Odio dignissimos blanditiis qui deleni atque corrupti.

The Point Newsletter

Sed ut perspiciatis unde omnis iste natus error.

Follow Point

Commencez à taper votre recherche ci-dessus et appuyez sur Retour pour lancer la recherche. Appuyez sur Echap pour annuler.

Le Conseil économique, social et environnemental : la persistance d’une institution attaquée depuis des décennies

Featured Video Play Icon

Léa Antonicelli (rédactrice), Thomas Taz Cecchelani (artiste)

Les missions confiées au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ses moyens ainsi que son fondement constitutionnel lui attribuent théoriquement un fort potentiel, que l’institution rappelle dans le discours qu’elle tient à propos d’elle-même sur son site Internet, puisqu’elle se qualifie de « troisième assemblée de France ». Le titre XI de la Constitution en fait une institution constitutionnelle, dont le rôle consiste à conseiller le gouvernement en matière économique, sociale et, depuis 2008, en matière environnementale aussi : ce statut et la diversité de ses prérogatives devraient offrir au Conseil une légitimité indiscutable.

Pourtant, les médias, certains hommes politiques et l’absence de résonance des travaux de l’institution dans la société pourraient laisser penser qu’elle est inefficace, dépassée et appellerait à être modernisée, voire supprimée. On reproche au CESE d’être une énième institution de conseil au gouvernement, inutile et dépensière, servant davantage à offrir une carrière de reconversion aux anciens hommes politiques et syndicalistes qu’à éclairer les actions du gouvernement. La récente période électorale a remis à l’ordre du jour les critiques concernant l’utilité du CESE, et le discours prononcé par le Président Macron le 3 juillet 2017 a relancé le débat concernant une réforme d’envergure pour moderniser l’établissement. Le gouvernement prévoit en effet de réduire considérablement le nombre des membres du Conseil, de renforcer la possibilité pour les citoyens de le saisir par voie de pétition, d’en faire le « point de passage des consultations gouvernementales sur les projets de loi en matière sociale, économique et environnementale », de « déléguer au CESE l’organisation de consultations publiques » et de lui donner un rôle en matière « d’expertise indépendante1 ». En bref, il s’agirait de faire du Conseil ce qu’il aurait dû être depuis sa création.

Le CESE est donc une institution dont la légitimité est discutée depuis plus de 50 ans – puisque le référendum qui éloigna Charles de Gaulle du pouvoir mentionnait déjà de le fusionner avec le Sénat – et la réforme qu’il a subie en 2008 n’a guère calmé les critiques à son endroit. Mais celles-ci sont-elles vraiment fondées ? Et au-delà de ces critiques, l’institution est-elle toujours légitime dans le système institutionnel français ?

 

Le Conseil économique, social et environnemental doit porter la voix de la société civile auprès de l’exécutif

 

Le CESE a été créé en réponse à l’opposition que la Révolution française a dressée entre État jacobin d’une part et société civile d’autre part : il doit permettre de dépasser cette fracture en intégrant au sein même du système institutionnel une instance chargée de représenter la diversité sociale et de servir d’intermédiaire entre les décideurs politiques et la société, ses syndicats et ses associations. C’est en 1925 que l’institution originelle voit le jour : le Conseil national économique (CNE) est alors composé de 47 conseillers nommés par le gouvernement, répartis en trois groupes autour d’enjeux concernant le capital, le travail et la consommation. Il est supprimé par le régime de Vichy en 1940, avant d’être recréé sous la IVe République à peu près à l’identique. Renommé Conseil économique, il gagne alors le rang d’institution constitutionnelle puisqu’il figure dans la Constitution de 1946, ce qui lui permet d’acquérir une nouvelle dignité. Finalement, la Constitution de la Ve République donnera à l’institution la forme que nous lui connaissons aujourd’hui : elle conserve son statut constitutionnel, voit ses compétences élargies au domaine social en devenant le Conseil économique et social mais reste largement sous le contrôle de l’exécutif. Le titre XI de la Constitution définissant ses missions et ses moyens est volontairement imprécis ce qui laisse aux pouvoirs publics le droit de décider de son organisation et de ses attributions.

 

Trois conditions justifient l’existence du Conseil dans le système institutionnel

 

Cette courte présentation de l’institution fait apparaître certaines lacunes qui expliquent, au moins en partie, qu’elle soit l’objet de tant de critiques. L’existence du CESE est conditionnée par trois exigences :

  • il doit être représentatif de la société civile,
  • la voix exprimée par ses avis doit être indépendante et claire,
  • et ceux-ci doivent proposer des préconisations approfondies et originales.

La validité de ces modalités dépend d’une part de l’investissement des membres du CESE mais aussi de la place que l’institution parvient à obtenir dans le système politique. En effet, le regard de l’exécutif et du législatif – à la fois commanditaires des avis et compétents pour influencer le fonctionnement, la composition et l’organisation de l’institution – déterminent largement l’audience et l’importance du CESE.

Ainsi, sa place politique dépend de l’intérêt que certaines institutions plus puissantes acceptent de lui accorder, et c’est peut-être notamment parce que la « troisième assemblée » de France est négligée dans le système institutionnel que son importance est minime. On peut alors s’étonner que l’institution continue d’exister puisque le CESE est attaqué depuis plusieurs décennies pour son manque de représentativité, d’efficacité et d’influence politique. Ces critiques sont-elles pertinentes ? Et surtout, qu’est-ce qui justifie que le CESE se maintienne depuis un siècle malgré tout ?

 

Expliquer la persévérance d’une institution grâce à la philosophie spinoziste

 

Spinoza s’est particulièrement intéressé aux raisons qui peuvent expliquer qu’un individu, quel qu’il soit, persévère dans son être, c’est-à-dire qu’il affirme sa puissance jusqu’à ce qu’une puissance autre se développe à son détriment : cette pensée trouve un écho politique dans les ouvrages que le philosophe a consacrés au sujet2, tant en ce qui concerne les institutions qu’en ce qui concerne l’État. Tout pouvoir politique dans un État institué et globalement pacifié3 s’exerce grâce à l’espoir qu’il fait naître et à la crainte qu’il inspire : « Car l’essence d’un sujet, ce n’est pas d’obéir par telle ou telle raison, c’est d’obéir, par quelque motif qu’il s’y résolve : soit crainte de quelque châtiment, soit espérance de quelque bien4. »

Trois raisons peuvent donc justifier la persévérance d’une institution :

  • La première repose sur la crainte : une institution sera à l’abri de toute rébellion aussi longtemps qu’elle aura – ou qu’on croira qu’elle a – la puissance suffisante pour imposer à la majorité des hommes de s’y soumettre. Or, cette hypothèse suppose que l’institution soit munie d’une force coercitive : elle ne peut donc pas servir à expliquer que le CESE persévère dans son être.
  • La seconde raison serait que l’institution suscite, de quelque manière que ce soit, un espoir et qu’elle promette un gain réel pour les individus qui se soumettent à elle. Pour le CESE, cela signifierait que les décisions des pouvoirs publics prennent davantage en compte la société, qu’elles soient plus éclairées par la raison grâce à lui.
  • La dernière raison, c’est que l’institution ne suscite ni crainte ni espoir, et soit totalement indifférente au peuple et aux pouvoirs publics. Si personne ne s’en soucie, il n’y a aucune raison pour que quelqu’un la menace, aussi faible soit-elle.

La seconde piste semble être infirmée, et c’est précisément la raison pour laquelle le CESE est si critiqué. Mais même s’il est tout à fait capable de produire des avis de qualité, bien informés et proposant des mesures concrètes, précises et applicables, trois lacunes entameraient encore radicalement la légitimité matérielle de l’institution.

 

La composition de l’assemblée du CESE, bien qu’elle ait été actualisée par la réforme de 2008, ne satisfait pas l’exigence de représentativité de la société française. Le nombre de représentants des groupes composant l’assemblée du Conseil met en lumière le hiatus qui distingue la composition de la société civile et du CESE5. La part du groupe des agriculteurs est par exemple de 8,6 % au CESE, alors qu’ils ne sont que 2 % dans la société française. Au contraire, les artisans représentent 10,7 % des français, mais seulement 4,3 % des membres du CESE. L’une des finalités principales de l’institution, celle de garantir la démocratie représentative à travers la nomination de ses membres6, n’est pas satisfaite, ce qui a des conséquences concernant le bien fondé de l’institution en elle-même.

L’indépendance de sa voix est menacée par le contrôle que l’exécutif exerce sur lui. En effet, la reconnaissance des avis du CESE tient en grande partie à leur commanditaire : ils sont bien plus entendus lorsque le gouvernement le saisit d’un sujet d’actualité que lorsqu’il s’autosaisit. Or, les saisines gouvernementales sont très rares – seulement 2 en 2013 par exemple pour une vingtaine d’avis rendus chaque année – et le CESE, pour maintenir son activité, est contraint de s’autosaisir la plupart du temps. Comme si le pouvoir exécutif préférait maintenir l’institution dans un état de survie, ni supprimé, ni utile dans le système institutionnel…

Ses avis sont moins précis et rigoureux que les rapports publiés par d’autres organisations concurrentes (Hauts Conseils, Cour des comptes, INSEE…). Les rapports des comités et organisations particuliers ont en effet l’avantage d’être élaborés par des experts : comparativement, la partie constat des avis du CESE n’a aucune valeur ajoutée puisqu’ils sont techniquement moins précis. C’est donc à nouveau la question de la représentativité qui est centrale : la mission de conseil ne peut être soutenue par une institution si peu spécialisée et si peu technicisée qu’à la condition que les conseillers soient représentatifs de la société civile.

Il faut donc se rendre à l’évidence : le CESE doit en grande partie sa survie à la troisième raison qui, selon Spinoza, peut l’expliquer, soit l’indifférence qu’il suscite dans la société et particulièrement dans les autres institutions.

 

La voix du peuple, un symbole inaliénable et indestructible qui justifie malgré tout la pérennité du CESE

C’est donc plutôt la troisième piste spinoziste – l’indifférence suscitée par le CESE –  qu’il faut développer, en l’enrichissant grâce au concept de légitimité symbolique de la sociologue Delphine Dulong7, pour mieux comprendre la persistance du CESE. En effet, au-delà de sa réalité matérielle, c’est surtout le symbole représenté par le CESE, celui d’une institution garantissant la démocratie représentative, qui assure sa pérennité et sa légitimité, par les réticences que pourraient susciter sa suppression.

Les défenseurs du CESE se fondent sur l’argument de la démocratie représentative pour construire la croyance selon laquelle l’institution est indispensable. En creusant davantage, on découvre qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles les détracteurs du CESE se heurtent à des résistances. Ce n’est pas par la seule volonté des membres du CESE que celui-ci se maintient : puisqu’il est dominé par le pouvoir exécutif, il faut donc que ce dernier ait quelque intérêt à le voir perdurer. Or, les gains de sa suppression seraient en vérité assez faibles : son budget est finalement peu conséquent et l’institution est trop peu connue pour que cela ait des répercussions positives sur l’opinion publique. En revanche, il y aurait de réels risques à supprimer la seule institution censée assurer la démocratie représentative : cela impliquerait de se heurter violemment aux organisations qui l’habitent, de mettre en péril le dialogue social et sans doute d’enclencher un processus pour remplacer le CESE afin de combler l’exigence de démocratie représentative.

Finalement, l’existence ininterrompue du CESE est principalement fondée sur le symbole qu’il incarne et qui le met à l’abri d’une suppression totale. Elle fait partie de ces institutions que Delphine Dulong estime légitimer le pouvoir politique dans son intégralité, en ce sens qu’il maintient l’apparence d’une prise en compte des doléances sociales. Il incarne la démocratie participative et est fort utile au titre de symbole, quel que soit le contenu réel de ce symbole. Si l’on reprend la grille de lecture spinoziste ce n’est ni par la crainte ni par l’espoir que le CESE se maintient, mais plutôt par l’indifférence de ceux qui seraient en mesure de le supprimer. La légitimité symbolique de l’établissement serait à elle seule suffisante pour justifier son maintien : en politique, la portée du symbole est bien souvent supérieure à celle de l’action, puisque « l’opinion est comme la reine du monde8  » selon les mots célèbres de Blaise Pascal.

  1. Discours prononcé par Emmanuel Macron le 30 janvier 2018 lors de ses vœux aux bureaux des assemblées, au Conseil de Paris, aux corps constitués.
  2. Traité théologico-politique et Traité politique.
  3. Si le pouvoir politique s’exerce par l’usage effectif et prolongé de la puissance physique, alors la guerre civile est permanente et l’État n’en est plus un.
  4. Traité théologico-politique, XVII.
  5. Source de référence : INSEE.
  6. C’est d’ailleurs au nom de la représentativité que l’assemblée n’est pas élue mais nommée.
  7. Delphine Dulong, Sociologie des institutions politiques, La Découverte, coll. « Repères », 2012.
  8. Blaise Pascal, Les pensées, §665, Éditions du Seuil, collection Points.