Camille Frasca (rédactrice), Fanny Monier (artiste)
On estime entre 100 000 et 400 000 le nombre d’œuvres d’art confisquées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, l’écart important s’expliquant par la difficulté de vérifier des sources bien souvent détruites à la fin de la guerre. Il est aujourd’hui intéressant de se pencher sur l’histoire de la spoliation nazie et de l’aryanisation à travers l’approche d’historiens contemporains, qui, participant ainsi à un devoir de mémoire, tentent de restructurer l’étude de ces milliers de pillages perpétrés en Europe, processus de domination économique qui a toujours une incidence sur le marché de l’art actuel.
En mars 1938, le baron Louis de Rothschild, industriel important, est arrêté à l’aéroport de Vienne par les SS. Placé en détention, il est finalement autorisé à s’expatrier moyennant une rançon d’environ 5,5 millions de Reichsmarks. Une convention est ensuite signée le 13 juillet 1939 entre le ministère de l’Économie du Reich et les représentants des Rothschild, précisant : « Tous les biens des Rothschild situés dans les frontières du Reich, y compris les collections d’art, deviennent la propriété du Reich. »
La spoliation est, selon le Larousse, « l’action de déposséder par violence ou par ruse ». Sous le régime nazi, la spoliation vise en premier lieu les juifs. Elle va ensuite s’étendre à tous les ennemis du nazisme : francs-maçons, communistes et sociaux-démocrates, notamment. L’aryanisation est quant à elle « l’ensemble des mesures de spoliation visant à transférer la propriété d’entreprises détenues par des personnes d’origine juive à des personnes réputées “aryennes” ». Celle-ci concerne donc des biens privés. D’abord cantonnée à l’Allemagne, elle a, très rapidement, concerné l’Europe entière. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, le terme d’aryanisation n’a pas seulement désigné ce transfert de biens « juifs » mais il a également recouvert l’éviction progressive des juifs de la vie économique, une démarche généralement antérieure à l’aliénation de leurs biens, visant à les isoler du reste de la population. Un corpus de lois autorisant la confiscation des biens fut mis en place envers les « ennemis du peuple et de l’État ». Prise dans son intégralité, l’aryanisation a constitué l’un des plus grands transferts de propriété qu’ait connu l’histoire.
Ce sont les lois de Nuremberg, adoptées en septembre 1935, qui donnent une base légale à l’aryanisation. Ces lois définissent des « catégories raciales » dans la société allemande. Les interdictions diverses encouragent les juifs à émigrer. C’est l’année 1938 qui marque le passage à une nouvelle phase du processus antisémite : la spoliation. Par un décret tenu secret, datant du 4 janvier 1938, sont déterminées les modalités de distinction entre entreprises allemandes et entreprises juives. L’aryanisation des biens juifs trouve ensuite sa légalité dans un décret du 12 novembre 1938, initié par Hermann Goering, lors d’une réunion, après la nuit de Cristal. Les biens visés sont avant tout les grands magasins ainsi que les usines. Le décret stipule que ces biens devront avoir changé de propriétaires pour le 1er janvier 1939, soit un mois et demi plus tard. Les juifs sont alors obligés de les céder à bas prix aux Allemands et en particulier aux membres du parti. Selon le territoire, cette politique varie : l’Europe de l’Est la subit notamment le plus violemment et l’Autriche est un terrain d’essai. On prévoit la germanisation de l’économie autrichienne avec comme condition préalable de confisquer l’ensemble des avoirs économiques et des biens privés de juifs autrichiens.
Le but de l’aryanisation est, en premier lieu, économique. Cependant, l’histoire des spoliations se heurte à un obstacle : le mobile antisémite. Ce mobile rend difficile son insertion dans l’historiographie traditionnelle de la politique économique. Les historiens qui se sont penchés sur les politiques économiques mondiales ont généralement développé les thèmes de budget de l’État, de croissance, et d’emploi. Or, l’aryanisation, et sa conséquence, la spoliation, résultent surtout d’un projet idéologique irrationnel. « Polémique » est ainsi le terme qui alimente l’histoire de l’aryanisation et des spoliations nazies durant la Seconde Guerre mondiale. Les études menées depuis par les historiens et les historiens de l’art ont toujours été au cœur de débats houleux. Se pencher essentiellement sur la spoliation des œuvres d’art, un des piliers de la politique de spoliation nazie, permet de se rendre compte de la volonté de l’État nazi de créer deux histoires de l’art – l’une dite « dégénérée » et l’autre « officielle ». Il s’agit également de se rendre compte des conséquences de la spoliation, dont les retentissements sont encore au cœur de débats contemporains. À la sortie de la guerre, beaucoup d’œuvres ont en effet été détruites mais de nombreuses ont également été perdues, récupérées par des familles, transférées à l’étranger ou vendues lors de ventes aux enchères. Aujourd’hui, un grand nombre d’institutions muséales ont dans leurs collections des œuvres provenant des spoliations. Depuis une vingtaine d’années, ce débat est relancé par les héritiers des familles spoliées, et par les institutions culturelles elles-mêmes qui réagissent sur l’histoire de leurs collections.
Une approche historique complexe : l’étude de l’aryanisation et des spoliations
En premier lieu, c’est le contexte même de la guerre qui a compliqué l’étude sur l’aryanisation et les spoliations : après un long moment de silence dû à la volonté de « tirer un trait » sur l’horreur du passé, c’est l’extermination qui a concentré l’attention des chercheurs dès les années 1960-1970. La mémoire du génocide a occulté celle de la spoliation. Comme le souligne Claire Andrieu, historienne spécialisée dans l’histoire politique française :
« Comment mettre en avant la perte des biens matériels lorsqu’on a perdu des membres de sa famille ? Et pourquoi rappeler une période de stigmatisation et d’humiliation subies lorsque l’on cherche la réintégration ? Le fait est que, même aujourd’hui, à “l’ère des témoins”, le souvenir concret et circonstancié de “l’aryanisation” semble perdu1. »
En outre, la spoliation est liée à la politique d’extermination : comme l’a montré l’historien américain Raul Hilberg, dans son étude sur La destruction des Juifs d’Europe2, le processus global nazi envers les juifs contient les étapes de : « définition – spoliation – concentration – extermination ». Et ce processus offre de nombreuses variantes comme en France où la plupart des juifs ont subi des spoliations tandis que la déportation en a concerné 25 %.
Alors que l’aryanisation et la spoliation n’ont inspiré presque aucun récit autobiographique, des historiens pionniers se sont penchés sur ces événements
Tandis que la guerre en elle-même et l’Occupation ont, dès la Libération, fait l’objet de très nombreuses publications, le premier ouvrage universitaire exclusivement consacré à l’aryanisation et à la spoliation n’est paru qu’en 19993.Cette lacune est souvent le fruit d’une volonté, chez certains, de tirer un trait final sur le conflit et l’horreur qu’il a engendrée. Cette absence de témoignages directs des événements est un vide qui empêche l’historien de se plonger dans les sources. Un seul récit, paru en 2001 – l’exception confirme la règle – est à citer : celui d’un coiffeur juif qui raconte son expérience, en France, de la spoliation4.
Parmi les premiers ayant écrit sur le sujet, l’historien russe Joseph Billig réfugié en France et Raul Hilberg aux États-Unis ont publié leurs ouvrages entre 1955 et 1961, relativement tôt donc5, ce qui constitue la première phase, selon Claire Andrieu, de l’historiographie à ce sujet, phase qui va s’étendre jusqu’aux années 1970. Selon elle, « leurs ouvrages sont les seuls à traiter sur un mode scientifique de la spoliation ». Ils bénéficient d’autant plus de force que les deux hommes ont été des témoins directs des faits.
Une deuxième et une troisième génération d’historiens
Un mouvement de redécouverte du régime de Vichy s’engage dans les années 1970 et, dans les années 1980, on dresse le portrait véritable d’une France « collabo ». Les études les plus poussées qui évoquent ce sujet sont celles de Michael Marrus et de Robert Paxton, dans Vichy et les juifs, paru en 1981. Les auteurs mettent en avant le rôle de Vichy dans la collaboration, en présentant de nombreux faits et en décrivant la spoliation comme « un déchaînement de convoitises6 » C’est à ce moment que les spoliations perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale deviennent un objet de recherche autonome dans le monde universitaire. Or, l’absence d’expérience vécue par les auteurs eux-mêmes joue un rôle dans l’écriture de l’histoire. C’est le phénomène de la « deuxième génération ». Alors que les pionniers se penchent sur le fonctionnement général, la génération suivante d’historiens utilise comme critère d’évaluation la morale. Cette génération d’historiens des années 1980 en rencontre une troisième dans les années 1990, qui cherche notamment à créer un récit autour de la vie des juifs sous l’Occupation, par maints détails, formant une sorte de synthèse. Parmi ces détails, les spoliations font souvent l’objet d’un chapitre, comme c’est le cas dans l’ouvrage de Renée Poznanski7. Bien qu’elles concernent en premier lieu les biens économiques classiques comme les industries ou les commerces, l’aryanisation et la spoliation vont également toucher un autre type d’économie, les biens culturels. Car ce qui s’est passé durant la Seconde Guerre mondiale peut être replacé dans une histoire guerrière plus générale, celle des trophées de guerre : depuis l’Antiquité, avec Verrès dépouillant les temples de Sicile, en passant par les armées napoléoniennes vidant l’Italie de ses chefs-d’œuvre, pour aller jusqu’aux nazis. Les guerres ont très souvent impliqué le pillage, le vol, et la spoliation d’œuvres d’art.
Ainsi, depuis les années 1995-2000, d’autres types de travaux historiographiques se concentrent sur les spoliations en les abordant notamment sous l’angle de la politique culturelle, qui fait partie d’une politique économique, tout en ayant un caractère bien spécifique. Ces travaux sont à mettre en lien avec une actualité : les restitutions d’œuvres par de grands musées européens, les procès sur le sujet, et les découvertes fortuites.
La spoliation des biens culturels, parmi les premières spoliations, a nourri de nouvelles recherches historiques
« Freinés dans leurs efforts pour déporter tous les juifs français, les Allemands se jetèrent sur les biens de la communauté juive. Dans ce domaine, l’administration rencontra un peu plus de succès car, si beaucoup de juifs parvinrent à se cacher, ils ne purent en revanche dissimuler leurs biens. La confiscation de ces biens s’opéra en trois phases : elle commença par une chasse aux œuvres d’art, s’étendit à la saisie du mobilier et s’acheva avec la séquestration des avoirs en espèce8. »
Une spoliation économique ayant eu un impact dans le transfert du marché de l’art de l’Europe vers les États-Unis
Comme le montre cette citation de Raul Hilberg, la spoliation des biens juifs – ici français – serait un choix réalisé presque par dépit, faute de n’avoir pu envoyer la totalité des juifs dans les camps. Raul Hilberg considère également que la spoliation des biens culturels a été le premier mécanisme utilisé par les nazis dans leur processus global de confiscation, entrant par la suite dans la politique économique du Troisième Reich. Les biens culturels et le marché de l’art, espaces de construction d’un marché et d’une identité, furent au cœur d’une pratique de dépossession, et ce, dès le début, marqué par la connaissance de plus en plus précise du milieu de l’art, acquise par les nazis, dès la fin des années 1930.
C’est ce que remarque André Gob9 : les nazis placent sous leur joug plusieurs galeries d’art, comme celle de Paul Rosenberg, ou des Frères Seligmann. Certains galeristes parviennent à contourner l’aryanisation en cédant leur fond à des personnes non-juives, comme Daniel-Henry Kahnweiler qui vendit sa galerie à sa belle-fille Louise Leiris. Ce phénomène a une retombée importante sur le marché de l’art européen en le déstabilisant, amenant à s’interroger sur la part de responsabilité de l’aryanisation dans le déplacement du marché de l’art vers les États-Unis.
Tout en s’attaquant au monde des galeries, la politique du Troisième Reich a également visé les collectionneurs privés juifs : des collections entières sont confisquées, comportant des œuvres exceptionnelles de grands maîtres européens. Dès cette époque, Hitler a un pouvoir de préemption sur tous les biens artistiques appartenant au Reich ou confisqués au nom de celui-ci. C’est ce que l’on appelle la « Fuhrer Vorbehalt » c’est-à-dire la part réservée d’Hitler. D’abord limité à l’Autriche, ce droit est ensuite étendu à tous les territoires occupés par le Reich. Le Führer poursuit ainsi un but officiel : le rassemblement de collections en vue de la création d’un immense musée à Linz. Une politique de saisie se met alors en place jusqu’en 1944.
En France, la spoliation artistique nazie est particulière : Paris est la capitale mondiale de l’art, elle présente donc un grand intérêt pour les nazis et davantage de collections privées juives s’y trouvent.
Une spoliation culturelle visant à détruire l’identité juive
Une lettre de l’ERR10 du 3 novembre 1941 au conservateur du Louvre et directeur des musées nationaux, Jacques Jaujard, situe parfaitement le cadre des spoliations nazies en France :
« Il n’a pas été saisi d’objets d’art appartenant à l’État français ni à des particuliers français non juifs. Les motifs de la saisie d’objets d’art appartenant à des juifs étaient les suivants (…) la guerre contre le Grand Reich allemand a été poussée spécialement par la juiverie et la franc-maçonnerie11 »
Les collections nationales françaises ne furent ainsi nullement inquiétées durant cette période : les nazis auraient pu s’en emparer, car les collections de l’État et les collections appartenant à des juifs français étaient dans les mêmes dépôts. En définitive donc, les opérations de spoliation du régime nazi ont été presque exclusivement dirigées contre les juifs et accessoirement contre les francs-maçons et les opposants politiques.
Restitutions et réparations : une plaie toujours vive en Europe
Au sortir de la guerre, aucune controverse n’existe chez les Alliés quant au fait de rendre les biens spoliés. Cependant, comment faire ? Il s’agit de définir une politique, ce qui n’est pas chose aisée vu l’ampleur de la tâche. Comme le remarque l’historien américain Gerald D. Feldman en parlant des restitutions, « lorsqu’on aborde ce thème aussi complexe que douloureux, on se trouve devant le problème de l’ampleur des spoliations à inventorier, qui, sans être aussi terrifiantes que les meurtres qui les ont accompagnées, n’en sont pas moins atterrantes12 . »
Les études historiques permettent de montrer que se sont mises en place de véritables politiques qui ont rencontré de nombreuses difficultés matérielles, comme en Europe de l’Est, où il a fallu attendre l’effondrement du communisme pour que soit admise la notion de « réparation ». En se centrant sur cette part « matérielle », les historiens ont concentré leurs études sur la pratique des droits de l’homme et sur les politiques engagées. Deux cycles identifiés par les historiens peuvent être dégagés :
- l’après-guerre immédiat, celui des restitutions de biens, des indemnisations financières et des réparations matérielles ;
- l’après-guerre Froide avec de nouvelles vagues d’indemnisations, des restitutions matérielles et, au-delà, une volonté de réparation morale.
Les termes de « restitutions » et de « réparations » sont deux notions différentes, explicitées notamment par Claire Andrieu : « La restitution signifie le retour matériel des biens et n’a pas de connotation morale, tandis que le terme de “réparation” peut être employé au figuré. L’idée de réparation n’était pas absente de la politique de restitution, mais elle ne semble pas en avoir influencé la pratique. »
Au sortir de la guerre : d’une politique de restitution à des procédures d’indemnisation
Les premières réflexions au sujet des spoliations et des restitutions remontent avant même la fin de la guerre : C’est en janvier 1943 que les Alliés proclament à Londres la nullité de tous les actes de spoliation. Dans un même temps, le gouvernement américain reçoit plusieurs milliers de requêtes de juifs allemands et autrichiens, devenus citoyens américains. Plusieurs actions se mettent en place du côté des Alliés comme le MFAA (Monuments, Fine Arts, and Archives program), un groupe créé en juin 1943 par le général Eisenhower, afin de récupérer les œuvres d’art dérobées par les nazis. Pour ce qui est de la France, dès la fin de la guerre, les restitutions s’appuient sur les documents produits par le gouvernement de Vichy lui-même, afin de retrouver les possesseurs encore en vie. Les œuvres non réclamées sont confiées à la garde des musées nationaux, par décret du 30 septembre 1949 : elles sont alors renommées MNR (Musées nationaux récupération) et doivent être exposées au public et inscrites sur un inventaire provisoire mis à la disposition de toute personne spoliée désirant récupérer ses biens. Pour ce qui est de l’Allemagne, l’attitude est complexe : comme le montr l’historien allemand Constantin Goschler, le peuple allemand s’exprime majoritairement contre la restitution des biens juifs en 195213. En effet, la restitution des biens entraîne des confrontations directes entre les propriétaires juifs d’origine et leurs nouveaux possesseurs, ce qui agite beaucoup l’opinion publique. Pourtant, la mise en place de la Treuhandverwaltng von Kulturgut (Administration fiduciaire pour les biens culturels) de 1952 à 1962 montre un réel effort : cette administration s’appuie sur les informations réunies au travers des listes établies ainsi que sur diverses enquêtes menées après-guerre. Toujours selon Constantin Goschler, la réflexion sur les spoliations évolue et amène la RFA à passer d’une politique de restitution à une politique d’indemnisation : la loi BRüG du 19 juillet 1957 prévoit ainsi l’indemnisation des victimes de spoliations survenues dans les territoires occupés par l’armée allemande, lorsqu’il est établi que les biens spoliés ont été transportés sur le territoire d’application de la loi, c’est à dire en RFA et à Berlin. Il s’agit d’une loi complexe qui n’englobe pas le problème dans sa totalité, laissant les spoliés dans des situations très inégales face à leur droit à l’indemnisation.
Une seconde phase à partir des années 1990 : vers une nouvelle dynamique
Les études historiques tendent à montrer qu’à partir des années 1990 a émergé une nouvelle dynamique vers la progression de la recherche des spoliations, et de leur indemnisation. En 1996, en France, sur demande du CRIF et de plusieurs associations juives, le gouvernement rouvre le dossier des spoliations. Alain Juppé confie alors l’année suivante à Jean Mattéoli la présidence d’une « Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France ». Dans son rapport, la mission a notamment évalué les taux de restitution en France : elle note qu’environ 90 % des entreprises, immeubles, ventes d’actions et prélèvements sur comptes bancaires furent restitués. Cependant, il montre la grande inégalité de ces restitutions, du fait de la différence de valeurs des biens.
En parallèle, est créée en 1999 la CIVS, Commission d’indemnisation des victimes de spoliations. Cette dernière continue d’attribuer des indemnisations individuelles en répondant aux demandes des personnes spoliées ou de leurs héritiers.
Face à ces revendications, la direction des Musées de France s’est inquiétée du sort des MNR, et a organisé à Paris en novembre 1996 un colloque intitulé « Pillage et restitutions, le destin des œuvres d’art sorties de France pendant la Seconde Guerre mondiale ». La poursuite du travail sur la provenance des MNR a abouti en 2004 à l’édition d’un Catalogue des peintures MNR. La direction des Musées de France a ensuite interrogé la Chancellerie et le Conseil d’État14. La Cour des comptes a également donné son avis sur la question mais le statut des MNR est pour l’instant resté en l’état.
Après des négociations internationales laborieuses, la fondation « Mémoire, Responsabilité et Avenir » a été créée en Allemagne en 2000 visant à combler les failles subsistant dans les lois de restitution existantes. La France a signé les accords de Washington le 18 janvier 2001 sur les avoirs juifs durant la période de l’Holocauste, avec quarante autres pays qui s’engagent notamment à harmoniser les procédures nationales de restitutions.
Produits d’une « demande sociale d’histoire15», les commissions se multiplient à notre époque, ainsi que les rapports et les colloques. Constantin Goschler souligne que la question de la restitution des biens juifs n’est pas près de disparaître de l’horizon politique, et note que « si l’universalisation du génocide a été un préalable essentiel à la vague récente et féconde de demandes de restitution de biens juifs, elle pourrait également avoir pour conséquence involontaire de présenter la persécution des juifs et leur spoliation sous le IIIe Reich comme un cas d’injustice historique parmi d’autres. » Et il ne faudrait justement pas qu’elle passe pour « un cas parmi d’autres », mais qu’elle ait une dimension spéciale, pour que sa mémoire reste et survive. La dimension morale a ainsi peu à peu remplacé le terme de « restitution » par celui de « réparation » dans les discours.
- Claire Andrieu, « Écrire l’histoire des spoliations antisémites (France, 1940-1944) », Histoire@Politique, 2009/3 n° 09, p. 94-94.
- Raul Hilberg, The Destruction of the European Jews, Chicago, Quadrangle, 1961, (première édition) ; 2e éd. 1967 ; 3e éd. bei Holmes & Meier, New York, 1973 ; 4e éd. Publisher Franklin Watts, 1985.
- Philippe Verheyde, Les mauvais comptes de Vichy. L’aryanisation des entreprises juives, Paris, Perrin, 1999.
- Albert Grunberg, Journal d’un coiffeur juif à Paris, sous l’Occupation, Éditions de l’Atelier, 2001.
- Leurs publications majeures, Le Commissariat général aux questions juives pour Joseph Billig et La destruction des Juifs d’Europe pour Raul Hilberg, sont parues presque simultanément.
- Michael Marrus & Robert Paxton, Vichy et les juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 144-153 et p. 271- 272.
- Renée Poznanski, Être juif en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994.
- Raul Hilberg, La destruction des juifs en Europe, trois volumes, Gallimard, 2006 réédition, p.1219.
- André Gob, Des musées au-dessus de tout soupçon, Armand Colin, 2007.
- L’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, équipe d’intervention dirigée par Alfred Rosenberg ayant effectué d’importantes confiscations de biens juifs.
- Archives Rothschild, lettre citée d’après Elie de Rothschild dans Pillages et Restitutions, p.60.
- Gerald D. Feldman, « Conclusion. Le génocide et la spoliation des juifs. Bilan provisoire des restitutions et des indemnisations », in Constantin Goschler et al., Spoliations et restitutions des biens juifs en Europe , Autrement « Mémoires/Histoire », 2007 p. 372-385.
- Constantin Goschler, « La politique de restitution en Allemagne après 1945 », in Constantin Goschler et al., Spoliations et restitutions des biens juifs en Europe , Autrement « Mémoires/Histoire », 2007 p. 175-176.
- Décision du Conseil d’État du 30 Juillet 2014 : http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Spoliation-d-oeuvres-d-art
- Claire Andrieu, « Écrire l’histoire des spoliations antisémites (France, 1940-1944) , Histoire@Politique, 2009/3 n° 09, DOI : 10.3917/hp.009.0094.