Eric Vanderhaegen (artiste), Jan Jagellarde (rédacteur)
George Weah est une ancienne gloire du football mondial. En 1995, l’ancien joueur du PSG et de Monaco est devenu le premier et unique joueur africain à être récompensé par un Ballon d’or, la plus haute distinction individuelle de ce sport. Un peu plus de 20 ans plus tard, cet enfant des bidonvilles est devenu le président du Libéria. Retour sur un destin invraisemblable et sur une élection qui, bien que largement saluée par la communautée internationale, soulève plusieurs questions.
L’enfant du ghetto de Monrovia, ancienne gloire du football mondial récompensée par un Ballon d’or, a été investi le 22 janvier dernier à la présidence du Libéria. Âgé de 51 ans, il succède à Ellen Johnson Sirleaf, la première femme élue chef d’État sur le continent, en 2005. Il s’agit de la première transition démocratique du pays : c’est la première fois dans l’histoire du Libéria qu’un président élu au suffrage universel cède sa place à un autre président élu au suffrage universel. George Weah incarne non seulement la figure d’une démocratie pérenne dans un pays dévasté par la guerre civile et la corruption, mais également l’espoir d’un changement profond.
Son destin romanesque y est pour quelque chose. Le parcours extraordinaire du nouveau chef d’État, davantage que son programme électoral, est ce qui a suscité l’engouement du peuple et l’enthousiasme de la communauté internationale. George Weah a grandi dans le bidonville le plus pauvre du Libéria, dans la capitale Monrovia. Élevé par une grand-mère autoritaire, il se définit comme un enfant turbulent. Il ne termine pas son parcours scolaire pour exercer des petits métiers, et surtout pour embrasser la carrière de footballeur.
Lui, l’illustre buteur, bourreau des gardiens, commence ironiquement dans les cages. Celles des Young Survivors, un petit club de la banlieue de Monrovia. Peut-être est-ce là qu’il appréhende les dessous de ce poste stratégique, pour mieux se retourner contre ses occupants quelques années plus tard et établir le record du nombre de buts marqués en première division libérienne. Ses exploits se font remarquer et Georges Weah est transféré en 1987 au club camerounais du Tonnerre Yaoundé, pour la modeste somme de 5 000 $.
Dans ce club parmi les plus reconnus d’Afrique, il tape dans l’oeil du sélectionneur camerounais Claude Le Roy. Celui-ci le met en relation avec Arsène Wenger qui, à l’époque, avant de marquer l’histoire d’Arsenal et d’éclairer les retransmissions des matchs de l’équipe de France de ses commentaires, est entraîneur de l’AS Monaco. Le coach alsacien fait venir George Weah dans le club de la Principauté et c’est là qu’il se révèle aux yeux des recruteurs des plus grandes équipes européennes. Après quatre belles saisons, il rejoint le Paris Saint-Germain de l’ère Canal +, sur les toits de l’Europe en 1992.
L’un de ses fils, Timothy Weah, a pris la succession de son père et est aujourd’hui joueur professionnel du PSG. Pourtant, George Weah connaît une histoire tumultueuse avec le club de la capitale. Lorsqu’il fait ses adieux au Parc des Princes après avoir signé au Milan AC, le Kop of Boulogne1, entre quelques chants et insultes racistes, lui déploie une banderole : « Weah on n’a pas besoin de toi. » L’histoire avec Paris s’achève dans la douleur en 1995, mais c’est en bonne partie pour ses prestations avec le PSG qu’il remporte la distinction suprême la même année : le Ballon d’or. Il est encore à ce jour l’unique joueur africain à l’avoir jamais remporté.
Lui qui fut donc pendant une période le meilleur joueur du monde, accède aujourd’hui à la plus haute fonction de son pays. « Tout est possible. Quand tu as confiance en toi tu peux le faire », confie son neveu aux caméras de France 24. George Weah est le modèle du self-made man, dans un pays étroitement lié au pays de la réussite individuelle, les États-Unis — en témoigne son drapeau fait de bandes horizontales blanches et rouges et d’une étoile blanche sur fond bleu.
En effet, le Libéria a été fondé en 1822 par une société de colonisation américaine, qui y a installé des esclaves noirs américains affranchis, dans une région peuplée d’autochtones, que l’on appelle les « natives ». La colonie est devenue une république indépendante en 1847 et les anciens esclaves américains se sont longtemps constitués en une élite dirigeante, opprimant, voire esclavagisant, les « natives ». L’histoire du Libéria s’est structurée autour de ces tensions entre freemen américano-libériens et autochtones. Celles-ci atteignent leur paroxysme en 1979, lorsque les natives sont massacrés pour avoir protesté dans la rue contre l’augmentation du prix du riz. Quelques années plus tard, deux guerres civiles successives font au total plus de 250 000 morts.
En 2003, le président de la République Charles Taylor, qui purge une peine de 50 ans de prison pour crime contre l’humanité dans la guerre civile sierra-léonaise, quitte le pouvoir. Des élections démocratiques ont lieu en 2005, auxquelles se présente déjà le native George Weah, tout juste retraité de sa carrière de footballeur. Son statut de star planétaire du football ne le sert pas. Bien qu’il ait activement aidé son pays lorsqu’il était footballeur, en payant, par exemple, les salaires des fonctionnaires de l’ambassade libérienne à Paris, le richissime George Weah n’est pas l’homme de la situation aux yeux du peuple déchiré. On lui préfère son adversaire, la candidate Ellen Johnson Sirleaf, économiste formée aux États-Unis.
La première femme chef d’État d’un pays africain parvient à inverser la courbe de l’Indice de développement humain au cours de ses deux mandats, mais le Libéria reste aujourd’hui 185e sur 196 au classement mondiale de l’IDH. À son arrivée au pouvoir, 10 ans après sa première élection perdue, George Weah, le premier native élu démocratiquement à la tête du Libéria, fait face à une situation catastrophique. Si le contexte politique s’est apaisé, le pays est en plein naufrage économique. C’est ce que le nouveau président n’a pas manqué de rappeler lors de sa visite en France en février dernier : « J’ai hérité d’un pays ruiné, plombé par les malversations politiques. Quand je suis arrivé, en janvier, je n’ai trouvé que 53 dollars dans les caisses de la présidence », a-t-il raconté au Conservatoire nationale des arts et métiers.
Pourtant, s’il a pleinement conscience des dangers que court son pays, il est difficile de comprendre comment George Weah compte s’y prendre pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyens. En effet, son programme présidentiel n’était ni détaillé, ni chiffré, et il s’est surtout employé à critiquer l’inefficacité du gouvernement précédent face à l’épidémie du virus Ebola et à dénoncer la corruption des fonctionnaires. Mais il n’a pas déployé de stratégie claire. Il a, au mieux, prôné une vision. Celle d’un pays où les infrastructures de santé sont accessibles à tous, où l’éducation est gratuite, et où l’argent public « ne finit pas dans la poche des membres du gouvernement ». Ces promesses consensuelles prononcées lors de son discours d’investiture et répétées tout au long de sa campagne manquent semble-t-il de concret.
Il y a un an, il promettait au journaliste de RFI Christophe Boisbouvier d’agir en priorité pour la santé. Lorsque ce dernier lui demanda quelles ressources il comptait mobiliser, sa réponse laissa sceptique : « J’ai des amis dans le monde entier. Tu ne peux pas dire que le président de la France ou des États-Unis ne va pas m’aider. On va être aidés, parce qu’on va donner notre programme et l’argent va venir. Les pays vont aider. »
Il ne s’était pas trompé puisque sa visite rendue à Emmanuel Macron a permis le déblocage d’une enveloppe de 10 millions d’euros d’aides sous forme de dons. Le Libéria a été placé dans la liste des pays prioritaires pour les aides au développement et le président français s’est engagé à soutenir le pays dans ses négociations auprès du Fonds monétaire international. George Weah ne s’est pas contenté de solliciter des investissement étrangers publics. Il s’est également tourné vers la sphère privée puisqu’il a également tenu à rencontrer les représentants du Medef pour les convaincre du potentiel de son pays, assurant avoir « des besoins dans tous les domaines ».
Et en toile de fond, demeurent inexorablement le football, le sport et les stades, un univers que George Weah n’a pas abandonné. Il continue à filer la métaphore footballistique dans ses discours et à faire le pont entre ses deux activités : « On attend beaucoup de moi. […] Quand j’ai démarré dans le football professionnel, personne n’imaginait que je deviendrais le meilleur du monde, mais je l’ai fait. Alors il faut y croire », déclarait-il peu après avoir été élu. Nul doute que c’est son passé de star du football qui le pousse à envisager le sport comme l’un des principaux vecteurs de développement économique en Afrique : « On voit quelle est la puissance du sport. Les jeunes sont heureux quand ils ont des activités et sont heureux de sortir de la rue. Je suis moi-même un enfant de la rue et aujourd’hui je suis président du Liberia, grâce au sport. »
- Le Kop of Boulogne est une association de supporters du Paris Saint-Germain.