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Anvers, capitale mondiale du diamant

Photos de Nicolas Melemis prises à Anvers, capitale mondiale de la vente de diamants.

Leo Lamotte (rédacteur), Nicolas Melemis (artiste)

84%  des diamants bruts échangés dans le monde transitent aujourd’hui par Anvers, capitale mondiale de la pierre éternelle. Une hégémonie sans équivoque et vieille d’un siècle qui ne rend pourtant pas la ville exempte de mutations. De fait, si son quartier des diamantaires trouve son origine au Café Florin, premier lieu d’échange de gemmes à Anvers, il se compose maintenant de quatre bourses étalées dans trois rues où la sécurité est de mise. Et, à paysage urbain changeant, habitants changeants : à mesure que s’est mondialisée l’économie du diamant, les origines des négociants anversois se sont diversifiées. Dans quelle mesure le quartier des diamantaires d’Anvers reflète-t-il l’économie — plus que jamais mondialisée — du diamant ?

 

Le quartier des diamantaires d’Anvers, allégorie du marché du diamant

Photos de Nicolas Melemis prises à Anvers, capitale mondiale de la vente de diamants.

Le négoce de diamants remonterait au Moyen Âge, époque à laquelle il orbitait autour de Venise, où étaient réceptionnées les précieuses pierres qui avaient emprunté la route de la soie. Mais l’insécurité du commerce par voie terrestre et le développement de son équivalent maritime firent transiter le marché des canaux vénitiens vers Lisbonne, dont les communautés juive et flamande s’occupaient alors tant de la taille que de la vente des pierres. C’est dans ce scénario que se forgera le rôle et la place d’Anvers dans le marché du diamant. En effet, à la fin du XVe siècle, sous l’impulsion de la limpieza de sangre1 des « Rois catholiques » d’Espagne — qui incitèrent leur voisin portugais à faire de même —, les personnes de confession non-chrétienne refusant de se convertir se voyaient condamnées à l’exil. Si les tailleurs flamands2 se redirigèrent vers Amsterdam, une partie des Juifs portugais impliqués dans le négoce diamantaire élut domicile à Anvers. S’ensuivit alors une période de concurrence entre les deux villes, dominée tout d’abord par Amsterdam, mais qui s’acheva à l’entre-deux-guerres en faveur d’Anvers.

L’historien et expert des diamants Eddy Vleeschdrager l’explique par trois phénomènes, le premier étant d’ordre social, les deux autres d’ordre pécuniaire. Si l’influence des syndicats hollandais de l’époque contraignait de fait les tailleurs d’Amsterdam, ces derniers y subissaient également une grande pression fiscale. À l’inverse, les premières banques spécialisées dans le négoce du diamant ouvraient leurs portes à Anvers. Ces nouvelles institutions, basées sur une relation de confiance avec les négociants, emboîtèrent le pas aux diamantaires hollandais qui devinrent Anversois. Cet exode déboucha même sur la création d’une nouvelle monnaie, le florin diamantaire, qui, en vigueur jusque dans les années 1980, souligne la volonté de cohabitation présente aujourd’hui encore dans le quartier des gemmes inaltérables.

Photos de Nicolas Melemis prises à Anvers, capitale mondiale de la vente de diamants.

Si la Seconde Guerre mondiale a déporté la grande majorité de la communauté juive anversoise,  cette dernière a pu finalement retrouver ses quartiers. Si bien que, dans les années 1970, l’économie du diamant à Anvers a traversé un véritable âge d’or durant lequel ses milliers de tailleurs et de négociants lui ont assuré une hégémonie totale — tant en matière de taille des pierres que de négoce. La structure de ce marché allait pourtant bientôt changer avec l’arrivée des premiers diamantaires indiens dans la ville belge : en 2012, alors qu’Anvers n’abritait plus qu’un millier de tailleurs, ils étaient entre 800.000 et 1 million en Inde. Ce processus — d’une ampleur telle qu’entre 80 % et 90 % des diamants sont aujourd’hui taillés en Inde — coïncide avec le renforcement de la communauté indienne ou, plus précisément, de la communauté jaïne, à Anvers. Les échanges de pierres entre la Belgique et l’Inde ont même fait du pays de la Brabançonne3 l’un des principaux partenaires commerciaux du géant asiatique au sein de l’Union européenne4. Mais cette sédentarisation ne perturbe aucunement le climat de confiance liant les diamantaires anversois. Loin s’en faut, cette nouvelle communauté s’y est parfaitement imbriquée, le jaïnisme reposant sur cinq Grands Voeux parmi lesquels figurent la non-violence, la sincérité et l’honnêteté. Dans le quartier des diamantaires, l’éthique semble ainsi prendre le pas sur de possibles clivages ethniques puisqu’après tout, il s’agit de vivre et faire affaire « ensemble », selon l’expression de Chaim Pluczenik, diamantaire anversois et directeur de Pluczenik Diamond Company.

Pour autant, l’atmosphère qui caractérise le quartier des diamantaires en fait également la victime d’abus de confiance. En 2003, « le casse du siècle », plus de 120 coffres-forts sont fracturés lors du vol du Diamond Center d’Anvers. Les pierres collectées par les voleurs auraient une valeur totale d’environ 100 millions d’euros. Il s’agit d’une opération de longue haleine puisque son instigateur se serait installé dans la ville belge en 2000 grâce à une entreprise fictive qui, selon Matty Balthau, le commissaire chargé de l’enquête, n’aurait effectué aucune transaction. Mais Leonardo Notarbartolo et ses complices ne sont pas les seuls à avoir profité de l’atmosphère anversoise pour en briser la sécurité. En 2005, un homme se présente à une banque du quartier des diamantaires sous le nom de Carlos Hector Flomenbaum, supposé ancien diamantaire argentin. Un an et demi plus tard, 24 kilogrammes de diamants5 disparaissent avec lui sans même que l’on sache sa véritable identité. Bien que de telles opérations impressionnent, les vols ne sont pas l’unique difficulté à laquelle les diamantaires anversois font face, en témoigne la circulation de faux certificats d’origine Kimberley. Ces derniers proviennent de la mise en place, au début du millénaire, du Processus de Kimberley, un effort tripartite liant les gouvernements, l’industrie du diamant et la société civile dans la lutte contre les « diamants de sang » ou, en d’autres termes, contre les pierres provenant de zones de conflit. Difficile alors de concevoir qu’en 2011 la justice anversoise ait découvert un système de faux certificats d’origine Kimberley par lequel des diamants ont été illégalement importés à Anvers, le tout pour un montant de plusieurs millions d’euros.

Photos de Nicolas Melemis prises à Anvers, capitale mondiale de la vente de diamants.

La suprématie d’Anvers sur le marché de la pierre éternelle se caractérise par une connivence entre l’organisation du quartier des diamantaires et l’économie de la gemme à l’échelle mondiale – en témoigne le rôle grandissant de l’Inde dans la taille des diamants. Toutefois, les différents vols et la falsification de certificats d’origine transforment ce quartier en un microcosme à l’idylle menacée. Tant les raisons qui légitimèrent la création du Processus de Kimberley que l’actuel blocage de ce dernier tendent à remettre en cause la justesse d’une association entre Anvers et le marché du diamant.

 

Des pierres de sang au blocage du Processus de Kimberley, Anvers déconnectée de la réalité  

 

Loin du vivre ensemble prôné par les diamantaires anversois, l’extraction des gemmes divise à tel point qu’un lien direct a été établi entre cette dernière et le financement de guerres civiles dans certains pays africains6, à l’instar de l’Angola, du Liberia, de la Sierra Leone ou de la République démocratique du Congo. C’est pour cette raison qu’est née l’expression « diamants de sang7 », popularisée tant par diverses ONG que par le film Blood Diamond d’Edward Zwick. Anciennement nommé Zaïre, la République démocratique du Congo (RDC) — qui abrite près d’un tiers des réserves mondiales en diamant — naît en 1997 après que Laurent Désiré Kabila, alors à la tête d’AFDL8, se soit servi du diamant pour s’assurer du soutien d’autres pays9 et financer son coup d’État. Mais, alors que Kabila devient président de la nouvellement née RDC, il tourne le dos à ses anciens alliés, ce qui débouche sur une deuxième guerre et de nouvelles promesses de concessions, cette fois au Zimbabwe, à la Namibie et à l’Angola. Un rapport de l’ONU déclare ainsi que « les principaux motifs du conflit en RDC sont devenus l’accès à cinq ressources minérales », dont le diamant fait évidemment partie. Un rapport du CAIRN10 insiste même sur la causalité liant l’exploitation des diamants et les conflits au Liberia et en Sierra Leone en citant l’ONG Impact11 : « En fait, les diamants ont été le moteur du conflit en Sierra Leone, qui a déstabilisé le pays durant près de trente ans, dérobé son patrimoine et détruit toute une génération d’enfants. » En Angola, où cette relation de cause à effet est moins valide, l’exploitation des zones diamantifères a tout de même éternisé la guerre civile durant 27 années. Dans ce contexte, en décalage complet avec l’esprit de cohabitation et de confiance du quartier des diamantaires anversois, l’implémentation du Processus de Kimberley apparaît logique, alors que les défis auxquels il doit répondre se font colossaux.

Photos de Nicolas Melemis prises à Anvers, capitale mondiale de la vente de diamants.

Ce processus devient en 2003 un système tripartite de certification d’origine des diamants bruts visant à empêcher la circulation de pierres de sang sur le marché mondial. L’implication du Conseil mondial du diamant, représentant de l’industrie, et des 81 pays dans ce processus se fonde néanmoins sur les efforts d’organisations non-gouvernementales, à l’instar de Global Witness qui organisa les premières campagnes de communication à l’égard des diamants de sang. Comment expliquer alors l’annonce, en 2011, du retrait de Global Witness du Processus de Kimberley ? À sa fondatrice et directrice, Charmian Gooch, d’y répondre : « Près de neuf ans après le lancement du Processus de Kimberley, la triste vérité est que la plupart des consommateurs ne peuvent toujours pas être certains de la provenance de leurs diamants, ni savoir s’ils financent des violences armées ou des régimes répressifs. » Tant la Côte d’Ivoire que le Venezuela et le Zimbabwe décrient l’échec d’un Processus de Kimberley dont elle fustige le manque d’investigation. La République Démocratique du Congo est par exemple devenue le théâtre d’une informalisation de l’extraction du diamant, elle-même source d’infractions aux droits de l’Homme selon Thierry Vircoulon, directeur du programme Afrique centrale d’International Crisis Group. Les pays frontaliers de la RDC profitent de cette faiblesse, expliquant un important contournement du Processus de Kimberley qui, en 2010, estimait les exportations de diamant congolaises à 5 millions de dollars — un chiffre qualifié de « ridicule » par Thierry Vircoulon. À l’inverse, le Congo Brazzaville, qui produit annuellement environ 50.000 carats de diamants, exportait 5 millions de carats de ces gemmes en 2004. Face aux faiblesses du Processus de Kimberley, l’organisation à but non-lucratif Impact rejoint en 2017 les rangs de Global Witness en choisissant de se retirer du processus. Joanne Lebert, directrice exécutive d’Impact, expliquait cette décision en déclarant : « Le Processus de Kimberley — et sa certification — ont perdu leur légitimité. »

Photos de Nicolas Melemis prises à Anvers, capitale mondiale de la vente de diamants.

Depuis le début du XXe siècle, Anvers et ses diamantaires assoient leur domination sur le marché du diamant, un véritable empire s’étant rassemblé dans trois rues. Aujourd’hui, si le cosmopolitisme croissant d’Anvers se fait le reflet fidèle du « multicentrage12 » de l’économie du diamant, elle demeure déconnectée des conflits géopolitiques sur le continent africain. Là-bas, le scénario empire à mesure que les promesses non tenues du Processus de Kimberley coupent court à l’optimisme et à l’espoir que sa création avait fait naître.

  1. La « pureté de sang » est un concept encensant le portrait du vieux chrétien dont la religion demeure dénuée de toute influence juive/musulmane.
  2. Protestants, huguenots, calvinistes…
  3. Hymne national belge.
  4. Selon un rapport du Ministère de l’Économie et des Finances, « les exportations de pierres et métaux précieux belges vers l’Inde s’affichaient à 5,1 Mds $ sur l’exercice budgétaire [2016-2017] ».
  5. D’une valeur de 21 millions d’euros.
  6. Florian Delorme, Cultures Monde, « Les Routes du Diamant (4/4) : Les diamants de sang », France Culture (2012).
  7. Définition donnée par le Processus de Kimberley : « Diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles ou leurs alliés afin de financer des conflits armés visant à déstabiliser des gouvernements légitimes. »
  8. Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo — groupe d’opposition politique. 
  9. Ouganda, Rwanda, Burundi.
  10. Orru Jean-François, Pelon Rémi, Gentilhomme Philippe, « Le diamant dans la géopolitique africaine », Afrique contemporaine, 2007/1 (n° 221), p. 173-203. DOI : 10.3917/afco.221.0173.
  11. Renommée ainsi en 2017, auparavant Partenariat Afrique-Canada.
  12. François RABATE, “Diamants, les nouveaux mondes”, Sunset Presse (2009).