Par Paulin Hoegy (rédacteur) et Su Zo (artiste)
Alors que le dernier opus de la saga Star Wars réalise le deuxième meilleur démarrage commercial de l’histoire du cinéma américain*, c’est un tout autre événement, ces dernières semaines, qui retient l’attention des cinéphiles les plus avertis. En effet, l’annonce du rachat de la majorité des actifs du groupe 21st Century Fox par l’un de ses principaux concurrents, The Walt Disney Company, a fait l’effet d’une bombe dans le petit monde de l’industrie cinématographique. Après Pixar en 2006, Marvel Entertainment en 2009 et Lucasfilm (la société détentrice de la saga Star Wars) en 2012, l’Empire Mickey continue son festin et dévore un à un ses principaux concurrents. Et, cette fois, la souris aux grandes oreilles s’attaque à un morceau de choix, la 21st Century Fox, la société détentrice, entre autres, du très célèbre studio de cinéma 20th Century Fox, titulaire de nombreuses licences cinématographiques. D’Avatar à X-Men, en passant par Alien ou La Planète des singes, les derniers blockbusters qui manquaient à la collection Disney viennent, pour la plupart, de tomber dans son escarcelle. Une acquisition qui donne la part du lion aux studios Disney sur le marché du cinéma et qui sonne la fin de la récréation dans la galaxie de l’audiovisuel. Mais, outre l’opération financière faramineuse, évaluée à 66,1 milliards de dollars*, ce mariage de raison entre deux des plus gros poids lourds du cinéma dévoile surtout l’aube d’une nouvelle ère pour le divertissement. Bref retour sur une histoire dans laquelle Mickey Mouse, la souris, mange Fox, le renard, et une belle part du gâteau audiovisuel mondial.
« Il était une fois l’histoire d’un Royaume appelé The Walt Disney Company. Colosse du divertissement mondial, ce pays aux mille richesses venait de conquérir les terres de l’un de ses principaux rivaux, 21st Century Fox. » C’est à quelques détails près comme cela qu’aurait pu commencer le récit de la plus incroyable des sagas financières de l’histoire du cinéma. Une fusion entre deux des studios les plus célèbres des États-Unis, devenus au fil du temps symboles de l’hégémonie de l’Oncle Sam sur le cinéma mondial. Une opération financière qui résonne avant tout comme une reprise en main du secteur audiovisuel. Une stratégie claire et dissuasive qu’entreprend Disney, qui s’impose désormais comme le premier acteur du cinéma US (avec 30% de parts de marché). * Même si l’on ne connaît pas encore tous les tenants et les aboutissants de cette opération financière estimée à 66,1 milliards de dollars (52,4 milliards de dollars pour le rachat et 13,7 milliards de dollars pour la dette Fox), ce deal historique marque une belle occasion de se pencher sur l’histoire de ces deux firmes, parmi les plus emblématiques d’Hollywood.
Made in America
L’odyssée commence en 1915, à une époque où les États-Unis vivent encore dans l’insouciance de la paix, bien que le reste du monde soit déjà plongé dans le chaos et les horreurs de la Grande Guerre. William Fox, un jeune juif originaire d’Europe de l’Est, réfugié aux États Unis, décide de créer une petite entreprise spécialisée dans le cinéma. Aux prémisses d’un art, qui n’est pas encore reconnu comme tel. Sa société, baptisée Fox Film, se concentre avant tout sur l’acquisition et la construction de cinémas, ne devenant un pilier d’Hollywood et de la production cinématographique qu’à l’orée des années 20.
Dans le même temps, en 1923, Walt Disney, un jeune dessinateur, décide de lancer, en compagnie de son frère, une entreprise de court métrage d’animation, appelée Disney Brothers Studios, bientôt rebaptisée The Walt Disney Company. Une firme familiale qui connaîtra la célébrité en 1928, lors du premier passage à l’écran de son personnage phare, Mickey Mouse. Mais ce n’est que dans les années 30 que les frères Disney révolutionnent le genre en créant le premier long métrage d’animation, Blanche Neige et les 7 nains (1937). Un succès énorme, qui permettra à l’entreprise de se développer durant les deux décennies qui suivirent.
Les années 30 ne seront en revanche pas très fructueuses pour la société Fox Film qui, malgré son incroyable essor durant les années folles, voit son succès stoppé par le krach économique de 1929. Un jeudi noir qui mènera William Fox à la ruine, lui qui ne devra le salut de son entreprise qu’à la fusion opérée avec la jeune et solide Twentieth Century Pictures. Un rapprochement qui permettra à la Fox, en quelques années, de figurer parmi les studios les plus influents d’Hollywood. Pour former ce que l’on appellera plus tard le Big Six : un groupe composé de Disney, Universal, la Paramount, la Warner Bros, Sony, et bien sûr la Fox. Des sociétés, qui constituent encore aujourd’hui le fer de lance du soft power américain. Car, à travers l’influence qu’exerce la machine hollywoodienne sur l’industrie mondiale du cinéma, le prisme politique, social et culturel américain s’est imposé aux quatre coins du globe. Des films de Charlie Chaplin en passant par La Fureur de vivre, Easy Rider ou Saturday Night Fever, nombreuses sont les créations des studios californiens à avoir influencé les générations du monde entier, participant grandement à la culture du monde globalisée d’aujourd’hui. Car ses contenus audiovisuels lui auront permis de transmettre des représentations et des valeurs à son image, qui ont fini par s’imposer aux autres cultures. En d’autres termes, un « way of life » nord-américain exporté et repris sur les quatre continents grâce aux – ou à cause des – modèles forgés par Hollywood.
Une influence de par le monde, qui va définitivement s’instaurer avec le deuxième conflit mondial. Une période qui correspond, d’ailleurs, à l’un des âges d’or des studios hollywoodiens. À l’image de Disney qui s’est pleinement lancé dans le long métrage d’animation avec Dumbo en 1941, puis Cendrillon en 1950, et enfin Alice au pays des Merveilles en 1951. Ce n’est qu’en 1955 que Walt Disney donne une nouvelle dimension à son entreprise en ouvrant l’un des premiers parcs à thèmes au monde, le Parc Disney, dans le Sud de la Californie. Une diversification des activités qui fera de la souris la plus célèbre du monde l’heureuse propriétaire de trente-deux hôtels, onze parcs à thèmes, six labels de musique et deux parcs aquatiques. La firme spécialisée dans le dessin animé s’est donc imposée au fil du temps comme l’un des principaux piliers de l’industrie du loisir à travers le monde.
Une stratégie de diversification dont va s’inspirer, en 1985, le tout nouveau propriétaire de la 20th Century Fox, le milliardaire australo-américain Rupert Murdoch (qui cédera la Fox à Disney en 2017). En effet, le magnat de la presse, qui vient d’acquérir les studios Fox, décide notamment de développer au sein de son groupe des chaînes de télévision avec, à la clé, la création de programmes adaptés au petit écran tels que Les Simpson lancés en 1989 ou The Shield en 2002. Mais le groupe, qui sera bientôt rebaptisé The 21st Century Fox, n’en oublie pas pour autant ses premières amours avec le 7e art, en demeurant un acteur important de la sphère hollywoodienne. En témoigne le succès planétaire de Titanic en 1997, récompensé de 11 oscars (le record de Ben-Hur en 1959 est égalé), ou celui d’Avatar de James Cameron en 2009, qui a généré plus de 2,8 milliards de dollars de recettes. *
Des réussites commerciales qui ont fait de l’ombre au rival Disney, lequel, pour conserver sa place sur le marché du cinéma, a pris le parti de s’orienter vers le rachat de ses principaux concurrents (Miramax, Pixar, Marvel, LucasFilm). Mais ce festin ne semble pas rassasier Mickey, qui semble bien décidé à imposer sa suprématie sur l’industrie du divertissement mondial. Un objectif devenu réalisable depuis la fusion avec la Fox en 2017.
Fantastic Mister Fox
Avec ce rachat, le plus important de son histoire, The Walt Disney Company s’octroie une place de choix sur l’échiquier cinématographique mondial. Disney peut, en effet, se targuer d’avoir récupéré avec cette acquisition, l’un des plus beaux catalogues de films du cinéma, alors même que le sien était déjà bien fourni. Par cette opération, l’Empire Mickey se rend donc acquéreur de franchises au succès planétaire, telles que La Planète des Singes, Les Quatre Fantastiques, Die Hard, Titanic et le premier Star Wars (dont la Fox détenait les droits de distribution). Mais aussi Alien, X Men, Kingsman, Deadpool et l’Age de Glace, sans oublier des sagas plus anciennes comme Maman j’ai raté l’avion ou la Nuit au Musée. En somme, un véritable trésor.
Ces films populaires ont un point commun : ils ont tous fait l’objet d’un marketing intense ayant pour but la vente massive de produits dérivés. Une poule aux œufs d’or qui fait saliver la souris qui pourrait se laisser tenter par la création de superproductions mêlant plusieurs franchises, à l’image du succès il y a plusieurs années du film Alien vs. Predator. Des succès potentiels qui laisseraient au studio hollywoodien des possibilités infinies de créations. Enfin, l’Empire Disney pourrait aussi vouloir profiter du succès de certains de ses anciens blockbusters en proposant par exemple à la vente le coffret complet de la collection Star Wars et exaucer ainsi le voeu de nombreux fans. Du jamais vu dans l’histoire de la saga.
Mieux encore, l’importance de cette union réside dans sa complémentarité. Car Disney est à la pointe du divertissement pour enfants quand la Fox l’est auprès des adolescents et des jeunes adultes. Des classes d’âge cœur de cible des producteurs, compte tenu de leur importance sur le marché très prisé des produits dérivés. Des horizons de bénéfices inégalés ouverts à Disney.
Les activités se trouvent également diversifiées. Ainsi, outre la prise de pouvoir dans le petit monde des salles obscures, Disney vient de récupérer une société qui n’est pas seulement dédiée à la production pour le cinéma. Le rachat de la Fox par Disney inclut le fameux 20th Century Fox Television, studio à l’origine de nombreuses séries télévisées parmi lesquelles Homeland, Les Simpsons, Sons of Anarchy, Futurama, American Horror Story, Modern Family, Fargo, 24 heures chrono, Empire. Bref, que du lourd ! La Fox est l’un des producteurs les plus prolifiques de séries TV aux États-Unis et dans le monde. Dans le deal, Disney récupère aussi 30% de Hulu, une grande plateforme de distribution américaine spécialisée dans le streaming. Il fait donc son entrée sur le marché des plateformes audiovisuelles, un secteur pour le moment contrôlé par les nouveaux acteurs du numérique comme Netflix ou Amazon.
Par ailleurs, The Walt Disney Company, par cette fusion, fait main basse sur toute une galaxie de chaînes de télévisions et de réseaux par satellite qui prospèrent à travers le monde. Disney vient ainsi d’acquérir les groupes télévisuels FX et National Geographic, deux poids lourds du petit écran.
Sans oublier que le nouveau consortium va contrôler 39 % de la chaîne britannique Sky, un leader européen de la télévision, racheté il y a un an 15 milliards de dollars* par la famille Murdoch. S’ajoutent encore à la transaction 22 chaînes régionales spécialisées dans le sport ainsi que plusieurs chaînes étrangères par satellite comme le groupe Star India, un gigantesque réseau câblé indien qui compte près de 650 millions de téléspectateurs chaque semaine*. Des éléments qui viennent enrichir le catalogue de 150 chaînes de télévision que détient déjà Disney (ABC, ESPN, Disney Channel etc.). Bref, le groupe « Disney-Fox », conglomérat de médias, se taille la part belle sur le marché de l’audiovisuel mondial.
L’Empire contre-attaque
La Guerre des mondes ! Cette gigantesque opération financière prouve en effet que les studios historiques ont pris la mesure de la menace que faisaient peser sur leur hégémonie les nouveaux géants du numérique tels que Netflix, Amazon ou Apple.
Pour Disney, qui vit en grande partie du revenu de ses chaînes câblées, la menace Netflix était devenue trop prégnante. Trop pressante. Les experts ont en effet observé qu’une partie des clients perdus par Disney sur son réseau de chaînes étaient désormais inscrits sur la plateforme de son nouveau rival. Un principe de vases communicants qui risquait, à terme, de mettre en péril les studios Walt Disney. D’autant que ces jeunes rivaux aux dents longues ont désormais l’ambition de concurrencer les grands studios hollywoodiens dans la création de contenu numérique. Netflix vient par exemple d’annoncer qu’il allait investir 8 milliards de dollars dans ses propres productions*.
Une menace prise très au sérieux par l’ancien propriétaire de la Fox Ruppert Murdoch qui confiait au moment de l’annonce du rachat : « Les entreprises de nouvelles technologies de la Silicon Valley se mettent désormais à dépenser des dizaines et des dizaines de milliards dans le divertissement audiovisuel, donc cet accord faisait sens. » Un accord dans lequel le magnat de la presse va récupérer tout de même 5% des actions Disney, une société actuellement valorisée à 180 milliards de dollars*.
Mais, bien plus qu’une simple opération financière, cette transaction permet à Disney de couper l’herbe sous le pied de ses nouveaux rivaux du numérique. Ces derniers s’apprêtent en effet à faire leurs adieux aux nombreuses productions et licences « Disney-Fox » qui ne seront plus diffusées sur leurs plateformes numériques. Une tactique d’affaiblissement conçue par le boss de Disney, Bob Iger, qui annonçait il y a quelques mois qu’à partir de 2019, Netflix n’aurait plus accès au catalogue Disney.
Et la contre-offensive ne s’arrête pas là, puisque le P-DG souhaite que son groupe concurrence désormais les acteurs du numérique sur leur propre terrain : le streaming. Et avec la Fox dans son giron, Disney aura davantage de contenus à offrir à sa nouvelle plateforme de distribution spécialisée Hulu (acquise dans le deal avec la Fox), mais aussi sur sa future plateforme de streaming vidéo qui sera lancée l’année prochaine.
Cette stratégie d’union pourrait néanmoins se retourner contre Disney. Car, en dépit du soutien affiché par le président Donald Trump à cette transaction historique, la Federal Trade Commission (FTC), l’autorité de la concurrence américaine, garde un œil attentif sur cette synergie. En effet, l’institution indépendante est chargée d’empêcher la constitution de conglomérats trop importants sur les marchés et n’hésite pas à bloquer des fusions entre sociétés de trop gros calibres. En témoigne la tentative d’acquisition en 2017 de la société Time Warner (studios Warner Bros, chaînes HBO et CNN) par le géant des télécoms AT&T pour 85,4 milliards de dollars.
Or à eux deux, La Fox et Disney ont représenté près de 40% des recettes du box-office américain en 2017*, créant de fait une situation préférentielle sur le marché du cinéma pour le nouvel acteur. Pourtant, contrairement au cas « Warner-AT&T », il est probable que cette transaction soit finalement validée par la FTC. Car dans ce cas précis, l’opération financière est une fusion « horizontale », c’est-à-dire une union entre deux entreprises du même secteur. Or, l’autorité de la concurrence américaine a souvent autorisé de telles associations, au motif que la perte d’un seul acteur sur le marché (il ne serait plus que 5 studios historiques en l’espèce) n’entraînerait pas une baisse de concurrence susceptible de constituer une situation monopolistique.
Dans cette affaire, ce sont plutôt les actifs relatifs aux réseaux télévisuels qui poseront problème. Afin d’éviter qu’il n’y ait trop de concentration des pouvoirs dans ce secteur stratégique, il se pourrait que l’autorité américaine retoque une partie du deal Disney-Fox. Exigeant le retrait de certains actifs du rachat, comme, par exemple, certaines chaînes de télévision. Mais si, dans l’ensemble, la décision devait s’avérer positive, cela engendrerait une prise de pouvoir sans précédent d’une société privée sur la sphère audiovisuelle et, plus largement, instaurerait son hégémonie sur l’industrie des loisirs aux quatre coins du monde. Réponse définitive de la justice américaine à l’horizon 2019.