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L’Europe ou la quadrature du cercle

Par Paul Linarès et Nicolas Melemis

« Avec l’Union européenne, j’ai aussi traversé des hauts et des bas, mais je n’ai jamais perdu cet amour de l’Europe car il n’y a pas d’amour sans déconvenue, en tout cas très rarement. » Cette déclaration n’est pas celle d’un amoureux transi mais bien du président de la Commission européenne lors de son discours sur l’état de l’Union, prononcé le 13 septembre 2017 devant le Parlement européen. Ce discours revêt une importance particulière car il fait suite aux scénarios d’évolution de l’Union européenne à l’horizon 2030 élaborés par la Commission européenne1.

Le manque de solidarité entre les États membres face à la crise financière de 2008 et à celle des dettes souveraines, la crise des réfugiés ou encore le Brexit, montrent que l’Union européenne est peut-être dans une impasse. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne, conduite par Jean-Claude Juncker, entend mener à bien un nouveau projet politique dans l’intérêt général européen, conformément aux traités fondateurs2. Cette vision politique est loin de s’imposer comme une évidence pour la Commission qu’on accuse souvent d’être trop technocratique – de faire prévaloir les aspects techniques et économiques aux dépens d’une vraie orientation sociale. Pourtant, il paraît aujourd’hui indispensable de proposer un projet politique clair aux États membres – qui sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État. C’est d’ailleurs dans ce sens que Jean-Claude Juncker propose de fusionner les fonctions de président de la Commission européenne et du Conseil européen afin d’avoir une seule « tête européenne ».
Ainsi, la Commission européenne souhaite clarifier son action non seulement vis-à-vis des citoyens mais également de ses partenaires institutionnels en proposant des « paquets législatifs » – c’est-à-dire un ensemble de directives et de règlements portant sur un même thème – plutôt que de faire des propositions parfois décousues. La Commission européenne s’est engagée, sous l’impulsion du vice-président Timmersmans, à légiférer d’une manière plus claire. Malgré ce travail entrepris dès le début de la mandature de la nouvelle Commission européenne, l’UE subit un désamour de ses citoyens, comme en témoigne la montée des discours anti-européens en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Pologne ou encore en Hongrie. Quelles perspectives s’offrent à une Union qui n’arrive pas à franchir les étapes nécessaires à l’atteinte d’une véritable solidarité concernant le droit d’asile, l’économie ou même en matière de politiques sociales ?

Les 4 scénarios pour l’évolution de l’Union Européenne

La Commission européenne a commencé à publier des scénarios pour l’UE à horizon 2030 afin d’avoir un projet à long terme à défendre et de ne pas se cantonner à une vision politique purement technique. Les possibilités qu’elle envisage sont plurielles. Cependant, un scénario semble avoir la préférence de Juncker et du couple franco-allemand : celui d’une Europe à plusieurs vitesses, avec des coopérations à la carte suivant les intérêts des pays.

Le premier scénario est celui de la « continuité ». Il s’agit de poursuivre le développement de l’Union européenne comme il a toujours été mené, c’est-à-dire de façon conjoncturelle, sans une orientation de long terme très claire. Ce scénario, même s’il n’est pas qualifié comme tel par la Commission européenne, apparaîtrait comme un échec, l’échec d’une Union sans projet politique à terme, amenée à remettre en question son fonctionnement, voire son existence à chaque crise.

Le deuxième scénario envisage une marche arrière de l’UE, qui se recentrerait sur ses acquis en matière économique. Il s’agit, dans ce cas, de se focaliser sur le marché unique et d’occulter le reste des politiques, qui seraient alors dévolues aux États membres.

La réalisation de ce scénario constituerait un véritable séisme pour l’UE puisqu’il remettrait en cause les politiques sociales – celles de redistribution entre les États membres ou encore le programme Erasmus par exemple.

Le troisième scénario consiste à restreindre le champ d’action de l’UE mais en oeuvrant pour améliorer son efficacité. Il s’agirait de circonscrire l’intervention des institutions européennes à certains domaines de compétences précis. Il n’y aurait plus de transfert de compétences entre les différentes institutions et elles se concentreraient alors sur les domaines dans lesquels elle sont les plus efficaces, tels que le commerce extérieur ou les règles de concurrence – qui sont actuellement des compétences exclusives de l’UE. Ce scénario permettrait de rendre l’Union européenne plus lisible pour les citoyens et de limiter les ambitions d’une entité rampante qui cherche à étendre ses compétences jusqu’à empiéter sur la souveraineté des États membres.

Le dernier scénario envisagé est celui du « faire plus ensemble ». Dans ce cadre, il est envisagé d’étendre les compétences et les moyens de l’UE pour assurer une coordination entre les politiques des États membres dans beaucoup plus de domaines. Il est toutefois pertinent de noter qu’à aucun moment dans le document ne sont cités le terme « fédération » ou l’adjectif « fédéral(e) ». La vision fédéraliste de l’UE semble avoir disparu des perspectives de long terme envisagées par la Commission européenne. Il est de ce point de vue assez paradoxal de voir dans cette feuille de route des références aux « pères fondateurs ».

Dans ces scénarios, on retrouve les priorités listées lors de la déclaration de Bratislava du 16 septembre 2016, qui était la première réunion à 27 des chefs d’État. Elle avait identifié les défis suivants pour l’UE : les migrations, le terrorisme et l’insécurité économique et sociale. On y retrouve ces priorités, traitées à des degrés d’intensité différents suivant le scénario. Il est cependant un scénario qui reste privilégié, tant par la Commission européenne que par le moteur franco-allemand : celui d’une Europe en cercles concentriques

Vers une Union Européenne à la carte ?

Dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017, dans lequel il a défendu son projet pour l’Union européenne, Emmanuel Macron a plaidé pour une Europe à la carte. Les pays qui souhaitent s’investir dans le domaine social peuvent selon lui s’entendre pour aller plus loin. Libre aux autres États membres de les rejoindre. Il ne s’agit pas là d’une idée nouvelle ; cette option existe déjà dans les traités européens sous le concept de coopération renforcée. Cette possibilité, offerte par l’article 20 du traité de Maastricht (ou TUE), permet à un groupe d’États membres de mener une même politique sans que tous les États de l’Union ne soient contraints de s’y soumettre. La coopération renforcée concerne aujourd’hui les trois thématiques suivantes : le brevet européen, la coordination dans le traitement des divorces internationaux et la taxe sur les transactions financières. Sa mise en œuvre démontre que les États membres ne souhaitent pas s’investir dans une Europe à plusieurs vitesses.

Si le scénario d’une Europe à plusieurs vitesses était envisagé, il s’agirait de veiller à assurer un minimum de pays participants afin de ne pas créer une UE indéchiffrable. C’est par ailleurs un des problèmes majeurs de cette solution : la complexité institutionnelle de l’UE est souvent mise en avant pour justifier l’incompréhension et le désamour des citoyens européens. Créer une UE à la carte ne risquerait-il pas de rendre une union, déjà complexe, illisible ? Quelles seraient les conditions permettant d’assurer une coopération entre les État-membres volontaires ? Les détails de ce scénario ne sont précisés ni dans les documents de la Commission européenne ni dans le discours d’Emmanuel Macron.

Les principales réformes pour l’Europe de demain

La réforme de la zone euro est à l’ordre du jour, tant dans le discours d’Emmanuel Macron que dans celui de Jean-Claude Juncker. Elle ne dispose pas aujourd’hui d’un budget pour compenser les déséquilibres liés à l’euro. Or, la monnaie commune ne bénéficie pas à tous les pays. Si elle profite aux économies fondées sur les exportations comme l’Allemagne – parce que les recettes tirées des exportations sont gonflées par l’euro qui est une monnaie forte -, elle pose problème aux économies basées sur la consommation comme l’Espagne – l’euro étant une monnaie forte, les citoyens payent leur biens plus chers que s’il s’agissait d’une monnaie faible(5). Il est donc question de mettre en place un budget commun pour rétablir l’équilibre. Mais, dans les conditions actuelles, il est difficile d’imaginer que, pour chaque pays, une partie de l’impôt prélevé puisse échapper aux politiques publiques nationales pour être affectée à la correction de ces déséquilibres, selon les décisions de l’Eurogroupe – instance non-démocratique qui réunit les ministres des Finances des États membres de la zone euro.

Le compromis se trouve dans la nomination d’un « super ministre » des Finances et du Budget de la zone euro, chargé de gérer ce budget alloué à la correction des déséquilibres. Cette initiative est envisagée par la Commission européenne, dont la volonté d’étendre la zone euro est clairement affichée.

La question de la gestion de la BCE et de sa politique est également un autre point de discorde entre les États membres. Cette gestion résulte aujourd’hui d’un compromis entre le point de vue allemand et les nécessités de réaction face aux crises successives. En effet, le mandat de la BCE qui détaille son indépendance et ses faibles marges d’intervention dans l’économie est calqué sur celui de la banque centrale allemande, la Bundesbank. Son fonctionnement est donc fondé sur la conception allemande de l’économie : une vision “monétariste”3. Or, les Allemands y sont très attachés, ce qui ne facilite pas les négociations autour de la réforme du rôle de la BCE. Les propositions en faveur d’une intervention plus importante de la banque centrale européenne afin de réduire les déficits publics des différents États membres se heurtent à ce mandat. Face à cette dissension, le compromis franco-allemand se trouverait dans une banque centrale plus interventionniste en l’échange des prémisses d’un budget de la zone euro. Il est justement envisagé d’ouvrir une nouvelle ligne budgétaire dans le portefeuille de l’UE afin de garantir la stabilité de la zone euro.

La dernière réforme envisagée consiste à institutionnaliser le Mécanisme Européen de Solidarité (MES) – dispositif de gestion des crises financières au sein de la zone euro – en Fonds Monétaire Européen (FME). Ce fonds de solidarité accorderait des aides de façon anticipée à des pays en difficulté, mais seulement en échange de réformes structurelles. C’est donc une solidarité conditionnelle et non pas une mutualisation des budgets entre les États membres qui se dessine. L’idée d’une Europe fédérale avec une solidarité inconditionnelle paraît définitivement abandonnée.

L’émergence d’un protectionnisme européen intelligent

L’idée d’un “protectionnisme européen intelligent” commence de plus en plus à poindre au sein de l’UE afin de ne pas subir tous les affres de la mondialisation. Il s’agirait de contrôler les investissements dits « stratégiques » – ce sont notamment les investissements massifs des Chinois, dans les ports, l’industrie de la défense ou dans le secteur de l’énergie. Cette idée se retrouve aussi bien dans le discours de l’état de l’Union de Jean-Claude Juncker que dans la vision d’Emmanuel Macron.

Ce dernier avance également l’idée de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe afin de lutter contre les effets néfastes de la mondialisation sur l’environnement. Cette initiative poursuit l’objectif de la maîtrise de la mondialisation. Elle  est toutefois paradoxale car la feuille de route publiée par la Commission européenne n’indique pas de mesures précises. Plus encore, la Commission annonce dans le même temps de nouvelles négociations commerciales avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie afin d’établir des accords de libre-échange comme le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, accord avorté entre l’UE et les États-Unis) ou le JEFTA (Japan-EU Free Trade Agreement, accord entré en vigueur entre l’UE et le Japon). Il y a donc une attitude schizophrénique de la part de l’UE qui, d’une part, accentue le libre-échange et diminue par la même occasion ses revenus propres – via les droits de douane – et d’autre part, cherche à maîtriser à la marge les conséquences néfastes des échanges commerciaux.

Et l’Europe sociale dans tout ça ?

Le scénario des « États-Unis d’Europe », idée issue du fameux discours de Victor Hugo du 21 août 1849, s’efface aujourd’hui. L’esprit n’est plus à l’allégresse face à l’avenir de l’UE mais plutôt au sauvetage. Il s’agit aujourd’hui, non pas de se concentrer sur l’Europe politique comme le souhaitaient les pères fondateurs de l’Europe, mais plutôt de prendre acte de l’impossibilité de sa mise en oeuvre. Il s’agit de se concentrer sur les dimensions économique, financière et sécuritaire.

La solidarité est une valeur qui se trouve oubliée tant dans les relations internes entre les États membres que dans les relations externes entre l’UE et les non-Européens. Pour illustrer le premier aspect, il est frappant de voir à quel point la solidarité entre les États membres du point de vue économique est inexistante. Quant aux relations entre l’Europe et les non-Européens, l’exemple des réfugiés est édifiant. Lorsque le président de la Commission européenne se félicite ainsi devant le Parlement européen : « Nous sommes parvenus à endiguer les flux de migrants irréguliers, source de grande inquiétude dans de nombreux pays », on peut se demander où est « l’Union de valeurs », reposant sur les principes de liberté, d’égalité et d’État de droit, que prône le même Jean-Claude Juncker.

Dans le document publié par la Commission européenne, la dimension sociale est basée sur le modèle du parangonnage – la comparaison perpétuelle des pays entre eux afin de faire émerger les « bonnes pratiques » – qui est le fil directeur des politiques sociales de l’UE. Il s’agit d’identifier les bonnes pratiques dans les différents États membres et de les étendre ensuite à l’ensemble de l’Union Européenne afin de mettre en œuvre les « modèles qui ont déjà fait leurs preuves ».  Or il est évidemment périlleux de transposer des modèles d’un pays à un autre car leur réussite dépend des cadres structurels en place dans ces différents pays. On constate que cette méthode fonctionne assez mal et il est assez paradoxal de voir que la Commission continue de s’y fier alors qu’elle met elle-même en garde contre les dangers du parangonnage.  

En fin de compte, l’Europe sociale n’avance pas ou peu, du fait des divergences profondes entre les État membres et également parce que ces politiques reposent fondamentalement sur une valeur de solidarité qui paraît absente.

 

L’objection de la Grande-Bretagne à la construction d’une « union toujours plus étroite », expression présente dans le préambule des traités européens, est le symbole qui résume la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’Union européenne. Lorsque l’on voit les volontés de faire avancer l’Union européenne par la construction d’une Europe à plusieurs vitesses, on brise dans le même temps l’avancée commune des 27 États membres alors que les fractures sont déjà multiples au sein de l’espace européen.

L’action du groupe de Visegrad, coalition de pays de l’Europe de l’Est qui a mené une forte action de lobbying contre la venue des réfugiés, est révélatrice du futur de l’UE. Si les intérêts des coalitions entre les différents États membres continuent d’approfondir les fractures, fût-ce sous le couvert d’une « Europe à plusieurs vitesses », alors le projet de refondation de l’UE actera la désunion européenne.

  1. (https://ec.europa.eu/commission/white-paper-future-europe-reflections-and-scenarios-eu27_fr).
  2. Art. 17 TUE al. 1 : « La Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin. »
  3. Étude économique n° 4 – La politique monétaire. Objectifs, méthodes et nouveaux problèmes. Sénat (2009). Source : https://www.senat.fr/eco/ec-04/ec-04_mono.html