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La justice veut savoir si Vivastreet est le premier proxénète de France

En partenariat avec Mediapart : La justice veut savoir si Vivastreet est le premier proxénète de France. Texte d'Hugo Lemonier et illustrations de Fanny Monier.

Hugo Lemonier (rédacteur), Fanny Monier (artiste)

 

Enquête réalisée en partenariat avec Mediapart.

 

Le parquet de Paris a ordonné mercredi 30 mai l’ouverture d’une instruction judiciaire contre X pour proxénétisme aggravé. L’enquête vise Vivastreet, 2e site d’annonces français, qui génère une importante part de son chiffre d’affaires grâce aux offres d’escortes. Des bénéfices « tax free », rapatriés à Jersey, qui en font, pour le Mouvement du Nid, « le premier proxénète de France ». Jusqu’ici, le site semblait protégé par ses liens privilégiés avec la police

« NOUVELLE FILLE A ROUEN !!! 1 ER FOIS ICI ! RUSSE MODEL », « Femme chaude », « Princesse 27 ans Nouvelle Sur Lyon », « SASHA TRANS LATINE a PARIS 75019 » (sic)… Elles posent, lascives devant l’objectif. Bienvenue dans la rubrique « Erotica » de Vivastreet, où près de 8 000 annonces sont recensées.

Derrière ces prétendues offres de massage érotique et de services d’« accompagnement » se cachent des prostituées. Bien que les photos suggestives ne laissent guère de doute sur la nature des prestations proposées, aucune annonce n’est explicite. Il n’est jamais fait mention d’un échange, et encore moins d’une somme d’argent.

Voilà plus de dix ans que le site met en avant des annonces d’escortes, sans être inquiété par la justice. Mais mercredi 30 mai, le parquet de Paris a décidé d’ouvrir une information judiciaire contre X pour « proxénétisme aggravé », selon une information révélée par 20 Minutes. C’est donc la première fois que la justice va s’intéresser au système Vivastreet, l’enquête faisant suite à la plainte déposée en décembre 2016 par l’association abolitionniste Le Mouvement Le Nid. Jusque-là, une seule instruction avait été ordonnée, mais à visée beaucoup moins large, puisqu’elle survenait après la plainte d’un père pour « proxénétisme sur mineure de moins de 15 ans ».

En France, 62 % des prostituées entreraient en contact avec leurs clients via Internet, selon Le Mouvement du Nid. Depuis quelques années, le nom du site d’annonces ne cesse de revenir dans des affaires de proxénétisme en France. « Sur la vingtaine de dossiers de prostitution de mineures que nous avons à traiter, environ 18 sont liés à Vivastreet », précise l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE). « Cela paraît incroyable pour les adultes mais, quand on en parle aux jeunes, eux se marrent de voir à quel point on est naïfs », raconte Arthur Melon, responsable du pôle plaidoyer d’ACPE. « Il faut bien prendre conscience que, pour les jeunes, Vivastreet est avant tout connu pour la prostitution. »

En 2014, le rappeur NIRO s’est même saisi du phénomène dans une chanson écrite en référence au site : « Quatre-vingts dix euros la passe, Vivastreet / Le rap game c’est de la baise, Vivastreet / Quatre-vingts dix euros la passe, Vivastreet ».

De son côté, le fondateur de la plateforme, Yannick Pons, se montre assez discret au sujet de ces lucratives annonces de « massage ». Ce « serial-entrepreneur » français, se montre beaucoup plus loquace sur la création de son fonds d’investissement en soutien aux start-up hexagonales. Pourtant, les offres d’escortes représentent jusqu’à 80 % de l’activité de Vivastreet selon les pays, comme l’a admis l’homme d’affaires lors d’une procédure devant la justice britannique, que Mediapart a pu consulter.

En France, l’affaire vient d’être reprise en main par un nouveau magistrat, Christophe Perruaux, procureur adjoint au tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Et la décision du parquet français d’ouvrir une instruction judiciaire marque un revirement total par rapport à l’enquête diligentée pendant plus d’un an par l’Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH). « Jusqu’ici, on a eu l’impression que toutes les investigations ne visaient qu’à garantir l’impunité de Vivastreet », raconte la responsable juridique du Mouvement du Nid, Lorraine Questiaux.

La plainte de l’association se fonde pourtant sur un élément matériel. Lors d’une opération de « testing », en présence d’un huissier de justice, ses militants avaient posté une offre de relation sexuelle tarifée. Quelques dizaines de minutes plus tard, l’annonce avait bien été publiée mais le terme « rémunération » avait disparu. « C’était la preuve que non seulement Vivastreet savait que des annonces émanant de prostituées étaient publiées sur leur site, mais qu’ils les transformaient en annonces de massage », affirme Lorraine Questiaux.

Mais, dans son rapport, l’OCRTEH souligne que « les investigations n’ont pas permis d’expliquer de quelle manière les annonces avaient été modifiées ». Pas étonnant, selon Mouvement du Nid : « Les enquêteurs ont convoqué les dirigeants de Vivastreet avant même de procéder à leur propre test ! », s’insurge Lorraine Questiaux. D’après nos informations, Vivastreet a avancé que ses serveurs auraient été piratés pour justifier cette brèche dans leur système de modération. Pour autant, aucune mesure n’a été prise pour vérifier ces allégations.

Auditionnée à son tour dans les bureaux de l’OCRTEH, la responsable juridique du Mouvement du Nid fait alors face à une situation pour le moins inattendue : « On nous a ouvertement posé la question de savoir si nos constats d’huissier étaient valides », témoigne l’avocate. « C’est hallucinant ! Normalement des constats d’huissier valent preuve et l’OCRTEH n’avait d’ailleurs aucun moyen de prouver qu’ils étaient faux. »

En partenariat avec Mediapart : La justice veut savoir si Vivastreet est le premier proxénète de France. Texte d'Hugo Lemonier et illustrations de Fanny Monier.

Des relations privilégiées avec la police

 

Pour l’association, un autre élément troublant sème le doute sur l’impartialité de l’OCRTEH dans ce dossier. Un document révélé par France Inter, que nous nous sommes procuré, montre que cette unité chargée de lutter contre la traite humaine a passé un partenariat avec Vivastreet. En mars 2016, le patron de l’OCRTEH, Jean-Marc Droguet, remet aux dirigeants du site une attestation. Dans ce texte, il affirme que Vivastreet « collabore depuis plusieurs années de manière proactive avec les services de police en fournissant des informations sur des annonces passées sur son site Internet ».

Dans ce même document, le policier ajoute que « cette collaboration inclut la formation des services concernés sur la manière de demander ou d’utiliser […] notamment les éléments relatifs aux cartes de crédit utilisées pour les paiements ». Cette démarche de partenariat est confirmée par un rapport parlementaire, publié en 2011. Lorsque les enquêteurs suspectent l’existence d’un réseau de proxénétisme, une réquisition est envoyée au site afin de remonter la piste : « [Cela] aboutit à la communication, sous 48 h, de l’adresse électronique, de l’adresse IP et du numéro de téléphone de la personne ayant posté l’annonce », précise le rapport.

Sollicité, l’OCRTEH a refusé de répondre à nos questions. De son côté, Vivastreet n’hésite pas à revendiquer sa collaboration avec la police : « Nous coopérons toujours avec les autorités et nous avons une relation continue et constructive avec différentes administrations », indique le groupe W3 Ltd, propriétaire du site.

Reste à savoir désormais quelle unité sera mandatée par le magistrat instructeur pour mener les investigations contre Vivastreet. Deux services de police sont compétents en la matière : l’Office central de répression de la traite des êtres humains et la Brigade de répression du proxénétisme (BRP). « Nous refuserons catégoriquement que l’enquête soit confiée à l’OCRTEH, ce serait inacceptable », prévient Lorraine Questiaux. Mais, d’après un ancien de la BRP, la brigade entretient elle aussi des liens étroits avec la plateforme.

Au-delà même de ces potentiels conflits d’intérêts, le cas emblématique de Vivastreet met la justice française face à un dilemme inédit : un site Internet peut-il être tenu pour responsable des contenus postés sur ses pages ?

Vivastreet reste à ce jour dans un flou juridique. Le site se définit comme « un hébergeur de contenus générés par des utilisateurs », au même titre que Facebook ou Twitter. La plateforme jouirait ainsi d’un régime dérogatoire, prévu par la loi sur l’économie numérique : Vivastreet ne pourrait se voir reprocher les activités de ses clients. D’après la réglementation, la seule obligation d’un hébergeur consiste à « [agir] promptement pour retirer [les données répréhensibles] ou en rendre l’accès impossible » dès lors qu’il en aurait connaissance.

« Nous prenons cette priorité très au sérieux », assure Vivastreet par la voie de son avocat. « Nous avons mis en place un vaste éventail de procédures et vérifications automatisées que nous réexaminons en permanence afin de nous assurer qu’elles soient aussi impénétrables que possible. » Pour le Mouvement du Nid, le site ne peut entrer dans ce cadre juridique. Selon l’association, les hébergeurs se cantonnent à un rôle passif : ils mettent à la disposition de leurs clients des services techniques, tels que des serveurs pour abriter des sites Internet. Par exemple, Vivastreet précise dans ses conditions d’utilisation qu’il est « hébergé » par une firme dont le siège est situé aux États-Unis.

La plateforme va bien au-delà : elle a créé une catégorie spécifique pour les annonces d’escorting qu’elle modérerait si besoin. Selon l’association, le site ne pourrait donc être considéré comme un « hébergeur » au sens de la loi. Il lui faudrait alors rendre des comptes devant la justice, d’autant que la rubrique « Erotica » est devenue centrale dans son modèle économique. Pour la responsable juridique du Mouvement du Nid, Lorraine Questiaux, Vivastreet se positionne même sur un « marché mondial de l’exploitation des êtres humains ».

 

Les annonces d’escorte, un business très lucratif

 

En partenariat avec Mediapart : La justice veut savoir si Vivastreet est le premier proxénète de France. Texte d'Hugo Lemonier et illustrations de Fanny Monier.

Certains pays, comme la Grande-Bretagne, disposent de réglementations beaucoup plus souple que la France en matière de prostitution. Sur vivastreet.co.uk, les tarifs horaires sont affichés, les femmes dénudées, et les « agences d’escortes » dévoilent dans leurs annonces leur catalogue des « nouveautés ».

Interrogé sur ses pratiques commerciales à l’étranger, le groupe W3, propriétaire du site, précise respecter « les lois locales de chacun des pays » où il est implanté. Mais ses techniques de marketing commenceraient également à faire grincer des dents outre-Manche : « En 2017, la police du Lancashire a découvert qu’un Roumain suspecté de proxénétisme avait dépensé tellement d’argent en annonces sur Vivastreet – plus de 25 000 £ – que le site a donné à cet homme son propre gestionnaire de compte », indique un rapport parlementaire de la Chambre des communes, publié fin mai.

Les actes commis à l’étranger ne peuvent être reprochés à Vivastreet France. Mais en France aussi, les offres de « massage et d’accompagnement » sont payantes. Comptez 79,99 euros par mois par publication et ajoutez à cela de multiples options supposées garantir une meilleure visibilité : 79,99 euros par semaine pour paraître en première page, 79,99 euros pour remonter automatiquement en première page au cours de la journée, etc. « Près de la moitié [des annonces] optent pour au moins une mise en avant payante », rapportait une enquête du Monde en février 2017.

C’est le cas d’Anna (nous avons modifié le prénom), qui se présente comme une indépendante : « Ça s’apparente parfois à du racket ! J’en ai pour près de 500 euros par mois, donc j’ai besoin de voir quatre à cinq clients pour payer Vivastreet. Au départ, c’était quand même rentable. Mais, il y a eu certaines périodes où j’ai tiré la langue parce que je payais presque plus que je ne gagnais. » Depuis le lancement du site en 2004, Vivastreet a néanmoins appris à diversifier son offre de services à destination des escortes. Par exemple, l’option « changement de ville illimité » permet de modifier la localisation des annonces. Ces « sex tours » sont notamment prisés par les réseaux de prostitution internationaux, explique un ancien de la brigade de répression du proxénétisme : « Par exemple, les prostituées russes restent entre trois et quatre jours dans chaque ville. Elles facturent 150 à 200 euros l’heure et enchaînent quatre à cinq passes par jour, donc c’est très lucratif. »

La justice devra déterminer si Vivastreet facilite et tire profit de la prostitution de ces femmes, au sens de l’article 225-5 du Code pénal qui définit le proxénétisme. Mais une chose est sûre : la catégorie « Erotica » génère de confortables bénéfices. Ces pages pourraient rapporter à la plateforme entre 11 et 13 millions d’euros en France chaque année.

Ces chiffres sont très difficiles à vérifier car Vivastreet entretient un certain mystère autour de ses revenus. Yannick Pons, le fondateur du site, est l’actionnaire majoritaire de la maison mère, W3 Ltd, enregistrée dans le paradis fiscal de Jersey. Pourtant, d’après le registre des sociétés, près de 90 % des parts de cette holding est détenu par une autre entreprise, Elcan Nominees Ltd, citée dans les Panama Papers. Elle est en réalité mise à disposition par un trust et agit pour le compte de Yannick Pons. « Ces sociétés servent en quelque sorte de prête-noms », commente Eric Vernier, spécialiste du blanchiment d’argent. « Elles n’ont pas d’activités propres à part faire écran entre des gens et d’autres entreprises. » Les témoignages de deux employés du W3 Ltd, livrés sous serment devant la justice au Royaume-Uni, donnent une idée des dividendes perçus chaque année par les actionnaires du groupe. D’après nos calculs, près de 9 millions de dollars auraient ainsi été versés à la société écran, Elcan Nominees Ltd, agissant pour le compte de Yannick Pons.

En 2016, W3 Ltd a déclaré 42 millions d’euros de chiffre d’affaires à Jersey, où le taux d’imposition s’établit à 0 %. Pourtant, les bureaux du site ne sont pas situés sur la petite île anglo-normande. Vivastreet est géré par une autre société, WebDMUK, installée en plein cœur de Londres. L’entreprise – elle aussi propriété de Yannick Pons – profite ainsi d’une astucieuse optimisation fiscale pour réduire à peau de chagrin ses impôts au Royaume-Uni. En 2016, elle s’est ainsi acquittée d’environ 130 000 livres sterling au Trésor britannique. Sur ces sommes, combien proviennent d’annonces de « massage » ? Seule une enquête judiciaire approfondie pourrait le déterminer.

Article réalisé en collaboration avec Mediapart.

 

Pour lire le papier d’Hugo et Fanny sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/journal/france/310518/la-justice-veut-savoir-si-vivastreet-est-le-premier-proxenete-de-france