Marie Deteneuille (artiste), Paulin Hoegy (rédacteur)
Avec les commentaires de Joseph Tresca, de l’association d’aide à la réinsertion Wake up Café3.
Alors que la problématique des prisons occupe le devant de la scène médiatique ces dernières semaines, il paraît indispensable de s’intéresser à une donnée trop souvent évincée du débat, la réinsertion des prisonniers. Une mission sociale assurée par des milliers d’anonymes qui œuvrent au quotidien pour permettre aux personnes passées par la « case » prison de réintégrer les rangs de la société. Regards croisés sur l’action de ces altruistes, qui se révèlent être aussi de précieux observateurs de notre système pénitentiaire actuel.
Société détention
« Une société se juge à l’état de ses prisons », écrivit un jour le philosophe Albert Camus. Une citation lourde de sens, lorsque l’on connaît l’état actuel des prisons françaises. Vétusté des installations, surpopulation, conditions de travail plus que difficiles des surveillants, nombreux sont les maux de l’administration pénitentiaire dans notre pays. Pourtant dans ce marasme carcéral, un motif d’espoir apparaît. Un humanisme incarné par des citoyens qui se démènent pour offrir aux détenus et aux sortants de prison l’opportunité de se tourner vers un avenir meilleur.
Même si traditionnellement la mission de réinsertion est dévolue à l’État, le manque de moyens humains et matériels des institutions a fait du tissu social, souvent à travers le monde associatif, un acteur privilégié de la réinsertion post-carcérale. Avec comme principaux objectifs : l’instruction, l’accès à l’emploi et la conservation du lien social pour les personnes incarcérées. Cependant pour se réinsérer au sein de la société, encore faut-il l’avoir un jour intégrée. Car, selon de nombreux spécialistes de la question, l’intégration initiale de la population carcérale a souvent fait défaut, rendant d’autant plus nécessaire la dimension sociale de la peine, au risque pour la société de faire perdurer un levier de récidive.
Sauf qu’aujourd’hui notre système est exsangue. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer l’état de délabrement d’une majeure partie du parc pénitentiaire français qui peine de plus en plus à accueillir les 70 000 détenus actuellement dans nos geôles (un triste record) 1. Comme le montrent les chiffres de la surpopulation carcérale dans notre pays qui représente aujourd’hui 118 % de taux d’occupation des cellules en moyenne et peut monter jusqu’à 200 % dans certaines régions2. Une situation alarmante que déplore Joseph Tresca, de Wake up Café3, une association d’aide aux personnes passées par la détention : « Regardez l’état de nos prisons. Il faut juste s’imaginer être à trois dans une pièce de 9 mètres carrés, 22 heures sur 24. C’est très compliqué. Notre système carcéral dénature l’être humain, il s’apparente à de la torture. Et tous les ans, l’Europe nous sanctionne pour ça. » Comme de nombreux spécialistes de la réinsertion, ce jeune bénévole indigné, qui a rejoint les rangs de l’association il y a un an et demi, opte pour un travail en amont, au sein même de la prison. Une mission utile d’un point de vue objectif et social, puisqu’en luttant contre la récidive, elle permet de diminuer le nombre de victimes, de limiter la réincarcération (et ses coûts associés4), tout en offrant à la communauté la possibilité de se regarder dans les yeux. Et ce, quelle que soit la gravité des actes qui ont justifié la sanction.
Entre les murs
Au cours de la période d’emprisonnement, sous l’égide des autorités pénitentiaires, l’intervention de la société civile revêt aujourd’hui différentes formes : éducation, culture, sport et bien sûr, travail. Sûrement, l’aspect le plus connu de la réinsertion carcérale. Le travail en prison a même été promu gage de réinsertion sociale par la loi pénitentiaire de 2009, qui dispose que « les établissements pénitentiaires doivent prendre toutes les dispositions pour assurer une activité professionnelle aux personnes incarcérées qui en font la demande ». Pourtant, malgré ses bénéfices avérés en termes de réinsertion, le travail en détention ne cesse de régresser passant de 46,5 % en 2000 à 29,2 % en 20165. Un sujet au cœur des attentions politiques, puisqu’un rapport parlementaire vient d’être rendu en ce sens, soulignant la nécessité de l’activité en détention. Une occasion saisie au vol par le président de la République Emmanuel Macron pour annoncer la mise en place d’un plan sur le sens et l’efficacité des peines de prison en France6.
Mais outre le travail, en prison, les détenus ont aussi la possibilité de suivre un enseignement et une formation. Un cursus scolaire variant entre informatique, histoire, biologie et littérature. Une matière qu’enseigne Bruno Clément, professeur à la faculté Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et qui donne des cours toutes les semaines à la Maison centrale de Poissy, dans les Yvelines. Pour cet ancien président du Collège international de philosophie, ces cours en milieu carcéral donnent lieu à des moments d’échange et d’émulation intellectuelle, bien trop rares pour les détenus. « Souvent, je choisis d’aborder une question philosophique ou morale par le biais de la littérature. Cette dimension des textes est féconde pour la réflexion. Dans cette salle de cours, qui est un peu sanctuarisée, ils peuvent penser et changer d’environnement. L’autre jour il y a un détenu qui m’a dit : “Quand le cours a commencé et qu’on a parlé de justice, je me suis dis qu’est-ce qu’on va pouvoir raconter sur la justice ? Je la connais déjà. Mais depuis qu’on a commencé, je ne suis plus sûr de rien.” Il ne pouvait pas me faire plus plaisir, ce que je cherche avec eux c’est semer le doute, ébranler les certitudes. Le cours en prison doit être, comme dans n’importe quel autre lieu d’enseignement, l’occasion d’une remise en question. Une mise en perspective de ce que vous croyez, de ce que vous vivez. »
Cependant, la mission n’est pas toujours aisée pour la petite équipe professorale de Poissy qui enseigne parfois à des détenus au lourd passé criminel. Voire très lourd. Depuis plusieurs années par exemple, Bruno Clément trouve parmi ses étudiants les plus assidus du samedi matin Carlos, le militant et terroriste révolutionnaire7. Un homme qui vient de faire l’objet de sa troisième condamnation à perpétuité pour l’attentat du Drugstore Publicis à Paris en 1974. Mais plus que les détenus et la raison de leur incarcération, ce sont avant tout les hommes qui passionnent Bruno Clément. Et le professeur de lettres n’hésite pas à pousser ses étudiants à s’épancher sur eux mêmes : « Comme ils ont très peu d’occasions de communiquer, car il y en a beaucoup qui sont dans une solitude totale, très souvent ils tiennent un journal, ils écrivent des pensées qui leur viennent, qu’ils me font lire. Et je les encourage même à ça. Et je tombe parfois sur des textes qui m’étonnent. L’espace écrit c’est toujours un endroit où peut affleurer quelque chose qui n’apparaît pas dans la conversation. »
Parfois même, la connaissance apparaît comme un moyen de rédemption, en témoigne le parcours atypique du philosophe Bernard Stiegler qui a découvert et fait son cursus de philosophie en prison, à la suite d’une condamnation pour braquage (de banque) dans sa jeunesse. Ou l’improbable demande de ce détenu qui a souhaité son transfert à la prison de l’Île de Ré, pour se rapprocher de son directeur de master. Des compétences et des expériences de vie particulières qu’a observées Bruno Clément au fil de son parcours de prof en prison : « J’ai eu un étudiant une fois qui était très assidu, très intelligent et qui avait un intérêt pour le cinéma, en particulier le montage. Il s’est formé à Poissy et comme il avait tellement de facultés pour cela, le centre national cinématographique a fait appel à lui en prison pour qu’il restaure des films. Il avait une vraie expertise dans son domaine. Puis un jour, j’ai su qu’il avait été libéré. J’espère juste qu’il a continué de faire à l’extérieur, ce qu’il faisait à l’intérieur. »
Mais plus que des activités intellectuelles, ces cours offrent aux détenus un lien si précieux avec l’extérieur, un moyen de toucher ce monde qu’ils voient tourner depuis leur cellule. Parfois pendant de très nombreuses années. Comme Michel Cardon8, l’un des plus anciens détenus français, qui sera libéré le 1er juin prochain. Plus de quarante ans derrière les barreaux pour cet homme entré en prison à l’âge de 26 ans et qui en sortira à celui de la retraite. Dans ce type d’affaires, il est clair que la conservation d’un lien social est primordiale, au risque de voir l’individu perdre pied au moment de sa sortie. Un problème que rencontrent certains prisonniers libérés et qui rappellent cet épisode tragique du personnage Brooks Hatlen, dans le film Les Évadés. Incarné par feu James Whitmore, ce vieux détenu redoute sa sortie de prison après avoir passé plus d’un demi siècle dans un pénitencier américain. Un homme terrorisé à l’idée de vivre dans une société qu’il ne connaît plus et dont il ne comprend pas les codes. Un exemple romancé qui met en lumière les difficultés que peuvent rencontrer ces individus dans leur quête de réinsertion, faisant de l’encadrement des personnes libérées une problématique centrale du processus de réinsertion. C’est pourquoi, dès les portes de la prison franchies, certaines structures associatives continuent d’accompagner les anciens détenus dans leur mue sociale.
Le premier jour du reste de leur vie
« Quand les hommes sortent de prison, neuf fois sur dix leur regard ne se pose plus. Ils ne regardent plus comme des hommes. » Cette phrase tirée de l’œuvre d’André Malraux, L’espoir, en dit long sur la marque indélébile que peut laisser l’incarcération sur l’esprit. Surtout que le retour à la société n’est que rarement simple pour les sortants de prison, qui se voient confrontés à de nombreux obstacles compromettant leurs chances de réinsertion. C’est pourquoi Wake up Café, une association installée sur une péniche en bord de seine, s’est donnée pour mission de remettre à flot les anciens détenus par le biais de l’emploi : « On a un pôle dans l’association qui se charge de trouver des partenariats avec des entreprises. On commence par proposer d’embaucher une personne, puis si cela se passe bien on tente d’en placer une deuxième. On a de très bons retours de la part des sociétés qui acceptent, mais le plus dur reste de trouver ces entreprises partenaires. Mais plus que l’aspect emploi, ce qui me touche dans cette association, c’est le fait que c’est une famille, une communauté. Les anciens qui s’en sont sortis viennent aider les nouveaux. C’est une belle transmission je crois. Et ça, c’est la plus belle des réussites », confie Joseph, qui n’hésite pas à prodiguer ses conseils de chef d’entreprise.
Mais pourtant, concrètement, la mission de réinsertion reste très difficile en France. En effet, selon les statistiques, aujourd’hui, 61 % des détenus sont de nouveau condamnés dans les cinq ans qui suivent leur sortie de prison9. Un chiffre édifiant qui s’explique, en partie, par le manque d’accompagnement au cours et à l’issue de la période de détention. En témoigne le fait que près de 20 % des prisonniers français sortent d’incarcération sans solution d’hébergement et que 80 % d’entre eux quittent la structure pénitentiaire sans même une pièce d’identité renouvelée10, comme l’explique Joseph qui coache d’anciens détenus au sein de l’association : « Quand on sort de prison on est souvent confronté à un tas de problèmes matériels comme trouver un logement, du boulot, récupérer des papiers administratifs. Car il faut se mettre à leur place, quand on cherche un appartement et que le propriétaire voit marqué Fleury-Mérogis sur les feuilles d’imposition, ça devient vite compliqué. Et puis c’est aussi très dur psychologiquement, le regard des gens, des proches, de la famille. » Et les personnes libérées trainent en général longtemps ce boulet après leur sortie. « Le problème c’est que la majorité des gens ne voit pas les années de prison, ils considèrent ces personnes comme des coupables à vie. Alors que pour nous, quelqu’un qui est sorti de prison a purgé sa peine, il a payé sa dette et repart de zéro. Au Wake up, on essaye de changer ce regard sur les personnes libérées. »
Une action sociale qui aurait du sens dans une société qui se serait donnée pour objectif de réintégrer les détenus, pour mieux limiter la récidive. Mais au grand dam de ces acteurs de la réinsertion, la conscience collective ne semble pas se diriger dans cette voie. En effet, les derniers sondages sur la question ont montré que la moitié des personnes interrogées considéraient les prisonniers « trop bien traités » au sein des prisons françaises. Des citoyens convaincus qu’instaurer un régime d’incarcération plus sévère permettrait de mieux combattre la délinquance11. Ajoutées à cela les restrictions budgétaires actuelles, qui limitent toute action aux potentielles retombées à long terme. Mais une nécessité pour notre système à bout de souffle, contre-pied total aux régimes d’incarcérations souples prônés (entre autres) par les pays scandinaves, qui connaissent de bien meilleurs résultats en matière de réinsertion post-carcérale12. Un exemple dont devrait s’inspirer notre société, si elle souhaite réellement offrir aux personnes passées par la prison, l’opportunité de tomber cette fois sur la case départ.
1. Sur le nombre de détenus en France :
Rapport 2017 du contrôle général des lieux de privation de liberté :
http://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/la-population-detenue-en-forte-hausse.html
2. La surpopulation carcérale en France en 2018 :
http://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2018/03/CGLPL_RA-2017_Dossier-de-presse.pdf
3. Wake up Café est une association de réinsertion créée en 2014 par une ancienne aumônière de prison, qui vise à accompagner dans l’emploi et la stabilité les détenus et les personnes passées par l’incarcération. https://www.wakeupcafe.org
4. Selon le rapport parlementaire de Jean-René Lecerf pour le budget 2015 de l’administration pénitentiaire, le coût journalier d’un prisonnier en France s’établissait à 106 euros par jour en moyenne, soit 36 500 euros par an.
http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion2847.asp
5. L’activité professionnelle en prison a régressé, ces dernières années, comme le montre ce rapport de l’Institut Montaigne :
6. Discours prononcé par Emmanuel Macron, à l’école de l’administration pénitentiaire d’Agen (Lot-et-Garonne) le 6 mars 2018.
7. Ilitch Ramirez Sanchez dit Carlos ou le Chacal est un « terroriste international et révolutionnaire professionnel », ainsi qu’il se définit lui-même. Né le 12 octobre 1949 au Venezuela, il s’est forgé une éducation militante à Cuba, en Algérie et en Colombie avant de fréquenter l’université Lumumba de Moscou, épousant alors les thèses marxistes-léninistes. Converti à l’islam en 1975, il défend notamment la cause palestinienne, mais tend surtout à détruire la civilisation occidentale dont il estime que la démocratie libérale traduit la décadence. Il fomente alors plusieurs attentats meurtriers. Des attaques qui tueront 83 personnes et qui feront de Carlos « l’homme le plus dangereux » de son époque. Pour ses meurtres, il sera condamné trois fois à la réclusion criminelle à perpétuité, après avoir été capturé (voire enlevé) par les services secrets à Khartoum au Soudan en 1994. Après divers lieux de détention, il purge désormais ses peines d’emprisonnement à la Maison centrale de Poissy près de Paris.
https://actu.dalloz-etudiant.fr/fileadmin/actualites/pdfs/MARS_2011/AJDA2005.1388.pdf
https://www.lexpress.fr/informations/la-longue-traque-de-la-dst_599153.html
8. Michel Cardon a passé plus de quarante ans en prison pour le meurtre d’un sexagénaire en 1977. Alors que la peine de mort était requise (elle ne sera abolie qu’en 1981), il sera finalement condamné à la prison à perpétuité par le jury populaire.
9. Le taux de récidive en France :
http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf
10. Le taux de sortants de prison sans solution d’hébergement :
Le taux de personnes libérées sans pièce d’identité renouvelée :
http://www.leprogres.fr/actualite/2016/08/06/59-de-taux-de-recidive-en-france-20-en-scandinavie
11. Enquête sur les Français et leur vision de la prison pour la Fondation Jean-Jaurès (sondage réalisé par l’Ifop en mars 2018 auprès d’un panel de 1013 personnes) :
https://jean-jaures.org/nos-productions/les-francais-et-la-prison
12. Le taux de récidive chez nos voisins scandinaves :