Odio dignissimos blanditiis qui deleni atque corrupti.

The Point Newsletter

Sed ut perspiciatis unde omnis iste natus error.

Follow Point

Commencez à taper votre recherche ci-dessus et appuyez sur Retour pour lancer la recherche. Appuyez sur Echap pour annuler.

Les voitures électriques et leurs paradoxes : le serpent qui se mord la queue ?

Photos de Thomas Taz Cecchelani sur les voitures électriques, alternatives aux véhicules à essence, finalement pas si propres qu'on le pense, selon le professeur de l'ESCP Europe Frédéric Fréry.

Thomas Cecchelani (artiste), Raphaël Mollet (rédacteur)

 

Dans le sens commun, les voitures électriques sont souvent perçues comme une alternative crédible aux véhicules polluants. Pourtant, contrairement à ce que l’on peut penser au premier coup d’oeil, celles-ci ne sont pas si « propres » qu’elles en ont l’air pour le consommateur final. Plus encore, elles présentent des limites à différents niveaux : technologique, culturel, social, géopolitique. En fin de compte, pour le professeur de stratégie Frédéric Fréry, que nous avons rencontré : « ce n’est pas une technologie propre. »

En mars 2018, la justice allemande a fait un grand pas vers l’interdiction des véhicules diesel les plus anciens de certaines villes du pays comme Düsseldorf ou Stuttgart, véhicules mis en causes depuis plusieurs années par des études montrant leurs rejets nocifs de particules fines, et dans l’affaire du dieselgate de Volkswagen. Le symbole est d’autant plus fort dans ce pays où l’industrie automobile est reine et où le marché du diesel constitue l’un des piliers de l’économie. Avec pour objectif d’assainir l’air des villes et grandes métropoles, l’interdiction des véhicules diesel est également en discussion à Paris, ou encore à Rome qui entend interdire le diesel à partir de 2025. Présenté comme un procédé économique et moins polluant, le diesel a connu des temps bénis dans les années 80 et 90, puis a commencé à pâtir d’une mauvaise réputation au milieu des années 2000. Mais alors, quelle alternative pour remplacer les véhicules diesel et, à terme, les véhicules à essence, dans nos villes de demain ? Pour Frédéric Fréry, Professeur de stratégie à ESCP Europe, et interrogé dans le cadre de notre réflexion, « l’adaptation à la contrainte » que représente l’interdiction du diesel peut effectivement « susciter l’innovation ». Il est vrai que le véhicule hybride et, par extension, le véhicule électrique, semblent connaître une certaine popularité dans le marché automobile. Les constructeurs européens, américains et asiatiques se livrent une bataille technologique et marketing pour savoir lequel présentera le plus de modèles dits « propres » : BMW, Audi, Jaguar, Volvo, Peugeot, Lexus, Ford, Infinity, Porsche, Kia, etc. Mais gare à l’emballement… En effet, s’il faut non seulement différencier les différentes technologies de l’électrique (véhicule hybride, véhicule hybride rechargeable, véhicule 100 % électrique), il convient également de nuancer la dimension innovante et surtout « propre » de ces véhicules qui, en réalité, ne le sont pas vraiment. Loin de nous l’idée de clouer au pilori ces technologies ; il faut toutefois en montrer les limites, et ce à différents niveaux : technologique, culturel, social, environnemental et géopolitique.

Photos de Thomas Taz Cecchelani sur les voitures électriques, alternatives aux véhicules à essence, finalement pas si propres qu'on le pense, selon le professeur de l'ESCP Europe Frédéric Fréry.

L’électrique et l’automobile : « l’innovation éternellement émergente ?1 »

 

Lorsque l’on évoque le terme de « véhicule électrique », il convient, tout d’abord, de bien savoir de quoi l’on parle, et donc de différencier les différentes technologies disponibles. Trois grandes technologies sont aujourd’hui à l’œuvre dans le marché de la voiture électrique : la voiture hybride « classique », disposant de deux moteurs – un électrique et un thermique. La batterie se recharge lors des phases de décélération et de freinage du  véhicule : l’énergie sera ensuite réutilisée lors du redémarrage de la voiture et lorsque le véhicule roule à faible vitesse – le moteur électrique peut atteindre 50 km/h -, idéal pour la ville. Une voiture hybride ne se recharge donc pas sur prise électrique ; la voiture hybride rechargeable, quant à elle, possède également une double motorisation, mais dispose d’une batterie de plus grande capacité – le moteur électrique pouvant aller jusqu’à 130 km/h -, et peut être rechargée en branchement direct sur le réseau électrique classique ; la voiture électrique, disposant d’un seul moteur électrique, avec une autonomie encore assez limitée  – 200 kilomètres en moyenne, plus de 500 kilomètres, en théorie, pour les modèles Tesla -, le tout se rechargeant sur le réseau électrique, chez soi ou sur bornes.

L’un des premiers paradoxes de la voiture électrique et hybride réside dans sa dimension innovante, et surtout dans le rapport entre la volonté des ingénieurs, d’un côté, et la volonté des clients, d’autre part. Car si l’hybride semble avoir davantage de succès que la voiture 100 % électrique, c’est parce qu’il rassure : c’est ce que les clients réclament car, savoir qu’un moteur thermique se cache derrière un moteur électrique est sans doute rassurant. En revanche, pour les ingénieurs, l’hybride représente en quelque sorte une « hérésie technique 2»  : avoir deux moteurs dans un seul véhicule est compliqué et cher. « L’hybride n’est pas une technologie pure », clamait d’ailleurs l’ancien numéro 2 de la marque Renault Patrick Pelata. Ainsi, l’hybride, qui représente une sorte de technologie émergente, transitionnelle, vers le 100 % électrique, a connu un succès assez remarquable ces dernières années, ce qui met en lumière un paradoxe stratégique : la technologie qui, commercialement, est un succès, est souvent une technologie de transition, passagère, « non-voulue », alors que la technologie « voulue », en l’occurrence le 100 % électrique, est un relatif échec. Il n’y a qu’à regarder, aujourd’hui, le marché de la voiture hybride face à celui du tout électrique, qui n’a par exemple enregistré que 150 000 nouvelles immatriculations en Europe en 2017, et également l’offre de marché : tous les constructeurs, ou presque, proposent des modèles hybrides ou hybrides rechargeables, mais peu proposent des modèles entièrement électriques (BMW i3, Renault Zoé, Hyundai – Ioniq électrique, Nissan Leaf, Tesla et quelques modèles subsidiaires). Le marché du 100 % électrique n’a représenté que 1 % des ventes totales d’automobiles en 2017, et le constat est également valable pour l’auto-partage, assure Frédéric Fréry, qui pointe du doigt le déficit et le gouffre financier que représente le service Autolib du groupe Bolloré.

Photos de Thomas Taz Cecchelani sur les voitures électriques, alternatives aux véhicules à essence, finalement pas si propres qu'on le pense, selon le professeur de l'ESCP Europe Frédéric Fréry.

L’électrique et l’hybride, un loisir de riche ?

 

Aujourd’hui, à bien regarder le marché de la voiture hybride et électrique, beaucoup des véhicules proposés sont des véhicules haut de gamme, voire très haut de gamme – exceptés certains modèles – : Tesla, Toyota Prius, Peugeot 3008, Mercedes C, Lexus, Ford Mondeo, Kia Optima, Infinity Q50, BMW Active 6, Audi Q5 Hybrid Quattro, Porsche Panamera S Hybrid… Beaucoup de ces véhicules ne sont disponibles à la vente, en neuf, qu’à partir de 35 000 euros, ce qui constitue le plancher bas, certains modèles atteignant aisément 100 000 euros (Tesla, Porsche, Audi). Frédéric Fréry remarque que l’alliance Renault-Nissan, l’un des seuls constructeurs qui essayent de développer un modèle de voiture électrique « populaire », perd de l’argent sur son projet électrique lancé en 2009, même si le groupe est leader de ce marché en Europe et dispose d’une gamme complète dédiée à l’électrique – la renault Zoé représentant, par exemple, près de 75% des ventes de voiture 100% électrique en France. Autrement dit, le marché de la voiture hybride/électrique reste un marché finalement peu abordable pour des ménages aux revenus moyens. La technologie « innovante » que représentent l’hybride et l’électrique semble être devenue, pour les constructeurs, un argument de vente, et, pour les acheteurs, un argument d’achat : la voiture hybride haut de gamme n’est pas tant achetée pour son caractère écologique que pour son caractère innovant, voire « branché ». Socialement et culturellement, l’achat d’un véhicule électrique ou hybride haut de gamme ne fait que renforcer les disparités socio-économiques à l’œuvre dans nos sociétés : une personne qui achète une voiture hybride à six chiffres se donne certainement bonne conscience, convaincue de bien agir pour l’environnement, tandis qu’une personne financièrement incapable d’acheter un tel véhicule, conduisant encore sa vieille automobile thermique, sera taxée de pollueur. Mais souvent, la dimension « propre » du véhicule est reléguée au second plan, et l’acte d’achat représente plus un acte « à la mode », voire marketing, « branché », qu’un acte purement écologique, surtout si l’on considère la manière dont sont produits ces véhicules hybrides et électriques.

 

L’électrique et l’hybride, vraiment du « propre » ?

 

En effet, l’un des paradoxes majeurs du véhicule hybride, et surtout du véhicule 100 % électrique, pourtant présenté comme une technologie « propre », est que, précisément, il ne l’est pas, et ce pour plusieurs raisons. La voiture électrique n’est propre et économique qu’à certaines échelles : celle de l’utilisateur, de la ville et de la rue. En effet, il ne fait aucun doute qu’une voiture électrique ne rejette presque aucun polluant lorsque son moteur tourne – excepté les frictions des freins et des roues qui produisent des particules fines, mais marginalement. Cependant, en variant les échelles de temps et d’espace, l’aspect écologique et propre de la voiture électrique est à nuancer très largement. D’abord, parce que le véhicule électrique nécessite une phase de construction qui, elle, s’avère très polluante. Celle-ci demande environ deux fois plus d’énergie que pour un véhicule thermique à cause des batteries. Le principal problème d’une voiture électrique est donc, paradoxalement, son point stratégique : sa batterie. Car pour fabriquer une batterie Li-ion (lithium-ion), il est nécessaire de disposer, entre-autre, de lithium et de cobalt, deux métaux lourds. Principalement extraits dans les mines d’Amérique du Sud (Argentine, Bolivie, notamment), le lithium engendre de véritables catastrophes environnementales lors de son extraction (injection de produit chimique dans les sols, notamment). Sans oublier le transport pour acheminer ces matières sur les lieux de production européens, américains ou asiatiques. Quant aux mines de cobalt, le même problème environnemental se pose, doublé d’un problème éthique puisque beaucoup de mines de cobalt, situées en Afrique – notamment en République démocratique du Congo – sont souvent contrôlées par des milices armées, et dont la main d’œuvre se compose essentiellement d’enfants. Même si ces batteries seront, à la fin de vie de la voiture, réutilisées et recyclées à 50-75 % comme l’impose la réglementation européenne, elles ne sont environnementalement et éthiquement parlant pas « justes ». Autrement dit, les voitures hybrides et électriques, présentées comme propres, ne font en réalité que déplacer la pollution au lieu de l’annihiler : loin des yeux, loin du cœur, dit le dicton. L’assainissement de l’air de nos grandes métropoles occidentales semble donc se faire au détriment de catastrophes environnementales et éthiques aux quatre coins du monde.

Photos de Thomas Taz Cecchelani sur les voitures électriques, alternatives aux véhicules à essence, finalement pas si propres qu'on le pense, selon le professeur de l'ESCP Europe Frédéric Fréry.

Aussi, l’impact environnemental d’une voiture électrique ne devient-il favorable par rapport à une voiture thermique qu’au bout de 100 000 kilomètres. Cependant, les pollutions qu’engendrent les véhicules électriques, d’une part, et les véhicules thermiques, d’autre part, ne sont pas de même nature : par exemple, l’avantage est donné au véhicule électrique sur un véhicule thermique concernant les rejets d’azote au bout de 60 000 km, 50 000 km pour les gaz à effet de serre et 30 000 km pour l’épuisement des ressources fossiles. Sur l’ensemble de son cycle de vie, un véhicule électrique ne rejettera qu’environ 10 tonnes de Co2 dans l’atmosphère, contre près de 25 tonnes pour un véhicule thermique, et, pour son fonctionnement quotidien, la voiture électrique consomme près de trois fois moins d’énergie qu’un véhicule thermique. Malgré tout, le problème des batteries est récurrent puisque leur fabrication, notamment à cause de l’extraction des métaux lourds et rares, entraîne acidification de l’atmosphère et eutrophisation de l’eau. Sans compter que les batteries se rechargent avec de l’électricité qui, fatalement, requiert des sources d’énergies polluantes (centrale à charbon, nucléaire). Il ne faut donc pas oublier que la pollution est globale, et que la production de ces batteries engendre, finalement, des répercussions pour l’ensemble de la planète et de ses habitants.

 

L’électrique et l’hybride : une question de géopolitique

 

Puisque matière première est souvent synonyme de géopolitique, l’hybride et l’électrique sont des technologies hautement géopolitiques. Les métaux lourds et terres rares nécessaires à la production des batteries constituent en quelque sorte la face cachée de la transition environnementale et recouvrent d’importants enjeux géopolitiques. Les terres rares, contrairement à ce que leur nom indique, ne sont ni des terres, ni rares : ce sont des métaux – 17 au total, dont le cerium, l’yttrium, le scandium -, dont les propriétés « exceptionnelles » sont fortement recherchées dans la fabrication de produits de haute technologie. La production de métaux rares est contrôlée à plus de 95 % par la Chine, qui dispose donc d’un quasi-monopole, sans compter que seul 1 % de ces métaux est recyclé : nos besoins sont donc de plus en plus importants, et Guillaume Pitron, auteur de La guerre des métaux rares, estime que « nos besoins augmentent de 5% par an, [et que] la production est multipliée par deux tous les 15 ans. » Cependant, la question ne porte pas tant sur l’amenuisement des ressources que sur les moyens polluants mis en œuvre pour aller récupérer ces métaux plus profondément, et en quantité toujours plus grande, impactant ainsi gravement certains écosystèmes.

Photos de Thomas Taz Cecchelani sur les voitures électriques, alternatives aux véhicules à essence, finalement pas si propres qu'on le pense, selon le professeur de l'ESCP Europe Frédéric Fréry.

Par ailleurs, l’utilisation des terres rares a un côté pervers : les industriels européens, notamment, qui produisent batteries et autres composants électriques et électroniques, reçoivent des pièces détachées déjà assemblées par la Chine, les métaux lourds y étant donc déjà incorporés. Cela tend alors à diminuer l’effet psychologique de la dépendance à ces métaux en donnant « l’impression d’une abondance », en réalité fausse. La Chine a par exemple, en 2010, instauré un embargo sur les terres rares à destination du Japon, consciente du formidable levier stratégique et géopolitique que celles-ci constituent. En 1992, Deng Xiaoping, numéro un de la république populaire de Chine de 1978 à 1992, affirmait déjà que « les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient ». Frédéric Fréry, interrogé sur le rapport entre environnement, croissance et matières premières, dresse le constat suivant : « Beaucoup d’économistes macros pensent que la formidable croissance que le monde a connue depuis 150 ans tient à la disponibilité d’énergie très peu chère (charbon, pétrole). On se dirige de plus en plus vers un monde – non pas sans pétrole -, mais d’énergie chère. Or, on peut vivre dans un monde d’énergie plus chère si on en consomme moins. ».

Toutefois, certains fabricants, comme Tesla, n’utilisent pas un gramme de néodyne, par exemple, dans la construction de ses batteries, et d’autres entreprises spécialisées dans la fabrication de batteries lithium arrivent désormais à se passer du cobalt.

En réponse au « Dieselgate », pourrions-nous parler d’un « Electricgate », comme l’affirme Guillaume Pitron ? Il est vrai que si l’on raisonne sur l’intégralité du cycle de vie des véhicules électriques, ceux-ci ne semblent en fait que déplacer la pollution, engendrant des problèmes environnementaux, éthiques et géopolitiques. Sur un plan technologique, l’électrique, technologie « voulue », pâtit d’une réputation peu attrayante (manque d’autonomie, notamment) et n’est, semble-il, pas prêt de dépasser l’hybride, « technologie de transition », mais qui semble rassurer ses utilisateurs, et donc devoir perdurer, comme en témoigne son marché toujours plus vaste et varié, et surtout très cher. En bref, l’électrique est-il un leurre technologique, et le tournant écologique relève-t-il de l’hypocrisie ? Il convient, dans tous les cas, de replacer le tout dans un contexte mondial et de varier les échelles pour mieux comprendre les enjeux profonds du véhicule électrique, et ce sur les plans social, culturel, technologique, environnemental et géopolitique.

  1. Frédéric Fréry, « Où en est l’innovation aujourd’hui ? », [En ligne], Entreprendre & Innover, 2013/2 (n°18), De Boeck Supérieur. URL : https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2013-2-page-82.htm
  2. Frédéric Fréry, « Où en est l’innovation aujourd’hui ? », Entreprendre & Innover, 2013/2 (n°18) [En Ligne]. URL : https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2013-2-page-82.htm

 

Marine Ernoult, « Métaux rares : « un véhicule électrique génère presque autant de carbone qu’un diesel », Libération

Marion Roussey, « Les voitures électriques, 100% écologiques ? », Arte, 01/10/2017. 

Laurence Valdés, « Voiture électrique : un véhicule qui pollue quand même », LCI, 10/10/2017.

Michaël Torregrossa, « Voiture électrique : l’impact carbone des batteries au cœur d’une étude suédoise », Automobile Propre, 07/08/2017.