Par Lucien Gurbert (artiste) et Clément Reuland (rédacteur)
Power Point compte plus de 500 millions d’utilisateurs, pour 30 millions de nouvelles présentations par jour. Le logiciel édité par Microsoft impose une domination hégémonique dans le secteur des outils de présentation. Pourtant, plusieurs auteurs écrivent que Power Point nous incite à de mauvaises pratiques de communication. Pire : il participerait, parfois dangereusement, à déconstruire la pensée. Power Point nous rend-il vraiment « stupides », comme le suggère le général des Marines James N. Mattis ?
« We have met the enemy and he is PowerPoint ». La sentence est énigmatique, voire accrocheuse, au point que la journaliste Elisabeth Bumiller en fait le titre d’un de ses plus célèbres articles, publié en une du New York Times le 26 avril 2010. Mais la curiosité laisse place à la surprise quand, sous la citation inaugurale, le lecteur en découvre l’auteur : le général Stanley A. McChrystal. Comment le chef des forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan peut-il sensément désigner un simple logiciel de présentation comme l’ennemi public numéro 1, quand son armée affronte pied à pied les terroristes talibans d’Oussama Ben Laden depuis près de neuf ans ?
Mais avant tout, cette saillie révèle un fait méconnu : l’armée américaine est, dès les premiers âges de « l’usine à slides » de Microsoft, une grande utilisatrice de PowerPoint. Et avec cette utilisation omniprésente se dressent de plus en plus de contempteurs de cet outil de communication au sein de l’administration militaire : « PowerPoint nous rend stupides ! », vitupère ainsi le général des Marines James N. Mattis dans une conférence donnée – sans PowerPoint – en Caroline du Nord au cours de ce même mois d’avril 2010. Un logiciel abrutissant, d’après lui, donnant une illusion de maîtrise et privilégiant la forme de la présentation au détriment de son contenu informatif : « Grâce à la distraction visuelle, l’orateur peut rapidement occulter toutes les failles ridicules de son argumentation », écrit en 2001 Ian Parker, journaliste au New Yorker. C’est également au motif de la mystification argumentative autorisée par PowerPoint que Jeff Bezos, fondateur et CEO d’Amazon, prend la décision de bannir irrévocablement toute présentation siglée « .ppt » au sein de l’entreprise. Annoncée dans un email à tous ses collaborateurs le 9 juin 2004, cette résolution fait date et aura un retentissement considérable lors de sa divulgation par voie de presse.
Néanmoins, un tout autre tableau, froidement statistique, peut être mis en regard de ces critiques, nous ramenant à la réalité du succès mondial du logiciel : en 2009, déjà, PowerPoint comptait 500 millions d’utilisateurs, pour 30 millions de nouvelles présentations par jour et 95% du marché des logiciels dédiés. S’il fallait pourtant considérer valables les critiques formulées à son encontre, le problème deviendrait alors : comment un logiciel aux lacunes si criantes peut-il être autant utilisé ? Comment, au royaume de l’efficacité poussée à son ultime degré – l’entreprise mondialisée et, a fortiori, l’armée la plus puissante de la planète –, l’emploi d’un logiciel aussi critiquable peut-il perdurer, si ses faiblesses sont avérées ?
PowerPoint, outil limité des penseurs limités ?
Pour répondre à cette question, il s’agit donc d’abord d’examiner si les défauts imputés à PowerPoint sont bel et bien fondés. Dans son court et facétieux brûlot publié en 2003, le professeur de statistiques Edward R. Tufte cible un point en particulier, à savoir l’écrasante hégémonie du format sur le contenu, laquelle ne peut manquer de porter atteinte à ce dernier par contrecoup : au mieux, la mise en forme – cliparts, animations dynamiques et autres ornements que Tufte appelle la « sauce PowerPoint » – devient un divertissement, c’est-à-dire nous distrait du contenu, fait diversion pour reléguer celui-ci à l’arrière-plan ; au pire, le format par défaut de PowerPoint contraint le contenu à se voir abrégé, atrophié, afin de rentrer de force dans le cadre limitatif de la slide, tout en devant rester lisible par un auditoire situé à distance. Or, comme le conclut Tufte : « De nombreux énoncés vrais sont trop longs pour tenir dans une slide, mais cela ne signifie pas que nous devions raccourcir la vérité pour que les mots rentrent. Cela signifie que nous devrions trouver une meilleure manière de faire des présentations. »
Dès lors, si le format de PowerPoint permet de favoriser les artifices de la forme plutôt que l’exposition d’une pensée complète, l’orateur se voit dispensé par l’outil de proposer une réflexion en profondeur. Ainsi reçoit-il l’avantage bien commode d’une présentation à moindre frais intellectuels, où l’empilage des bullet-points suffit à construire le mirage d’une argumentation, et où il n’est pas besoin de rédiger des phrases complètes – autrement dit ni plus ni moins de penser. À cet égard, le principal mérite de l’ouvrage de Tufte est moins d’avoir pointé les faiblesses de PowerPoint que d’avoir montré à quel point ces mêmes faiblesses se transformaient en avantages pour le concepteur de la présentation. Car alors, on comprend sans peine ce sur quoi repose le succès de l’omniprésent support édité par Microsoft : PowerPoint est utilisé par les concepteurs de présentations, et s’il est autant utilisé par ceux-ci, c’est précisément parce qu’il autorise les plus négligents d’entre eux à faire preuve de paresse intellectuelle en communiquant une pensée lacunaire. Le problème précédemment soulevé trouve ici sa résolution : il n’y a en réalité aucune contradiction entre les déficits de PowerPoint et son succès planétaire. Bien au contraire, ceux-là sont la raison même de celui-ci. Aussi, la faveur dont jouit le logiciel auprès des « présentateurs » n’implique pas que l’audience lui reconnaisse une quelconque qualité : PowerPoint, écrit Tufte, est entièrement « presenter-oriented », – et non pas « audience-oriented », et encore moins « content-oriented ».
Une faute de grammaire est une faute de pensée
Auditoire et contenu subissent donc les préjudices de la domination du présentateur ; mais en quoi PowerPoint leur porte-t-il atteinte ? Comment altère-t-il nos façons de penser ? Face au conflit irréductible entre besoin de présenter un contenu lisible à distance et obligation de se plier à l’étroitesse des slides, l’unique issue possible est la réduction de la longueur du message. Mais alors, c’est tout un système d’escamotage qui se met en place à l’encontre de termes considérés inutiles, produisant une atomisation minimaliste de la pensée du présentateur et des mots censés la véhiculer. La phrase est tronquée, dépouillée de ses modalisateurs et de ses liens logiques, démembrée, restructurée – et donc immanquablement appauvrie aux yeux de celui qui cherche à la comprendre.
Pour prendre un exemple concret, la nominalisation illustre bien ce en quoi la restructuration de la phrase par volonté de la raccourcir conduit souvent à la dénaturation de son sens. D’inspiration anglo-saxonne puis repris dans les années 1980 par des journaux comme Libération ou Actuel, la nominalisation, couramment pratiquée dans l’espace limité de la diapositive, est l’opération par laquelle une phrase verbale est transformée en phrase nominale. Or, comme le note Roberte Tomassone dans Pour enseigner la grammaire, « l’information n’est pas distribuée de façon identique dans une phrase et dans un groupe nominal ». Ainsi, en passant de la phrase « Les marchés sont volatiles » à la forme nominalisée « La volatilité des marchés », l’attribut (ici l’idée de volatilité) se voit accorder une importance qu’il n’avait pas initialement, faisant oublier le véritable sujet qu’il qualifie ainsi (les marchés). De même, dans le cas de phrases transitives, la nominalisation revient à battre en brèche la manière dont nous énonçons traditionnellement une action, à l’aide d’un sujet qui affecte un objet via un verbe. Or, là encore, les coûts pour la compréhension ne sont pas nuls. En effet, écrire sur une slide de reporting « La relance de l’activité par l’investissement » est d’une précision nettement inférieure aux diverses phrases dont il prétend être l’équivalent : doit-on comprendre que « l’investissement relance l’activité » ? Cette fois-ci seulement, ou de façon générale ? Ou plutôt qu’il la relancera, ou l’a relancée ? Ou encore que l’investissement doit ou devrait relancer l’activité, ou seulement qu’il peut la relancer ?
Logiciel illogique
En somme, la nouvelle mouture de l’ex-phrase devenue groupe nominal vague passe sous silence ce que Kant appelait « la modalité du jugement », c’est-à-dire la question de savoir si un énoncé relève de la possibilité ou de l’impossibilité (« l’activité peut être relancée par l’investissement »), de l’existence ou de la non-existence (« l’activité est effectivement relancée par l’investissement »), ou bien encore de la nécessité ou de la contingence (« l’activité doit être relancée par l’investissement »). La nominalisation a donc pour conséquence de laisser indéterminé un élément indispensable pour la compréhension – ou plutôt, en l’absence de précisions supplémentaires, il nous laisse arbitrairement opter pour la modalité considérée la plus neutre du jugement, à savoir l’existence (« l’activité est relancée par l’investissement »), produisant l’illusion d’un commentaire positif à propos d’une réalité qui est parfois tout autre. On pourrait bien sûr objecter que ce procédé n’est pas réservé à PowerPoint, à raison ; mais l’exiguïté de la slide favorise ce type de réductions appauvrissantes.
D’autres opérations de raccourcissement similaires peuvent être citées, comme l’usage immodéré de l’infinitif, notamment au moment de fixer des objectifs (par exemple « Accélérer le lancement de nouveaux produits », énoncé qui laisse dans le vague ceux qui le lisent : qui doit accélérer ? Où ? Quand ? Comment ?). Les défauts de ce type de formule sont lumineusement résumés par Alain Frontier dans La Grammaire du français : « L’infinitif a quelque chose de plus froid, de moins amène, de plus proprement technique que l’impératif ; il se contente de donner la marche à suivre sans faire de sentiment. Il est en effet par définition impersonnel (il n’est pas affecté par la catégorie grammaticale de la personne). Avec lui, l’injonction semble n’émaner de personne et ne s’adresser à personne en particulier. » Dès lors, dépourvu d’auteur et de destinataire, l’infinitif entretient le flou en diluant les responsabilités de chacun ; à la fois jussif et sans source identifiée, il devient la voix péremptoire et désincarnée par laquelle l’ordre est abstraitement donné, octroyant ainsi à ce dernier « une relative légitimité, voire une souveraineté, liée à une apparence d’universalité » (Franck Frommer, La Pensée PowerPoint). L’autorité de l’orateur est ainsi confortée, renforcée, risquant même de l’inciter à adopter une position de domination abusive, que Tufte dénonce particulièrement dans le domaine de l’enseignement ; car selon lui, les valeurs pédagogiques – « expliquer, raisonner, découvrir, interroger, prouver » – sont incompatibles avec « l’autoritarisme condescendant » de l’orateur à qui PowerPoint donne tous pouvoirs.
Sens dessus dessous
En résumé, PowerPoint serait coupable de dénaturer le contenu des présentations dont il n’est censé être que le support. Frommer pointe le manque d’attention dont font preuve les manuels d’utilisation PowerPoint à l’égard de la dimension textuelle de la présentation : « le discours, les mots, la syntaxe, le lexique ne sont pas ou très peu abordés », comme si le texte ne « constituait jamais un enjeu » ; au contraire, les manuels se concentrent principalement sur des problèmes d’ordre graphique ou de mise en page. Ainsi, alors que la signification bien ordonnée suppose habituellement que le style soit au service du sens, PowerPoint relègue à l’inverse le sens au second plan, le dissimule derrière un masque – un template esthétisant – : il met la signification sens dessus dessous, littéralement. Cette inversion a une cause d’après Tufte : la paresse intellectuelle de l’orateur, à qui l’étroitesse de la slide sert de prétexte à la rédaction de semi-phrases, faisant en définitive l’économie d’une pensée aboutie.
Mais projeter n’est pas présenter
Néanmoins, à trop critiquer ses manques, on finit par oublier de poser la question décisive à propos de tout outil : remplit-il sa fonction supposée ? En l’occurrence, celle de PowerPoint est d’être un simple support pour une intervention orale, dont le propos dépasse largement le seul texte présent sur la slide. Dès lors, s’opposant à Tufte, l’ingénieur Jean-Luc Doumont remarque justement dans un article de février 2005 que « les slides ne sont pas la présentation » ; autrement dit, la pensée exposée par un orateur ne se réduit évidemment pas aux quelques mots qui jalonnent à l’écran sa progression. Aussi faut-il admettre avec Tufte que PowerPoint nous incite bien à faire subir au texte les réductions nuisibles précédemment détaillées. Mais en réalité, contre Tufte, cela ne signifie pas que l’intervention en soit substantiellement altérée, puisque précisément elle excède toujours le texte.
Mais dans les faits, PowerPoint est-il utilisé de cette façon ? Ici resurgit le problème classique lié aux objets techniques : si un outil ne produit pas les résultats escomptés, faut-il blâmer l’outil lui-même, ou plutôt sa mauvaise utilisation ? Les défauts de PowerPoint jusqu’ici évoqués semblent être la conséquence nécessaire de l’outil, suggérant qu’ils lui sont en quelque façon intrinsèques ; mais peuvent-ils être atténués voire évités par de meilleurs usages ?
Mieux utiliser PowerPoint
D’emblée, un mode d’utilisation pourtant très courant nous paraît contrevenir à la finalité de PowerPoint : transmettre des slides seules, sans présentation orale. Simplement inséré en pièce jointe d’un mail, un document « .ppt » n’est plus le support d’une intervention orale, et alors la présentation peut être jugée à l’aune des slides elles-mêmes et leur contenu appauvri. Dès lors, toutes les critiques formulées sur la déperdition d’information et la mise en place d’une grammaire déguenillée par suite du manque d’espace gardent ici leur pleine validité. Sur ce point, Jean-Luc Doumont est d’ailleurs bien obligé de reconnaître : « Sans doute l’enseignement le plus utile de l’ouvrage de Tufte […] est-il qu’un logiciel de présentation est peu adapté à la réalisation de rapports écrits, ou, ce qui revient au même, que les slides ne communiquent pas aussi efficacement qu’un document rédigé. »
Ce problème du PowerPoint sans oral est notamment illustré par Tufte à travers le cas du crash de la navette Columbia en 2003. Avec autant de minutie que d’impertinence, le professeur de Yale montre comment la rédaction négligée d’une slide PowerPoint par des ingénieurs de la NASA a été l’un des facteurs déterminants de la tragédie du 1er février 2003 : d’après lui, l’abus d’abréviations incompréhensibles, l’utilisation d’une mise en page hiérarchisée où les principales informations sont présentées comme mineures, la répétition immodérée de termes euphémiques et de formules toutes faites, l’emploi d’une syntaxe défaillante et l’absence d’un fil de réflexion clair où les éléments seraient reliés plutôt que disloqués en bullet-points isolés, ont empêché les responsables de l’opération de prendre la pleine conscience du danger que couraient les sept membres de l’équipage. Car lors de la phase de lancement, le 16 janvier 2003, un petit morceau de mousse isolante se décroche du réservoir externe principal – un incident mesuré par les détecteurs de la navette et rapporté sur le PowerPoint en question, mais que la « mise en slide » a rendu difficilement interprétable. Un peu plus de deux semaines plus tard, la navette entame sa phase de rentrée atmosphérique vers la Terre et se désintègre, précipitant ses occupants dans le drame. Or, c’est bien un problème de mauvais usage qui se trouve ici incriminé : PowerPoint n’a pas été utilisé dans le cadre d’une performance orale, mais dans le but de produire un document écrit à part entière – ce qui n’est ni sa vocation, ni ce dont il est capable. Le Columbia Accident Investigation Board, commission d’enquête nommée pour faire la lumière sur les circonstances de l’accident, dénoncera d’ailleurs sans ambages ce mode de communication : « Alors que l’information est transmise aux niveaux hiérarchiques supérieurs, depuis les employés qui effectuent le travail d’analyse aux managers de niveau intermédiaire puis à la direction, des explications essentielles et une partie des informations qui les étayent sont éliminées. Dans ce contexte, il est aisé de comprendre comment des manageurs expérimentés ont pu lire cette slide PowerPoint et ne pas se rendre compte qu’elle faisait référence à une situation de danger mortel. » Et de conclure en généralisant : « Le Board considère l’usage endémique de slides PowerPoint en lieu et place de véritables rapports techniques comme une illustration des problèmes de méthode rencontrés par la NASA vis-à-vis des communications d’ordre technique. » Face à un PowerPoint silencieux, il ne reste donc bien qu’une pensée rendue ambiguë par une langue indigente, ce qui est lourd de conséquences dans des domaines aussi critiques que l’aérospatial ou l’armée.
Mais en dehors du cas du PowerPoint « pièce-jointe » qui n’accède jamais à son expression orale, il est permis d’être plus réservé quant aux conclusions tirées par Tufte lorsque le logiciel accomplit sa finalité, à savoir lorsqu’il est sur un écran face à une audience qui écoute un intervenant. Car là où il en conclut que les slides comportent en général trop peu de mots, il apparaît plus pertinent de tirer la conclusion inverse : il s’agit pour la clarté de l’oral de se contenter du minimum de mots par slides, mais formant une phrase, tout au moins ne laissant place à aucune équivoque. C’est pourquoi, lorsque Tufte critique des slides au motif qu’elles ne comportent chacune « que 10 à 20 lignes de texte », Doumont répond que cela « fait déjà trop de lignes – pas pour un développement substantiel, ce qui est la préoccupation de Tufte, mais trop de lignes pour éviter d’interférer avec les mots prononcés par le présentateur ». L’incapacité du cerveau humain à suivre deux discours simultanés – l’un oral, l’autre écrit – rend nécessaire le minimalisme rédactionnel de la slide, qui pour autant ne doit pas abandonner l’exigence de clarté.
Un autre usage à améliorer dans notre pratique de PowerPoint a trait à l’emploi des listes à puces. Comme l’indique une étude publiée dans la Harvard Business Review au printemps 1998, les bullets-points ne permettent que de ranger ses éléments, et selon trois critères seulement : ordre d’importance, ordre temporel et simple appartenance à une catégorie d’objets. Tout autre lien causal ou logique lui échappe tout-à-fait. Réductrice et simplificatrice, la liste à puces « s’oppose même à la continuité, la fluidité, la connexité propres aux formes ordinaires du langage parlé », écrit l’anthropologue Jack Goody dans La Raison graphique. Dès lors, elle est à la présentation ce que l’énumération est au discours, ce qui ne la rend digne que d’une seule fonction, « l’inventaire d’un domaine », bien en-deçà du niveau de complexité multi-causal attendu par exemple pour la présentation d’un business plan.
PowerPoint, bon serviteur et mauvais maître ?
En somme, les contraintes spatiales de PowerPoint produisent certes une tendance au raisonnement trop rapide et superficiel. Comme l’écrit Jeff Bezos dans ce fameux mail de juin 2004, « les présentations dans le style de PowerPoint donnent en quelque façon le droit de faire illusion pour ne pas trop s’attarder sur le raisonnement, d’aplatir toute notion d’importance relative et d’ignorer l’interconnexion des idées. » Pour autant, lorsque le même Jeff Bezos présente en septembre 2012 le nouveau Kindle Fire HD, il emploie bel et bien PowerPoint, mais avec la pertinence de celui qui connaît les limites et les finalités des outils qu’il utilise : en affichant des éléments textuels dépourvus d’ambiguïté (en l’occurrence, le nom du produit, son prix, ses dimensions, etc.) et plus largement en préférant le contenu visuel au contenu textuel. Par exemple, tout en indiquant à l’oral que la batterie du nouveau Kindle aura une autonomie de huit semaines, Bezos montre un calendrier daté du jour de l’intervention et s’étalant sur deux mois, produisant un effet visuel et oratoire nettement plus marquant pour son auditoire que si la durée de huit semaines avait simplement été mentionnée dans une liste à puces. Bref, le logiciel au « P » orange « donne le droit » (dit Bezos), voire incite (pourrions-nous avancer) à de mauvaises pratiques de communication, mais ne nous y contraint pas ; PowerPoint nous rend peut-être « stupides », mais comme tout instrument, rien ne nous empêche de l’utiliser en toute intelligence.