Par Marie Deteneuille (artiste) et Paulin Hoegy (rédacteur)
Reportage à Paris ce 21 janvier 2018 à l’occasion de la commémoration de l’exécution de Louis XVI.
Anachronique pour certains, visionnaire pour d’autres, le courant monarchiste milite toujours en 2018 pour l’installation d’un roi sur le trône de France. À défaut de partager le combat de ces milliers d’anonymes, il convient de reconnaître à ce mouvement le mérite de stimuler nos esprits nourris au lait de la République, d’interroger les fondements de notre société que l’on considère, depuis longtemps, comme acquis. Des principes républicains qui régissent nos vies de citoyen français mais que certains ne perdent pas espoir de voir un jour tomber. Alors qui sont ces irréductibles, qui résistent encore et toujours aux charmes de Marianne ? Il suffisait tout simplement d’aller les rencontrer, eux qui se retrouvent tous les 21 janvier, pour commémorer le glas de leur rêve monarchique.
21 janvier 1793, 10h22, place de la Révolution à Paris (actuelle place de la Concorde).
La foule s’est déplacée en nombre pour assister à l’exécution publique. La garde nationale encadre l’échafaud sur lequel est installé l’instrument de mort du Docteur Guillotin 1. Le condamné s’avance, se voit conférer un dernier sacrement, puis est basculé sur l’engin aiguisé par la vengeance révolutionnaire. L’assistance silencieuse est comme saisie par le moment d’histoire. Les tambours retentissent, le bourreau Sanson enclenche la guillotine, le roi Louis XVI vient d’être décapité. C’est à quelques détails près, comme cela que s’est déroulée l’exécution la plus célèbre de l’histoire de France.
Deux cent vingt-cinq ans après l’exécution de ce souverain, des milliers de citoyens partout en France, commémorent encore et toujours la mémoire de ce roi exécuté par la lame révolutionnaire. Des cœurs, pour lesquels cette journée de la fin janvier résonne comme une souffrance, un jour de deuil national. Tout un paradoxe, bien français, lorsque l’on connaît le fort attachement d’une majorité du peuple aux acquis de la Révolution. À commencer par la Marseillaise, le drapeau tricolore et la « Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen ». Pourtant, malgré ces symboles, certains contestent toujours cette Révolution « assassine », prémisse de leur « cauchemar républicain ».
Bien souvent diabolisés, voire vilipendés, les royalistes de France poursuivent leur chemin de croix face à ce système qui les renie. Focus donc, sur ce mouvement politique méconnu qui prétend pouvoir incarner une alternative crédible à la crise institutionnelle que connaît actuellement notre société. Et pour mieux cerner la pensée, l’histoire et les aspirations de ces Français qui aimeraient troquer l’habit de citoyens pour celui de sujets du roi, il convient au préalable de faire un bref rappel de l’histoire de la monarchie en France depuis la Révolution.
Le roi est mort, vive le roi républicain !
Chaque petit français a forcément écouté, des heures durant, son professeur d’Histoire lui raconter l’épopée de la Révolution française. Des bienfaits de l’abolition des privilèges à la chute d’un régime omnipotent, le récit national n’hésite pas à faire de 1789 le principal fondement politique de notre société contemporaine. Mais, à l’image des hommes, l’histoire n’est que rarement aussi manichéenne. La Révolution malgré ses apports inestimables et ses idéaux humanistes s’est tout d’abord fourvoyée dans des réflexes de violence et d’autodestruction, que ne renierait pas la pire des tyrannies.
Une période trouble durant laquelle, la jeune République tentera d’imposer sa légitimité par le sang versé. À commencer par celui du roi en 1793. Crime d’État ou mal nécessaire, chacun se fera son avis.
Mais le plus étonnant dans cette affaire, c’est qu’après avoir tourné la page de la monarchie à la fin du XVIIIe siècle, la royauté va de nouveau s’imposer en France au XIXe siècle. 25 ans seulement après la Révolution, la monarchie reprend les rennes du pouvoir. En effet, après la chute de l’Empire napoléonien, trois rois, dont deux Bourbons, vont se succéder sur le trône de France. Louis XVIII, Charles X puis Louis-Philippe. Une parenthèse royaliste, qui sera finalement balayée par la deuxième vague bonapartiste2.
Pourtant à la suite de la défaite de Sedan en 1870, les monarchistes croient de nouveau en leur chance. Mais c’est finalement la République qui sortira vainqueur de ce duel (la IIIe plus précisément)3, imposant son hégémonie sur la France pendant 70 ans (la plus longue de l’histoire pour l’instant). Une période durant laquelle les royalistes seront pourtant omniprésents dans le paysage politique national. Comme l’illustre leur influence sur les controverses de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, de l’affaire Dreyfus à la même époque, ou de l’affaire Stavisky dans les années 30. Scandale, à l’origine de la démonstration de force des monarchistes lors de la manifestation du 6 février 19344. Mais l’histoire voudra finalement que ce soit, six ans plus tard, le régime de Vichy, inféodé aux nazis, qui devienne le fossoyeur de ce régime parlementaire à l’agonie. Les monarchistes se distingueront alors par deux types de positions face à l’occupant allemand. La première, la plus répandue à l’extrême droite, celle de la collaboration avec le Reich, par opportunisme, anti-républicanisme et bien sûr antisémitisme. La seconde, plus méconnue est celle de la résistance, option choisie par quelques milliers de militants héroïques5.
Le deuxième conflit mondial portera un coup rude au mouvement monarchiste français qui sera marginalisé, voire ostracisé, au même titre que le reste de l’extrême droite française, à la sortie de la guerre. Car, contrairement à une droite « radicale » plus ancrée dans le sérail républicain (poujadisme), le royalisme n’a su s’imposer comme une alternative sérieuse au régime, au moment même où le parlementarisme de la IVe République s’enfonçait dans la crise et l’instabilité. Sans parler de sa disparition progressive du paysage politique traditionnel sous la Ve République. Un régime qui va d’ailleurs – ironie du sort – imposer à la tête de l’État un véritable monarque républicain et faire perdre au courant monarchiste toute influence sur la scène politique française.
Être sans avoir
Visant le cœur, certains ont donc souvent tenté de tuer Marianne, avec plus ou moins de réussite. Pourtant, depuis l’entrée dans le deuxième millénaire, il faut bien le reconnaître, les craintes de voir renverser « la chose publique »1 ont quasiment disparu de notre imaginaire collectif. Malgré tout, certains se prennent toujours à espérer voir, un jour, la République lâcher le pouvoir. Vous souriez ? Eux sont très sérieux. De simples anonymes, loin de tout militantisme et de tout engagement partisan, bien loin de la caricature que l’on se fait habituellement de ces « orphelins de la couronne ».
À l’image d’Antoine, venu prier à la Basilique Saint-Denis le 21 janvier en mémoire de Louis XVI. L’homme érudit et tolérant explique que le retour à la monarchie n’est pas totalement inimaginable de notre temps : « On a vu des choses impossibles se passer, on a vu le mur de Berlin tomber, on voit Trump à la Maison-Blanche. Des choses impossibles, il ne faut pas croire, on en a vu et on en verra d’autres. Le retour de la monarchie n’est donc pas impossible. » Un père de famille de 55 ans dont les origines familiales ont eu une influence considérable sur ses choix politique : « On en a toujours parlé en famille, mon arrière-grand-mère était orléaniste ; c’était du concret, on a eu des oppositions de courant, mais une unité dans la croyance dans le monarque. »
Cette diversité des opinions monarchiques au sein de son clan lui a d’ailleurs permis de se sentir à l’aise auprès des différents courants royalistes de France. Un esprit indépendant, en somme. « Cela fait 30 ans que je viens. Je change de lieux, parfois la chapelle Expiatoire, parfois je vais à Saint-Germain-l’Auxerrois avec les Orléans. Tout cela c’est en mémoire, c’est pour dire que je me souviens », explique cet habitant du très chic 7e arrondissement de Paris. Cette année, il a donc choisi, la basilique Saint-Denis, « Mecque » des Bourbons et nécropole des rois de France pour se recueillir lors de son pèlerinage monarchique.
Pourtant, malgré ses convictions royalistes, Antoine ne s’interdit pas d’être pragmatique en exerçant son droit de citoyen aux élections républicaines. « Bien sûr, ça ne me contente pas. Mais je fais le choix le moins pire à mes yeux », glisse l’homme circonspect. Un fervent catholique, comme toutes ces personnes rencontrées lors des célébrations du 21 janvier, pour qui le choix politique est inhérent du choix religieux. « Le clergé français essaie d’avoir une vie en bonne intelligence avec les autorités républicaines, néanmoins, l’Église promeut de plus en plus un mode de vie en rupture avec cela. Quand on voit certaines lois décidées par la République aujourd’hui, on se dit que ce ne sont pas nos valeurs. »
Très éloigné aussi de la caricature du monarchiste violent, prêt au coup de sang contre le régime républicain, Charles, un quarantenaire originaire de Bourg-en-Bresse dans l’Ain est venu arpenter le pavé parisien avec les membres de sa paroisse, lors de la Marche pour la Vie7. L’homme protégé de la pluie par son élégant chapeau défend la monarchie comme gage de stabilité politique : « Moi, ce qui m’intéresse dans la monarchie, c’est le fait que c’est la meilleure manière de gouverner. C’est celle d’un père de famille vis-à-vis de ses enfants. Le roi, tout ce qu’il faisait c’était de créer les conditions de la paix, pour que ses enfants puissent poursuivre son œuvre dans de bonnes conditions. Le roi n’impose pas sa volonté, il n’est chef que par l’adhésion de ses sujets. » Bien sûr, certains républicains n’hésiteraient pas à rétorquer que la monarchie n’a pas toujours été des plus pacifistes en France.
Mais, plus encore que la monarchie, l’homme au ton posé rejette avant tout le fonctionnement de notre système politique. « Je ne languis pas que le régime actuel s’écroule, ça n’est pas une espérance, on ne peut espérer qu’un bien. Mais ce que je trouve le plus vicieux dans la démocratie, c’est le fait que c’est l’électeur de base comme vous et moi qui va juger d’un président. Nommer du plus par du moins, c’est une aberration ! C’est comme si dans un avion les hôtesses vous disaient au milieu du vol, on va voter pour la personne qui prend les commandes de l’appareil. Là, on se rendrait bien compte, que ce n’est pas n’importe quel pékin, qui peut assumer cette responsabilité. »
Le monarchiste du futur
Pourtant, si le mouvement monarchiste veut s’imposer comme une alternative crédible au pouvoir en place, les royalistes de France devront bel et bien s’accorder sur la figure qui incarnera cette opposition. Un choix qui ne semble pas inquiéter outre mesure Charles, qui croit dans le fait que « Les prophéties chrétiennes annoncent un roi ; mais c’est un peu à la manière de Jeanne d’Arc ou de sainte Bernadette à Lourdes, la providence s’amuse à parler à travers des gens qui ne semblent rien. » Une croyance qui, bien sûr, montre une nouvelle fois l’importance du lien religieux dans ce courant politique.
Une espérance providentielle que partage d’ailleurs Anne-Catherine, une Alsacienne qui a profité des célébrations du 21 janvier pour venir à Paris en famille. Accompagnée de ses parents, la jeune trentenaire considère que « Le futur roi de France ne sera pas parmi les prétendants au trône. Je pense que ce débat-là est vain. Ce n’est que lorsque les Français imploreront la miséricorde divine que le Bon Dieu nous enverra un sauveur. Et tant qu’on ne consacrera pas la France au Sacré-Cœur, on sera dans la peine et la souffrance. Car il faut bien le dire, on a quand même été châtié, entre la Révolution, la Commune et les deux guerres mondiales. Et ce n’est pas fini, vous croyez que rien ne nous attend ? Que c’est la paix qui se profile à l’horizon ? » confie cette passionnée de l’histoire de France.
Anne Catherine, pourtant fonctionnaire à l’Éducation Nationale, est clairement favorable à l’instauration en France d’une monarchie type Ancien Régime. « Moi je souhaite une monarchie absolue en France, c’est l’histoire de notre pays qui veut ça, c’est comme cela que ça marche. Il nous faut une monarchie absolue de droit divin. »
Pour autant, contrairement à cette vision assez radicale du pouvoir monarchique, la plupart des royalistes français rencontrés ce jour-là semblaient avoir retenu les leçons du passé. Et plaidaient majoritairement pour l’instauration d’une monarchie, profondément ancrée dans son temps, à l’image de Marie et Pascal, un couple venu se recueillir à la basilique Saint-Denis le 21 janvier en mémoire de Louis XVI. Les deux assurent que « Ça ne peut pas être la royauté telle qu’elle l’était. Il y a des évolutions. Il y a des choses qui n’allaient pas. Ce qu’on souhaiterait pour aujourd’hui, c’est un système comme en Angleterre, avec une activité du Parlement, un Premier ministre. »
Une opinion que partage Charles, le royaliste bressan, fervent soutien d’une monarchie moderne et éclairée. « Vous savez, il y a une phrase qui dit : « La vraie tradition ne consiste pas à refaire ce qu’on fait dans le passé nos aïeux, mais à faire ce qu’ils feraient aujourd’hui dans les conditions qui sont les nôtres. » Je n’ai pas de préjugés sur le type de monarchie. Je veux juste que la maison soit en paix et que chacun puisse faire ce qu’il veut. Je souhaite un régime dans cet esprit-là. » Présenté ainsi, de nombreux Français ne pourraient-il pas se laisser tenter par un tel régime politique ? Un sondage récent le laisse d’ailleurs penser. Celui-ci indiquait en effet que 17 % des Français étaient favorables à l’instauration d’un roi dans notre pays8.
Un chiffre surprenant à l’image de ces monarchistes du dimanche, rencontrés lors de ces célébrations du 21 janvier 2018. Divers portraits qui mettent en lumière la complexité du mouvement royaliste dans notre pays et son incapacité à porter un projet alternatif de gouvernance. Sans parler des divisions internes qui affaiblissent le mouvement alors même que l’unité serait censée constituer l’une de ses valeurs cardinales. Car, pour rassembler au-delà de ses bases et de son spectre politique, il convient d’abord d’être maître en sa demeure.
Mais que ces mordus de la couronne se rassurent, si les Français ont été assez fous pour couper la tête de leur roi, pourquoi ne le seraient-ils pas assez pour le remettre sur le trône ?
Car comme le veut le dicton : « Impossible n’est pas français ».
- Le docteur Joseph Guillotin (1738-1814) est l’inventeur de l’instrument de décapitation appelé Guillotine. Ironie du sort, Louis XVI a apporté des améliorations à cette machine, destinée initialement à exécuter plus « dignement » les prisonniers.
- D’abord sous l’égide de la courte Deuxième République (1848-1851), puis sous le Second Empire (1852-1870).
- En particulier, les membres de l’Action française de Charles Maurras, qui fait actuellement l’actualité, tentent en vain le coup de force contre l’Assemblée Nationale.
- À l’image de Daniel Cordier, à l’époque à l’Action française. Parti à Londres dès 1940 défendre l’honneur de la France. Une époque royaliste à laquelle tournera le dos le compagnon de la libération, après sa rencontre avec Jean Moulin (cf. Alias Caracalla).
- En témoigne l’investiture du Président de la République en mai 2017.
- République de « res publica », la chose publique en latin.
- La marche pour la vie, du nom d’une manifestation contre l’avortement et l’euthanasie qui s’est déroulée à Paris le dimanche 21 janvier 2018. Un rassemblement auquel ont pris part la majorité des royalistes rencontrés. Ils souhaitaient venir défendre les valeurs prônées par l’Église Catholique.
- Sondage BVA du 29 août 2016. http://www.bva.fr/fr/sondages/les_francais_et_la_monarchie.html