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Les nouvelles recettes du cinéma d’auteur

Clémence Le Gall (rédactrice), Laura Olivieri (artiste)

Le cinéma d’auteur, c’est lorsque l’on peut reconnaître en une seule séquence le réalisateur du film. C’est une patte, des motifs, des thèmes, et tant de choses encore, que l’on associe directement à un cinéaste. Dans le rapport du bilan 2016 de production du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), on découvre que presque la moitié des films financés peuvent être rattachés, de près ou de loin, à du « cinéma d’auteur ». Mais dans le même temps, en 2016, beaucoup d’auteurs, et notamment des grands, ont réalisé des films qui ont attiré très peu de public dans les salles, beaucoup échouant à être rentables malgré la célébrité du nom de leur réalisateur ou casting. La particularité de ce cinéma en termes de production est qu’il représente une grande quantité de films produits, pour un petit nombre de spectateurs.

Cependant, il faut se souvenir que le cinéma d’auteur existe à tous les budgets. Des petits films, qui peuvent être rentables rapidement, jusqu’aux films à visée commerciale qui attirent souvent un large public dans les salles. Les difficultés d’existence et de rentabilité existent surtout pour les films médians, « du milieu » dont les budgets oscillent entre 4 et 6 millions d’euros, et qui ont beaucoup de mal à être réalisés et produits par peur du risque financier qu’ils représentent.

Comment peut-on renouveler le cinéma d’auteur pour qu’il continue à exister en attirant plus de spectateurs dans les salles ? Souvent, ces films médians ne sont profondément pas rentables au sens financier, et donc dépendants des films très commerciaux qui viennent renflouer les caisses du CNC et des subventions publiques. Est-il possible de les rendre moins dépendants de ces films à grand succès ? Comment faire pour solidifier un système de solidarité qui permette de répartir au mieux les risques de production de ces films ambitieux ? Comment le cinéma d’auteur peut-il intégrer les recettes (au sens des codes et des revenus) du cinéma populaire, sans se dénaturer ?

La question de la production comme outil de réponse se pose évidemment car elle est l’outil de concrétisation de cette « patte » de l’auteur à l’écran, ainsi qu’un allié fort pour permettre au réalisateur de transmettre son point de vue. Il est important qu’un cinéma d’art et essai – qui propose des façons plus expérimentales de raconter une histoire et qui réfléchit sur le cinéma avec des codes moins accessibles – soit dans l’éventail des films français. Il est constitué d’un héritage précieux et doit évidemment continuer à exister, mais le spectre du cinéma d’auteur n’est pas obligé de se cantonner à l’art et essai, il peut être élargi. Le cinéma d’auteur est justement un type de cinéma qui peut se permettre de naviguer entre cinéma d’art et essai et cinéma populaire.

 

Pour un cinéma d’auteur en tous genres

 

En France, la comédie est le genre qui attire le plus de public en salles. De façon générale, le cinéma de genre (horreur, science-fiction, policier, drame…) est très populaire. Est-ce à dire que le sujet du film, son thème et son ton prévalent sur le nom et la patte de son réalisateur ?

Illustrations de Laura Olivieri. Le cinéma d'auteur peut-il se réinventer à partir des codes du cinéma populaire ? Un texte de Clémence Le Gall, actrice dans Trois souvenirs de ma jeunesse.

Faire de la comédie n’est pas contradictoire avec le fait de réaliser du cinéma d’auteur. Victoria, de Justine Triet, qui a été distingué par plusieurs festivals et a très bien fonctionné en France en 2016, l’a bien montré. Ce film a été un succès critique autant que financier, car il a rapporté 4,64 millions d’euros avec un budget de 3,99 millions d’euros, pour une distribution uniquement en France. Il mêle un casting à la fois connu du grand public (Virginie Efira, ancienne star du petit écran) et original (le contre-emploi de Vincent Lacoste, souvent utilisé en registre comique, ici en sentimental éperdu). Dans le rythme assez soutenu du film également, on retrouve des codes du cinéma populaire. La mise en scène est travaillée et référencée. La réalisatrice cite parmi ses références Wilder, Edwards ou encore Hawks, mais on reconnaît par de nombreux dispositifs sa patte insolente et comique, déjà ébouriffante dans La Bataille de Solférino. Cette comédie propose un équilibre entre cinéma d’auteur et cinéma populaire et révèle qu’un aller-retour entre les codes de ces deux cinémas est possible au sein d’un même film.

En règle générale, le cinéma de genre n’est pas incompatible avec le cinéma d’auteur. Grave, de Julia Ducournau, le montre à merveille. Ce film à 3 millions d’euros qui utilise des codes du cinéma d’horreur est inédit dans le spectre du cinéma français et a attiré plus de 200 000 spectateurs dans les salles. Ce succès populaire et critique révèle également que la navigation entre cinéma de genre et cinéma d’auteur est tout à fait envisageable. Ducournau utilise une structure narrative « scène-à-scène » où chaque plan doit faire avancer l’histoire, comme c’est le cas dans la plupart des films de genre : il y a peu de plans d’installation qui ne font pas avancer l’histoire. Mais à l’intérieur de cette structure de cinéma populaire assez quadrillée et qui mise sur l’efficacité, Ducournau insère une réflexion profonde et personnelle sur l’anti-déterminisme, à travers un personnage qui tente d’échapper au poids des traditions qui pèse sur ses épaules1. Le film est en métamorphose tout au long de l’histoire et refuse la dichotomie entre cinéma de genre et cinéma d’auteur.

Miser sur un thème très fort et actuel peut aussi s’avérer très concluant pour attirer un public en salle. Par exemple, Divines d’Houda Benyamina, n’a pas eu besoin d’un casting connu ou d’un nom « d’auteur » pour s’imposer aux Césars 2017 (meilleur film et meilleur premier film). Avec un budget de 2,44 millions d’euros, ce film produit par Easy Tiger s’est exporté à l’international et a fait plus de 300 000 entrées en France, alors que Personnal Shopper d’Olivier Assayas, avec l’actrice star Kristen Stewart, a peiné à dépasser 90 000. Le financement de Divines a été assuré entre autres par une fondation qui encourage l’émergence de nouveaux talents : la fondation Gan.

Pourquoi ne pas pousser les choses encore plus loin en permettant aux films français en langue étrangère d’être soutenus par plusieurs aides du CNC ? Cela permettrait une diversification d’un cinéma d’auteur qui parfois s’essouffle. Par exemple, beaucoup de films d’auteur nous montrent un casting répétitif et codé, qui font que des acteurs comme Vincent Cassel, Fabrice Luchini ou encore Valeria Bruni-Tedeschi sont même cantonnés à une sorte de « marque ». On peut perdre facilement l’envie de payer sa place de cinéma pour avoir l’impression d’aller toujours voir le même film, incarné par les mêmes acteurs. Pour remédier à cela, certains réalisateurs tentent d’intégrer des acteurs du cinéma populaire dans le cinéma d’auteur : Francois Damiens incarne parfaitement ce va-et-vient entre cinéma d’auteur et cinéma populaire (La Danseuse, La Famille Bélier).

Illustrations de Laura Olivieri. Le cinéma d'auteur peut-il se réinventer à partir des codes du cinéma populaire ? Un texte de Clémence Le Gall, actrice dans Trois souvenirs de ma jeunesse.

Favoriser les éclosions rapides

 

Les codes du cinéma d’auteur se reforment et se réinventent aussi par la découverte de nouveaux auteurs et de leurs premiers films. Certes, le CNC encourage cette dynamique puisque 36,2 % des films d’initiative française agréés en 2016 sont des premiers films et que 27,5 %2 des premiers films bénéficient d’une avance sur recettes avant réalisation.

Toutefois, les circuits d’écriture (par exemple en résidence ou encore dans les ateliers) restent tout de même longs et douloureux avant que le scénario recoive les tampons habituels d’un scénario considéré sans risque pour les financiers. Les auteurs, pour prouver la valeur de leur idée auprès des soutiens financiers, doivent participer à de multiples ateliers de réécriture qui finalement formatent parfois leur travail. Il faut développer des modes alternatifs qui permettent de faire des films à petit budget pour résoudre ce problème d’inertie. Pour les films qui traitent de sujets politiques actuels par exemple, il est nécessaire d’accélérer le processus de production pour que le film rencontre son sujet en temps et en heure.  

Une solution consisterait à accélérer le processus de production des films à petit budget (en dessous d’un million d’euros) pour leur permettre de débloquer des fonds rapidement. C’est ce que propose le Collège de la Biennale de Venise. Un fonds de 150 000 euros est débloqué pour les jeunes auteurs (premier ou deuxième film). Le film doit être fait en 1 an et demi. The Fits, réalisé par Anna Rose Helmer, a ainsi bénéficié de ce fonds et est allé au festival Sundance3. Des résidences (LIM, Résidence Ouest) mettent aussi les jeunes auteurs en contact avec des partenaires qui accélèrent le processus de production : les films se font sans beaucoup de moyens, mais rapidement.

 

Le cinéma d’auteur a de nouvelles frontières de création et de distribution

 

Certains films d’auteur ne sont pas toujours écrits pour plaire au public, mais pour séduire les financiers, les distributeurs et les diffuseurs qui décident ensuite de leur donner ou non le droit d’exister. Le fait que les films d’auteur soient obligés de se plier aux critères des diffuseurs et des distributeurs crée inéluctablement une impression de déjà-vu et un formatage. Cela empêche aussi de faire les va-et-vient qu’ils désireraient entre différentes formes (notamment dans la diffusion) et genres.

De nouvelles formes de diffusion (Amazon, Netflix) auraient plus de facilité à encourager le cinéma d’auteur sur leurs plateformes, car la question de la programmation à la télévision, et même celle de la programmation en salles, n’existe plus. Cela permet des frais mineurs, d’autant plus dans le cas où ces plateformes maîtrisent toute la chaîne du développement du film, de son scénario à la diffusion finale.

L’industrie numérique est donc un vecteur de changement qu’il faut évidemment prendre en compte pour repenser le cinéma d’auteur. Parallèlement, pourquoi ne pas encourager les auteurs à travailler sur des formats numériques audacieux, qui pourraient sortir uniquement sur le Web, avec des webséries par exemple, comme sur Arte Creative.

Parallèlement à ces frontières numériques qui s’élargissent, de nouvelles frontières géographiques apparaissent pour la coproduction internationale. Cette pratique est encouragée par de nouveaux fonds européens (Europe Créative, le programme MEDIA, le fonds Hubert Bals). Back Home de Joachim Trier (3 pays coproducteurs), ou encore The Lobster de Yorgos Lanthimos (6 pays coproducteurs) ont été soutenus par ces fonds. Cela fait partie des nouvelles façons de repenser le cinéma d’auteur, dans la mesure où cela permet de développer une notion d’auteur européen, voire international, là où cette notion était auparavant particulièrement ancrée dans une seule nation. Cela permet de toucher une cible qui peut être transnationale par ses modes de vie et sa culture, en faisant résonner des questions communes.

Illustrations de Laura Olivieri. Le cinéma d'auteur peut-il se réinventer à partir des codes du cinéma populaire ? Un texte de Clémence Le Gall, actrice dans Trois souvenirs de ma jeunesse.

Ces questions communes peuvent aussi résonner à travers l’écriture collective. Dans cette perspective il est intéressant de repenser la question du duo auteur-scénariste. Par exemple, pour The Lobster, film d’auteur reconnu (Prix du Jury au festival de Cannes), le réalisateur l’a co-écrit avec son collaborateur Efthymis Filippou. Il serait intéressant d’organiser des résidences de préparation des films avec une grande partie de l’équipe. Au générique apparaitraît juste le nom du collectif, pour rompre avec la hiérarchie présente autant au niveau des salaires que du symbolique. Ce serait une véritable création collective, qui tendrait à renouveler le processus même de création du cinéma d’auteur.

 

Faciliter la création de nouvelles formes événementielles

 

Pour attirer du public en salles, il faut « créer l’événement ». Les nouvelles formes permettent de créer une curiosité qui attire le public. Cela peut prendre de multiples formes : par exemple, Agnès Varda organisait des avant-premières dans des circonstances très improbables : elle a décoré le planétarium du Grand Palais pour attirer les visiteurs. Aujourd’hui, les nouvelles formes sont aussi un très bon outil pour faire des films à budget réduit et créer une grande curiosité qui permet de rentabiliser les investissements.

La série est une de ces nouvelles formes qui prend son essor, les divers festivals internationaux et français s’organisent de plus en plus autour de « marathons sérievores ». À Cannes l’an dernier, alors que deux épisodes de la série Twin Peaks ont été projetés au festival, le maire de la ville tente de créer CanneSeries, un nouveau festival en parallèle de celui de la Croisette. À Lille, le Festival International des séries commencera dès 2018. Séries Mania, festival parisien, propose également des programmations de nouvelles séries à voir sur grand écran. Au Japon, il arrive que le dernier épisode d’une série ne sorte pas à la télévision ou sur Internet : chacun regarde les épisodes chez soi, et va voir en salles le tout dernier qui ne sort qu’au cinéma ! Pourquoi ne pas tenter cela en France avec une série comme The Young Pope (Paolo Sorrentino), Twin Peaks (David Lynch), ou Dix pour cent (Fanny Herrero) ?

Il y a donc deux pistes à retenir : il faut que le cinéma d’auteur continue à évoluer pour attirer un public plus large, mais dans le même temps, il faut protéger sa diversité. Il faut donc qu’il s’autorise à engranger plus de recettes.

  1. La réalisatrice déclare dans Le Point : « Mon personnage est en métamorphose permanente, elle passe son temps à perdre une peau pour en gagner une autre et pour essayer de se trouver, trouver où se trouve l’intégrité du soi. »
  2. CNC (chiffres 2016), production : 283 films agréés, dont 36,2 % des films d’initiative française sont des premiers films.
  3. Le principal festival de cinéma américain indépendant. Il a lieu dans l’Utah et a révélé des réalisateurs comme Quentin Tarantino ou Jim Jarmush.