Hugo BM (artiste), Jan Jegellarde (rédacteur)
Avec les commentaires de Matthieu Gounelle, cosmochimiste au Muséum national d’Histoire naturelle.
Les questions sur l’origine de la vie nous fascinent. La réalité, c’est que nous n’en savons pas grand-chose. Nous ne savons pas exactement quand la vie est apparue sur Terre et encore moins comment. Cette incertitude laisse le champ à une série d’élucubrations. Et si les matières organiques avaient été apportées sur Terre par des météorites ? Et si la vie venait, en fin de compte, d’ailleurs ?
4 milliards d’années avant J-C, Terre. Une météorite s’écrase à la surface de notre planète vierge. Une météorite comme il en tombe des centaines de milliers de tonnes chaque année. Mais celle-ci a quelque chose de particulier. Elle porte en elle des bactéries. Et ce sont elles qui ont apporté la vie sur Terre.
Peut-être est-ce ainsi que le chercheur de la NASA Richard Hoover se représente les origines de la vie terrestre. Lui qui défend cette théorie que l’on appelle la panspermie. Ses recherches l’ont conduit en 2011 à présenter une étude dans le Journal of Cosmology dans laquelle il expose sa découverte de bactéries fossilisées d’origine extraterrestre dans une météorite. L’implication de cette découverte est la suivante : « La vie est partout et elle peut, dans le cas de la terre, provenir d’autres planètes1. »
Comme la théorie de l’héliocentrisme nous a conduits à repenser la position de la terre dans l’Univers, cette découverte de Richard Hoover représenterait, si elle n’était pas invalidée, un profond changement de paradigme. Elle sous-tendrait non seulement que la vie a pu se développer ailleurs que sur Terre dans l’Univers, mais, plus encore, que la vie serait par essence extraterrestre.
C’est parce qu’elle va contre le sens commun, que la théorie de la panspermie nourrit des fantasmes et a séduit de nombreux scientifiques avant Richard Hoover. Et pas uniquement des illuminés. William Thompson, le physicien britannique qui a introduit le concept du zéro absolu — la température en-dessous de laquelle on ne peut pas descendre —, est l’un de ces scientifiques à avoir soutenu l’idée que la vie pouvait venir d’ailleurs. D’après Matthieu Gounelle, il aurait déclaré dans une conférence à Édimbourg en 1871 : « Il est plus que probable que d’innombrables bactéries porteuses de germes sont en train de se déplacer dans l’espace. Si la vie n’existait pas sur Terre, la chute d’une seule de ces pierres […] conduirait à ce qu’elle se couvre de végétation. »
Après lui, beaucoup de chercheurs se sont également penchés sur cette théorie, jusqu’à Richard Hoover. Malheureusement pour tous ces passionnés, « on n’a Jamais trouvé de vie dans les météorites », constate Matthieu Gounelle. La découverte de Hoover a en effet été démentie. « Ces prétendues bactéries ne seraient en fait que des formes minérales imitant la morphologie des bactéries ou encore le résultat d’une contamination au laboratoire. »
Retour sur une théorie aussi fascinante que loufoque.
La panspermie, un fantasme tenace
La panspermie est une théorie selon laquelle la vie sur Terre serait d’origine extraterrestre. Elle considère que la vie y aurait été amenée par des météorites qui se seraient écrasées à la surface de notre planète. Certains de ses défenseurs sont des scientifiques respectés. C’est ce qu’expose Jean Durat dans l’ouvrage Où sont-ils ? Les extraterrestres et le paradoxe de Fermi.
Le mot est popularisé en 1908 par le prix Nobel de chimie 1903 Svante Arrhenius, qui émet l’hypothèse que le vivant peut « se propager de planète en planète2 ». Mais le concept date de l’antiquité. C’est le philosophe Anaxagore qui, le premier, suggère que des corps célestes ont pu apporter la vie sur Terre. Son hypothèse ne passe pas inaperçue puisqu’Aristote s’y intéresse et apporte ses contestations.
La théorie sombre ensuite dans l’oubli puis ressuscite peu avant Arrhenius au XIXe siècle. Dans les années 1860, « les études fleurissent », indique Matthieu Gounelle dans son papier intitulé « La vie rêvée des météorites ». C’est « la sortie du laboratoire des météorites, qui font leur entrée sur la scène médiatique ».
De plus en plus de scientifiques se passionnent pour l’étude des météorites et certains d’entre eux voient un lien entre celles-ci et l’apparition de la vie sur Terre. « Ces annonces concernent deux types de météorites, nous explique Matthieu Gounelle dans son bureau du Muséum national d’Histoire naturelle : celles qui viennent de Mars, ou des chondrites carbonées, riches en matière organique. » L’astronome Camille Flammarion remarque la présence de carbone, associé à de l’oxygène et à de l’hydrogène, sur certaines roches tombées du ciel. Il en conclut que la vie a pu naître ailleurs dans l’Univers, au moins sous forme végétale. Le lien avec la panspermie n’est toutefois pas explicitement posé. C’est Hermann Von Helmholtz qui introduit le concept de panspermie en 1871, avant qu’Arrhenius ne démocratise le terme. « Pour le savant allemand, explique Matthieu Gounelle, comètes et météorites ont disséminé des germes de vie partout où les conditions été favorables à leur développement. »
La théorie bat de l’aile puis resurgit avec d’autant plus d’écho, quelques décennies plus tard, en 1933. Le 31 janvier, le New York Times relaie une étude du bactériologiste Charles Lipman, stipulant que la vie aurait été découverte dans des météorites. Est-ce alors l’aboutissement de près d’un siècle de recherches sur le sujet ? Hélas, non. L’annonce de Charles Lipman est réfutée par ses pairs.
« Moins tendres que de nos jours, écrit Matthieu Gounelle, les scientifiques de l’époque ont considéré que “les excursions de Lipman dans le domaine de la vie extraterrestre doivent être considérées comme un vol de l’imagination au travers de l’espace”. »
« La vie rêvée des météorites »
Les déclarations se suivent au cours du XXIe siècle, et ressemblent toutes à celles de Lipman. Elles suscitent un enthousiasme éphémère, avant d’être invalidées. Les biologistes Bartholomew Nagy et Georges Claus affirment, en 1962, avoir découvert de la matière organique dans la fameuse météorite d’Orgueil, tombée près de Montauban en 1864, qui avait motivé de nombreuses recherches et sera l’objet d’étude de Richard Hoover, en 2011. En 1996, une prétendue découverte du même type est même relayée par le président des États-Unis.
Mais en fin de compte, « on n’a jamais trouvé de vie dans les météorites », tranche Matthieu Gounelle. Toutes les découvertes jamais présentées sur le sujet n’ont finalement pas été concluantes.
Ce constat s’explique d’une façon assez limpide, si l’on suit le propos de Matthieu Gounelle. « Les météorites ne nous renseignent que sur notre système solaire », explique-t-il. Elles ne proviennent pas d’un ailleurs. Toutes les météorites, à quelques exceptions près, proviennent de planètes voisines de la Terre. En effet, en vertu du principe de gravité, il est infiniment rare qu’un corps puisse échapper à son système solaire et se perdre dans l’espace. Ces phénomènes n’arrivent presque jamais. Or, quelle planète, plus que la Terre, serait susceptible d’abriter la vie dans le système solaire ? « Mon idée est assez simple. En définitive, le corps le plus favorable à l’apparition de la vie dans le système solaire est la Terre. Ce désir de déplacer le problème de l’origine de la vie est superflu. »
Matthieu Gounelle coupe alors court au fantasme. Si les météorites ne proviennent que de notre système solaire et si l’on admet que la Terre est bien la planète la plus favorable à l’apparition de la vie au sein de celui-ci, ne reste-t-il plus que la panspermie dirigée ? Cette variante de la panspermie qui pousse la théorie encore plus loin et suggère non seulement que la vie proviendrait de corps extraterrestres, mais que ceux-ci auraient été sciemment dirigés vers la Terre par une civilisation intelligente.
« On est dans le registre du fantasmatique », s’oppose naturellement Matthieu Gounelle. Mais tout cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de vie extraterrestre. Il est même légitime selon lui de continuer à chercher.
« Il peut y avoir de la vie ailleurs… »
La panspermie est en définitive une théorie empreinte de fantasme, qui n‘a jamais été prouvée mais reste, toutefois, assez difficile à réfuter.
- Richard Hoover, « Fossils of cyanobacteria in CI1 carbonaceous meteorites », Journal of Cosmology.
- Jean Durat, Où sont-ils ? Les extraterrestres et le paradoxe de Fermi, CNRS Éditions.
Matthieu Gounelle, « La vie rêvée des météorites », Ciel et espace.