Odio dignissimos blanditiis qui deleni atque corrupti.

The Point Newsletter

Sed ut perspiciatis unde omnis iste natus error.

Follow Point

Commencez à taper votre recherche ci-dessus et appuyez sur Retour pour lancer la recherche. Appuyez sur Echap pour annuler.

Vivastreet : la prostitution, de la rue aux écrans

Iris Lambert (rédactrice), Laura Olivieri (artiste)

 

Depuis le 30 mai dernier, le site de petites annonces Vivastreet fait l’objet d’une information judiciaire pour « proxénétisme aggravé ». Si Vivastreet semble jouer un jeu trouble pour ce qui est de la loi française, le site, ainsi que ses concurrents, ont transformé à bien des égards les pratiques prostitutionnelles en France, tant par les prestations proposées que par le type de personnes ayant recours à la prostitution.

Après deux plaintes déposées contre Vivastreet, l’une par le Mouvement du Nid et l’autre par le père d’une jeune mineure ayant utilisé Vivastreet afin de se prostituer, le procureur du parquet de Paris a ouvert ce mercredi 30 mai une information judiciaire pour « proxénétisme aggravé » à l’encontre de Vivastreet. Créé en 2004 par Jean Camille Pons, Vivastreet est un des leaders des sites de petites annonces, avec Paru Vendu et le Bon Coin. Sa particularité ? La rubrique Erotica, où l’on peut trouver des annonces de « massages » sans mention explicite de tarifs mais qui s’avèrent être, pour la plupart, de la prostitution plus ou moins bien déguisée. De fait, 62 % de l’activité prostitutionnelle aujourd’hui passe par Internet, la prostitution de rue ne représentant plus qu’environ 30 %, d’après les chiffres du Mouvement du Nid datant de 2015. Si Vivastreet semble jouer un jeu trouble pour ce qui est de la loi française, le site, ainsi que ses concurrents, ont transformé à bien des égards les pratiques prostitutionnelles en France.

 

Pourquoi travailler sur Vivastreet (et autres sites de prostitution en ligne)

 

Il existe trois formes majeures de prostitution : la prostitution en ligne, la prostitution de rue et la prostitution dite « indoor », à savoir dans des bars, clubs ou salons de massage, qui ne représente que 8 % de l’activité prostitutionnelle globale.

 

L’un des avantages de la prostitution en ligne serait la possibilité de définir et de personnaliser son annonce, notamment grâce aux photos. Lila a une quarantaine d’années et a commencé à se prostituer il y a 20 ans via des petites annonces dans les journaux : « Jusqu’en 2006-2007 j’ai employé la bonne vieille méthode de l’annonce traditionnelle où j’allais dans un journal où on payait en liquide, on mettait son annonce, et on était contrôlées, on devait être déclarées », raconte-t-elle. Entretemps Vivastreet est apparu : « Par rapport aux annonces qui étaient dans les quotidiens que tout le monde utilisaient, ça permettait de se mettre à son avantage, de mettre des photos, des vidéos, de donner un peu plus envie ; grâce aux photos les gens pouvaient voir qui ils appelaient. »

Vivastreet et la prostitution en ligne : de la rue aux écrans. Une instruction ouverte pour proxénétisme aggravé. Illustration de Laura Olivieri.

D’autre part, la prostitution en ligne permet de ne pas descendre dans la rue, ce qui est parfois vu comme stigmatisant. Sandra a 37 ans et se prostitue depuis quelques années après avoir subi l’influence néfaste de son ex-conjoint. « J’ai connu la prostitution par la prostitution en ligne. (…) Dans les clubs il faut reverser la moitié de ce qu’on a gagné aux clubs. (…) La rue ce n’est pas confortable, ce n’est pas agréable et c’est dangereux. En ligne, c’est la seule solution, même si je n’aime pas trop ce mot », décrit-elle. Arthur Melon, responsable plaidoyer de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants (ACPE), explique que certaines mineures qui se prostituent en ligne ne se considèrent pas comme des prostituées : « Il y a cette idée que la prostitution est associée à la rue et que si on est dans un hôtel ce n’est pas de la prostitution. C’est une vraie banalisation. »

 

De plus, depuis la loi de 2016 sur la pénalisation des clients de prostituées, il est plus dangereux pour les clients eux-mêmes de chercher des prostituées dans la rue. Internet offre donc une plateforme de choix quasi illimités et sans risque, puisque la loi sur la pénalisation des clients ne s’applique virtuellement jamais dans le cadre de la prostitution en ligne.

 

Enfin, bien que le site soit payant, nombreuses sont les prostituées qui comptent financièrement sur la capacité du site à drainer un nombre important de visiteurs, assurant donc une clientèle continue. « J’utilise Vivastreet parce que c’est la base, si on n’est pas sur Vivastreet on travaille pas autant », indique Sandra, faisant écho à Lila, pour qui Vivastreet est « le site où les clients vont le plus ». Lila compte également sur les contrôles opérés par le site : « Sur d’autres sites, il y a des propositions obscènes. Si cela arrive sur Vivastreet, il est possible de dénoncer et Vivastreet régulera. »

 

Impact de la prostitution en ligne sur les pratiques prostitutionnelles

 

Il est difficile d’estimer l’impact de la prostitution en ligne sur le nombre global de prostituées. Cependant, il semblerait que, de manière générale, la prostitution en ligne ait provoqué une augmentation significative du nombre de personnes ayant recours, même occasionnellement, aux pratiques prostitutionnelles. Laurent Mélito, sociologue spécialiste de la prostitution sur Internet précise : « Cela ne veut pas dire qu’il y ait une continuité entre la rue et le Net ; à ma connaissance, il y a très peu de personnes qui sont passées du trottoir sur Internet. Donc ce sont plutôt de nouvelles personnes qui ne seraient pas allées sur le trottoir qui vont aller sur Internet. »

 

D’après Laurent Mélito, la prostitution en ligne a opéré des changements précis sur le processus de contractualisation de la prostitution : « Par Internet ces personnes ont l’impression de différer le temps de la proposition du service du temps de la sollicitation et du temps de la rencontre, il y a trois temps. Dans la rue c’est beaucoup plus compacté. » De plus, les questions d’argent et de négociation ne se posent pas dans les mêmes termes sur Internet et dans la rue. « Dans la rue, on se heurte à des négociations permanentes. Sur Internet la contractualisation a priori a des effets conteneurs pour le client parce que ça a été assorti d’une série d’accords », explique Laurent Mélito.

 

Dans le cadre de la prostitution des mineures, les sites d’annonce et notamment Vivastreet jouent un rôle ambigu. Arthur Melon précise : « Ce n’est pas à cause d’Internet qu’un mineur va tomber dans la prostitution, c’est un facteur qui va pouvoir faciliter, mais ce ne sera pas un facteur déclenchant. » Cependant Internet a certainement développé le proxénétisme sur mineurs. En effet, « pour poster ces annonces, il faut payer, il faut une carte bleue. Les jeunes filles n’ont pas forcément d’argent ou de carte bleue, et une fois que l’annonce est postée et qu’il y a un rendez-vous (…)  il faut être majeur pour pouvoir payer ou réserver une chambre d’hôtel ou un appartement, c’est pour ça que la plupart du temps les proxénètes ont pour rôle de poster les petites annonces et de faire des réservations d’hôtel », développe Arthur Melon.

D’autre part, il y a des pratiques qui semblent être spécifiques aux offres en ligne. June Charlot, médiateur santé et chargé de communication pour l’association Grisélidis, indique que « sur Internet il y a également plus d’échanges, de ce qu’on appelle du “social time” qui va être demandé par le client, du temps de discussion et de séduction, et donc les prestations sont plus longues. C’est ce qui est beaucoup mis en avant, c’est la GFE (Girl Friend Experience), l’illusion de la séduction ». Il s’agit d’une prestation pour laquelle la prostituée ne vend pas uniquement un service sexuel, mais aussi l’illusion de la tendresse et de l’intérêt porté lors de véritables relations. Cette pratique est par exemple incompatible avec la prostitution de rue car l’immédiateté de la rencontre et le caractère directement explicite de l’échange ne permet pas de faire durer l’illusion d’une rencontre amoureuse.

Retrouvez notre enquête en partenariat avec Mediapart

 

2

 Sur Internet, il y a un effort constant de distanciation du terme « prostitution ». « Dans le terme “escorting” il y a la tentative de se décentrer de la prostitution en elle-même (…) Une bonne partie des annonces cherchent a minima à se démarquer de la passe, il y a quelque chose de l’ordre du supplément », analyse Laurent Mélito. « Si on s’intéresse à la grammaire des annonces, il y a toute une série de thèmes qui cherchent à dégager l’escorting de la prostitution de rue. Le contrepoint c’est “occasionnelle”, dans la réalité il y a très peu d’occasionnelles au sens maîtrisé du terme », ajoute-t-il. Aussi, pour certains clients, solliciter une escorte sur Internet n’est pas comparable au fait de descendre et de chercher une prostituée dans la rue. Il y a quelque chose de l’ordre de l’estime de soi, qui fait que la clientèle du Net n’est pas nécessairement la même que la clientèle de la prostitution de rue.

 

Enfin, la démultiplication des annonces et donc l’augmentation de l’offre, comme dans tout secteur marchand, transforme la tarification. « Il y a une explosion des annonces, donc une baisse des tarifs et une diversification des pratiques », confirme June Charlot.

 

De nouveaux dangers

 

L’un des principaux problèmes liés aux annonces de Vivastreet est l’absence totale de contrôle de l’identité, des annonceurs comme des visiteurs. Cela a deux effets pernicieux majeurs. D’une part, la possibilité pour des mineurs de se prostituer.  D’autre part, un nombre incalculable de personnes, là aussi y compris des mineurs, peuvent avoir accès aux annonces, et les utiliser sans intentions sérieuses d’avoir recours aux services proposés. « Ils pensent que c’est le téléphone rose gratuit ! » s’insurge Lila. « À une époque Vivastreet avait eu la bonne idée de mettre en place un téléphone payant (…) Ça évitait à certaines personnes de nous appeler pour des renseignements et de se gargariser avec ca. Vivastreet c’est le défouloir (…) C’est extrêmement désagréable d’avoir au téléphone des gens qui sont grossiers, vulgaires et insultants (…) C’est irrespectueux, et c’est difficile à gérer pour démêler le faux du vrai », raconte-t-elle. Les canulars se multiplient, ainsi que les cas de harcèlement. Sur une journée, les personnes derrière les annonces de Vivastreet peuvent recevoir jusqu’à 150 appels.

 

L’impossibilité de voir le client avant l’heure du rendez-vous, puisque ceux-ci se prennent par téléphone, constitue un autre danger. Les agressions physiques sont des épées de Damoclès permanentes. « Dès qu’il s’agit de prostituées les gens tournent les talons, donc la sécurité c’est à nous-mêmes de la faire, d’avoir des choses pour se défendre, ou la diplomatie. Moi par exemple, je suis extrêmement gentille et douce dans ma façon de parler, de proposer des choses, car si je les énerve, ça pourrait mal se terminer (…). Moi j’ai de quoi me défendre, déjà j’ai fait de la boxe, j’ai fait de la défense personnelle, et ensuite j’ai une matraque et un couteau, mais le problème c’est qu’avec les couteaux, ils peuvent être retournés vers nous », raconte Sandra. Lila aussi est armée: « Il ne faut surtout pas hésiter, et si j’ai un souci soit je frappe, soit j’appelle la police. » Avec le temps, Sandra a su développer certaines techniques : « Au téléphone, avec l’expérience on arrive à savoir qui va venir ou qui ne va pas venir ou qui va poser des problèmes ou pas. » C’est précisément cette déconstruction entre le temps de la prise de contact et la rencontre physique qui effraie certaines prostituées de rue. June Charlot explique qu’en effet « il y a des personnes qui travaillent dans la rue qui ne travailleraient jamais sur Internet, qui disent : « Dans la rue, je vois dans les yeux du client si je vais monter ou pas.” Internet c’est trop dangereux. »

 

L’autre problème majeur lié à la prostitution en ligne est l’isolement. Les personnes qui se prostituent en ligne de façon individuelle et indépendante ne profitent pas de la solidarité qui existe parfois dans la rue, où « il y a une entraide communautaire qui fait que les gens sont assez au fait de la prévention, les tarifs sont codés », explique June Charlot. Il existe un manque crucial d’information sur des questions de santé et des questions de droit. Les personnes isolées sont potentiellement moins au courant des modes de contamination. Par exemple, de plus en plus d’annonces proposant des pratiques telles que la GFE font l’impasse sur l’utilisation de préservatifs pour les fellations. D’autre part, les personnes se prostituant sur Internet ne sont pas forcément au fait de leurs droits et de leurs devoirs légaux. « Les personnes [se prostituant sur Internet] sont censées déclarer leur revenus, des escortes peuvent avoir des redressements fiscaux », indique June Charlot.

 

Dans l’ensemble, l’isolement des prostituées et l’invisibilité grandissante de la prostitution avec le glissement vers la prostitution en ligne semble aboutir à un phénomène général de précarisation de la prostitution, au bénéfice des sites hébergeurs tels que Vivastreet, pour qui les annonces de la rubrique Erotica constituent un business très lucratif. Dans la mesure où la pénalisation des clients ne s’applique pas en ligne, et où la protection des prostituées du Net s’avère limitée, il s’agit désormais pour la loi française de s’emparer de cette nouvelle réalité.