mois de mars, son site Internet et sa formule. « Nous souhaitons montrer que l’on peut raconter l’actualité autrement », affirme Romane Groleau, journaliste responsable de la communication avec les lecteurs. Il s’agit toujours de « faire le lien entre le présent et le passé, pour mieux comprendre les sujets de société dont tout le monde parle ».
La vision de long terme reste intacte, mais le modèle change. Le site a été refondu. Son design est inspiré du journal en ligne américain Axios. Il centralise tous les contenus proposés par l’imprévu, y compris les contenus diffusés sur les réseaux sociaux. Sur la page d’accueil, on trouve aussi bien des tweets que des articles et bientôt, des billets de blog. Ce mode de présentation a vocation à « favoriser la découvrabilité des nouveaux contenus ». Les articles sont catégorisés en un grand découpage thématique, par rubrique : « environnement », « numérique » et « travail ». Tous les articles distribués dans ces trois rubriques sont ensuite redécoupés selon un système de tags.
La nouveauté ne tient pas tant au format du site qu’au modèle de fidélisation des lecteurs et de rémunération des journalistes. Celui-ci est fondé sur le système d’adhésion. Il s’agit d’un mode de lecture de l’information popularisé par le Guardian au Royaume-Uni. Ses lecteurs ne se convertissent pas en abonnés mais en « adhérents ». Les contenus sont en libre accès. Tout un chacun peut se rendre sur le site du Guardian et profiter des articles qui y sont postés chaque jour. Mais le site d’information anglais, qui compte parmi les plus consultés au monde avec plus de 150 millions de visiteurs uniques chaque mois, ne manque pas de rappeler à chaque visite que le journalisme de qualité a un coût. « Supportez le Guardian à partir d’un euro », demande-t-il. Des sites d’information américains vont encore plus loin et structurent toute leur offre autour d’un véritable programme de « membership ». Le Honolulu Civil Beat, par exemple, propose 5 formules d’adhésion à l’année. Chacune d’entre elles propose des avantages et plus l’on paie cher, plus le « membership » est avantageux — accès aux newsletters réservées aux adhérents, rencontres avec les journalistes, invitations aux événements organisés par la rédaction…
C’est de ce système d’adhésion qu’est tirée la nouvelle formule de l’imprévu. Elle s’articule autour du concept de « lecteur-membre ». L’intégralité du contenu éditorial est accessible à tout le monde, gratuitement. Toutefois, les lecteurs peuvent choisir de devenir des « lecteurs-membres » et donner chaque mois entre 3 et 20 euros pour supporter la rédaction. En contrepartie, les lecteurs-membres ont accès à des avantages exclusifs. Ils sont de trois types : des échanges avec les journalistes via un groupe privé de discussion Facebook, des rencontres informelles avec l’équipe de journalistes de l’imprévu, et des formations « pour apprendre à vérifier une image ou une vidéo sur les réseaux sociaux, à communiquer de manière sécurisée, à fouiller une info sur le web… »
Pourquoi ces lecteurs ressentent-ils le besoin de se rapprocher des journalistes ? « Leurs motivations pour contribuer financièrement à l’imprévu varient », explique Romane. Certains souhaitent contribuer pour « faire vivre un média indépendant » et permettre à ceux qui n’en n’ont pas les moyens de continuer à profiter d’articles en libre accès. D’autres espèrent que cette relation de proximité avec les journalistes leur permettra de rompre avec la défiance envers les médias en France.
Ce nouveau modèle constitue pour l’imprévu une rupture avec son ancien business model. Celui, plus traditionnel, fondé sur l’abonnement. Ce nouveau modèle a son lot d’incertitudes. Certes les moyens ne sont pas les mêmes, mais la réussite du modèle du Guardian est encourageante : « Depuis [que le Guardian est passé au modèle d’adhésion], 300 000 lecteurs ont choisi de devenir membres du journal. Et l’année dernière, pour la première fois depuis sa création, les revenus issus des contributions des lecteurs ont dépassé ceux de la publicité », détaille Pierre Leibovici.
De quoi nourrir des ambitions, puisque l’imprévu vise « 11 000 lecteurs-membres d’ici à 2020 ». Un objectif élevé, quand on sait par exemple que Les Jours, journal lancé par des anciens de Libération en 2016, compte aujourd’hui 10 000 abonnés. « À L’imprévu, on n’a pas les moyens du Guardian, bien entendu. […] Est-on irréalistes, trop optimistes ? Laissons-nous quelques mois pour en juger. » demande Pierre Leibovici. Un objectif rendu envisageable par la levée de fonds de 300 000 euros qu’a prévue la rédaction.