Par Paul Colombat (artiste) et Alexandre Glaser (rédacteur)
La crise de l’indépendantisme catalan a fait l’objet d’un important feuilleton médiatique ces derniers mois. Le Parlement catalan a déclaré l’indépendance de la province le 27 octobre dernier mais le gouvernement madrilène continue à s’opposer à cette décision. Les échanges entre Barcelone et Madrid, le référendum, les manifestations, la répression policière, les conséquences économiques de l’indépendance éventuelle de la Catalogne… Depuis la France, on peine encore à y voir clair. Si tout semble s’être accéléré depuis l’été dernier, la question de l’indépendance catalane est en vérité très ancienne. Aller aux sources des motivations de l’indépendantisme catalan permet de mieux comprendre les fondements du problème et de cerner ses enjeux.
La technicité de la question catalane réside dans la pluralité de ses enjeux : enjeux historiques d’abord, puisque la question remonte au moins au XIIIème siècle ; enjeux politiques et constitutionnels également, puisque les revendications indépendantistes questionnent la légitimité même de la Constitution espagnole de 1978 ; enjeux économiques car la possible sécession de la Catalogne demandera a minima une remise en cause de la structure de l’économie espagnole, et potentiellement sa viabilité ; et enjeux culturels enfin puisque l’indépendantisme catalan se pare d’une composante identitaire.
Les fondements historiques de l’indépendantisme catalan (du XIIIème siècle à 2010)
L’indépendantisme catalan s’enracine profondément dans la revendication d’une certaine idée de liberté vis-à-vis de la puissance impériale espagnole. De facto, la Catalogne ne passa jamais sous la férule de la monarchie espagnole : l’instauration au XIIIème siècle des Cortes, organe législatif qui ne répondait pas directement du Royaume d’Aragon, s’accompagna en 1354 de la mise en place de la Generalitat qui, elle, siégeait de manière permanente pour assurer l’administration dans les comtés catalans. À bien des égards cette spécificité administrative et politique du statut de la Catalogne, au sein même de la monarchie espagnole, participa à l’émergence de l’exceptionnalité catalane. Au XVIIème siècle, lasse de contribuer aux efforts de guerre de l’empire, et en partie en réaction à la guerre franco-espagnole (1635-1659), la Generalitat portée par Pau Claris décida de prononcer l’indépendance de la République catalane, sous la protection de la France. Cette première république eut la vie courte : le traité des Pyrénées de 1659 et Louis XIII brisèrent les espérances catalanes. S’ensuivirent près de deux siècles de répression du catalanisme : au début du XVIIIème, Philippe V mit un terme aux velléités politiques de la Catalogne, en supprimant par ordonnance ses institutions.
Napoléon écrivait volontiers qu’« à tout peuple conquis, il faut une révolte ». Ainsi comprend-on mieux que renaisse, à l’ère du romantisme européen, cette prétention à l’autodétermination catalane. La Renaixanca, mouvement littéraire et artistique catalan de la première moitié du XIXème fut l’expression esthétique de ce renouveau d’une revendication libertaire, alors que se voyaient bafouées ces mêmes revendications sur le terrain politique. Souvent étouffé, l’indépendantisme catalan ne s’éteignit jamais : au renouveau culturel catalan s’adjoignit très tôt une formalisation du discours politique. Le corpus indépendantiste se densifia : en 1892, une assemblée de 240 députés de l’Unio Catalanista, réunie à Manresa, aboutit aux Bases para la constitución regional catalana, formulant les fondements d’une Catalogne autonome ; à peine 15 ans plus tard, en 1906, paraissait la Nationalitat catalan d’Enric Prat de la Riba, véritable manifeste politique de l’indépendantisme catalan. C’est qu’au fond, ni les régimes autoritaires ou monarchiques ni les régimes démocratiques n’avaient été cléments avec le catalanisme politique.
Au coup d’État du général Primo de Rivera de 1923, qui s’en prit dès son accession au pouvoir au catalanisme 1, succéda dès 1939 la répression franquiste, éteignant les espoirs ranimés par Francesc Macià en 1931. Celui-ci avait proclamé la IIème République catalane, puis ressuscité en 1932 la Generalitat, plus autonome que jamais (après négociation avec Madrid).
Sans grande surprise, le franquisme ne fut pas tendre avec l’indépendantisme catalan. Dans sa grande majorité, la Catalogne s’était rangée derrière le républicanisme et le régime franquiste ne l’oublia pas. Voici les mots du professeur Carles Boix :
« Tout ce qui aurait pu suggérer que les Catalans étaient autre chose que des Espagnols ordinaires fut durement réprimé, à commencer par leur langue. Une fois de plus, les Catalans n’eurent d’autre choix que (…) de préserver, (…) leur culture, souvent de façon clandestine. » 2
Pour comprendre la spécificité de la répression franquiste, il faut en saisir les soubassements idéologiques. Le franquisme était tout autant anti-séparatiste que militariste. En une phrase : « L’armée a décidé de rétablir l’ordre en Espagne. » 3 Aux yeux de Franco, l’Espagne devait être une, centralisée, libre et grande – paradoxe quand tu nous tiens. La logique centralisatrice ne laissait ainsi pas de place à une quelconque spécificité régionale, et donc à tout catalanisme. De facto, la Catalogne vit son autonomie abolie dès avril 1938. S’ensuivit logiquement une politique généralisée de censure qui, aux yeux de Maria Sopena Buixens, visait avec violence le catalanisme :
« Tandis que les théories communistes irritaient les censeurs et les autorités franquistes, les passages qui faisaient allusion à l’histoire nationale de la Catalogne ou à l’oppression qu’elle subissait sous le franquisme pouvaient être (…) un motif de censure en bloc. »
Il serait illusoire d’affirmer que la transition démocratique, issue de la mort de Franco en 1975, s’inscrivait dans une continuité directe avec ce même régime franquiste per se. Bien qu’autrement plus démocratique dans ses fondements, la monarchie constitutionnelle, à ses débuts au moins, fut en partie l’œuvre de Franco : il avait défini les principes mêmes de cette transition, notamment par la désignation de Juan Carlos. Comme le montre Aguilar Paloma Fernandez :
« Certains auteurs considèrent la monarchie actuelle, incarnée par le roi Juan Carlos Ier, comme un héritage institutionnel et personnel de la dictature, puisque celui-ci a été désigné par Franco comme son héritier politique et que le mécanisme de succession prévu par le dictateur a été scrupuleusement respecté. »
Mais aux yeux de l’historienne, il fallait tout autant y voir là la condition même de la réussite du processus de transition démocratique :
« Aujourd’hui, de nombreux Espagnols se demandent pourquoi les principales institutions civiles et militaires héritées de la dictature n’ont pas été épurées après la mort de Franco. (…) Ces absences sont imputables, d’une part, à un rapport de forces défavorable à l’idée de rendre des comptes pour des actions passées (…), et d’autre part, à la crainte de voir la guerre se répéter.»
Et la Catalogne dans tout ça ? Après une quarantaine d’années de marginalisation, les régions de tradition autonomiste (dont la Catalogne naturellement, mais aussi le Pays Basque) virent dans la transition démocratique l’occasion d’une réaffirmation réelle de leurs prérogatives. « L’explosion autonomiste » (S. Tobalina 4) ne se satisfaisait pas des quelques dispositions constitutionnelles prises dès 1975 5 : la volonté de constituer des institutions régionales exprimée par la Catalogne allait de jure de pair avec la logique de décentralisation démocratique qui se mettait en place sous Adolfo Suarez. La question était ainsi par essence constitutionnelle.
Ubi concordia, ibi victoria : la Constitution de 1978
Sans constitution depuis 1936, l’heure vint d’en élaborer une en 1978. Le gouvernement de Suarez (IIème gouvernement) choisit une voie médiane ; l’élaboration du texte constitutionnel se voulut tolérante. Tous les efforts furent faits pour « élaborer un modèle constitutionnel consensuel », assurant le maintien d’une « stabilité gouvernementale » (Aguilar Paloma Fernandez, ibid.) : là où il y a concorde, là est la victoire. La nouvelle architecture politico-administrative et l’organisation territoriale prévue par la Constitution, devaient laisser une place plus importante aux régions. Dès juin 1977, Josep Tarradellas, président en exil de la Generalitat catalane parvint à négocier avec le gouvernement Suarez en faveur d’une politique de décentralisation, fondant sa légitimité sur la légalité républicaine de son gouvernement . De jure, le titre VIII de la Constitution de 1978 affirme que « l’organisation territoriale de l’État », reconnaît les « Autonomies »6 :
« ni modèle fédéral, ni simple décentralisation, les « Autonomies » sont une autre forme de l’organisation de l’État (…) [qui permit] à la Catalogne, au Pays basque et à la Galice d’obtenir leurs compétences politiques et administratives. »
De facto, Sébastien Bauer montre bien, dans un article du Monde Diplomatique de 2017, combien le projet constitutionnel de 1978, qui se voulait initialement transitoire avant le passage à une « démocratie pure » et qui faisait davantage de place aux communautés autonomes, n’a dans ses fondements pas ou peu évolué. En voulant conjuguer « deux concepts différents, et traditionnellement opposés, de l’Espagne (…) : d’une part, l’idée d’État-nation espagnol indissoluble et unique, de l’autre, la notion d’une Espagne comme ensemble de peuples, régions et nationalités historiques », (Luiz Moreno), le modèle espagnol constitue une originalité politique. En ne brisant pas absolument l’héritage franquiste, la Constitution et surtout sa permanence se sont attirées les foudres d’une partie des indépendantistes catalans, assimilant parfois un peu rapidement Madrid et tout pouvoir centralisateur à un totalitarisme dont la légitimité n’est pas établie7.
Le retour en force de l’indépendantisme
La question de l’indépendance de la Catalogne a pris un nouveau tournant quand, en 2010, le Tribunal constitutionnel a abrogé les dispositions du Second statut d’autonomie de 2006. Ces dispositions constituaient une avancée majeure aux yeux des indépendantistes : elles reconnaissaient la Catalogne comme une « nation », le catalan comme la « langue propre » du territoire, renforçaient les pouvoirs institutionnels et financiers de la Generalitat, etc.
La décision du Tribunal constitutionnel espagnol de 2010, qui revenait sur 14 des 223 articles du statut, déclarant par exemple inconstitutionnelle l’inscription du concept de nation dans le cadre du statut d’autonomie, suscita de vives réactions en Catalogne. La manifestation « Som una naciò. Nosaltres decidim » réunit plus d’un million de personnes. C’est que la suspension du statut d’autonomie rappelait le passé douloureux du franquisme : « l’unité indissoluble de la nation espagnole » (Art.2, Constitution de 1978) devait-elle reposer sur la remise en cause de la puissance administrative des autonomies ?
Le mouvement sécessionniste retrouva un nouveau souffle tant dans les mentalités que dans l’échiquier politique : plusieurs partis indépendantistes remportèrent les élections régionales. L’organisation politique du mouvement catalan trouva son pendant dans une vague indépendantiste venue de la rue : le mouvement mondial des Indignés suscita un regain d’intérêt en Catalogne pour le sécessionnisme, qui s’inscrivait alors dans une logique plus générale de contestation des pouvoirs publics et de l’autorité de Madrid. Le renouveau populaire de la question incita les autorités catalanes et l’ex-président catalan Artur Mas à organiser une « consultation d’autodétermination », proposant l’alternative suivante au peuple catalan, entre unionisme, fédéralisme et indépendantisme : « Souhaitez-vous que la Catalogne devienne un État ? Si oui, voulez-vous qu’il soit indépendant ? » Si l’on en croit Sébastien Bauer, le gouvernement conservateur (CiU, au pouvoir jusqu’en 2015) qui trouvait là l’occasion de faire oublier les scandales de corruption ayant mis en doute sa légitimité, ne s’opposa donc pas a priori à la tenue du référendum, contrairement au Tribunal constitutionnel (décision de mars 2014). Le résultat fut sans appel, 80% des électeurs se prononcèrent en faveur d’un divorce de l’Espagne.
L’équilibre politique espagnol a changé depuis 2015. En 2017, la question indépendantiste refait surface dans une dynamique toute nouvelle. Carles Puigdemont, l’ancien Président de la Généralité de Catalogne, annonça en juin, la tenue d’un référendum sur l’indépendance, s’engageant à amorcer la désolidarisation d’avec l’Espagne si le « oui » l’emportait. De son côté, le président de l’exécutif national, Mariano Rajoy, transformait le problème politique en une donnée juridico-constitutionnelle, utilisant le Tribunal et la Cour constitutionnelle. Début septembre, la Cour constitutionnelle suspendait la décision du Parlement régional d’organiser le référendum. Le droit céda très vite le pas à l’exercice par l’État de son monopole de la violence légitime. Fin septembre, 14 hauts responsables catalans furent arrêtés et devant l’insoumission tant du peuple que des autorités catalanes, les forces de l’ordre intervinrent violemment, se saisissant de centaines d’urnes et usant de balles en caoutchouc afin d’interrompre le processus électoral. La médiatisation des images mit à mal le gouvernement Rajoy, qui continuait à refuser jusqu’à la tenue même du référendum. Le conflit entre Mariano Rajoy et Carles Puigdemont incarne l’opposition entre État central et gouvernement. La tension monta graduellement durant le mois d’octobre, à coup d’ultimatums successifs, pour culminer le 27 par la déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne, contre laquelle le gouvernement central décida de prendre le contrôle de la région. Et c’est encore le même processus institutionnel qui s’enclencha : début novembre, la Cour constitutionnelle déclara une fois de plus le référendum « nul et inconstitutionnel ».
Dans le même temps, les leaders indépendantistes firent l’objet de procédures judiciaires à leur encontre, poussant Puigdemont à s’exiler en Belgique.
Et maintenant ? L’Espagne sans la Catalogne, la Catalogne hors de l’UE ?
Que représenterait l’Espagne sans la Catalogne ? Cette dernière constitue l’un des moteurs économiques fondamentaux du pays : région la plus riche d’Espagne, son PIB nominal atteignait 212 milliards d’euros en 2016, soit près de 19% du PIB nominal national. Le pays perdrait en outre 23,9% de son afflux touristique annuel s’il était amené à perdre Barcelone et ses plages de la Costa Brava.
Par ailleurs, au regard des indicateurs macroéconomiques fondamentaux, il y a matière à croire que la Catalogne pourrait s’en sortir seule à peu près décemment. Son taux de chômage est inférieur à la moyenne nationale ; la Catalogne a comptabilisé à elle seule 14% des investissements directs à l’étranger du pays en 2015 et est toujours la première région exportatrice du pays. Il est même probable que sa sortie affecterait négativement la balance commerciale espagnole.
Il ne faut pas non plus y voir un scénario de perte unilatérale, dans lequel l’Espagne serait la seule victime. D’une part la dette catalane demeurera importante en cas de scission et la potentielle dégradation des relations entre l’Espagne et la Catalogne pourrait compliquer les possibilités de remboursement de la dette, à en croire la note de l’agence de notation S&P.
En outre, se séparer de l’Espagne, pose la question de la sortie de l’Union européenne, premier partenaire commercial de la région. Pour réintégrer l’UE, la Catalogne devrait alors suivre la procédure d’adhésion. Selon l’article 49 du TUE, « Tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union. Les critères d’éligibilité approuvés par le Conseil européen sont pris en compte. » S’il est tout à fait possible que la Catalogne soit à même de respecter ces critères d’éligibilité sans trop de difficulté (critères dits de Copenhague), la longueur des négociations et du processus d’intégration pourrait affecter l’économie de la région.
Les enjeux constitutionnels et politiques : l’indépendantisme catalan à la croisée des logiques idéologiques
Quelle lecture avoir à la fois des événements et de la nature même de l’indépendantisme catalan comme mouvement politique et civil ? L’indépendantisme catalan a ceci d’original, voire de paradoxal, qu’il se situe au carrefour de plusieurs logiques, apparemment contradictoires, faisant valoir des arguments de nature différente. Il fédère une tendance libérale, une tendance plus à gauche, voire marxiste, et une tendance nationaliste.
La première répond d’une logique économique : la Catalogne étant la région la plus riche, la plus intégrée dans le système commercial international, elle pourrait se passer de l’État central qui lui coûte plus qu’il ne lui rapporte. De fait, elle produit 21% des recettes fiscales de l’Espagne mais ne reçoit que 11% de l’investissement public : le système de redistribution fiscale et la structure générale des dépenses publiques nationales sont jugées inéquitables, provoquant des déséquilibres de cotisation inter-régionaux trop importants. La composante qu’on peut appeler marxisante du mouvement indépendantiste, se réfère à la critique politique de l’excessive centralisation du pouvoir politique en Espagne, revendiquant souvent un modèle de démocratie régionale. À ses yeux, il y a un certain passéisme institutionnel dans la permanence de l’État central. Enfin, ce que l’on peut appeler la tendance nationaliste fait valoir la spécificité de l’identité et de l’histoire catalanes, trop longtemps méprisées par Madrid. Cette tendance rassemblerait, selon Joan Botella, près de 15 à 20% de la population catalane.
Difficile est donc l’entreprise de fédération de ces différentes logiques. Elle a été rendue possible par la mise entre parenthèses de différences de fond, toutes subsumées par la volonté de réaffirmation du poids politique de la Catalogne. Mais le problème des modalités de la sécession demeure. Si les motivations identitaires et à composantes marxistes sont très fortes, les motivations libérales le sont moins, du fait de la crainte des conséquences économiques d’une sortie de l’UE.
Comme le souligne le professeur de sciences politiques Lluis Orriols, depuis la crise de 2008, le gouvernement central espagnol s’est concentré sur « le redressement de la situation économique, en pensant que cela suffirait à faire baisser les tensions et à satisfaire les dirigeants catalans. Sauf qu’il n’a pas su lire le phénomène indépendantiste. » Où réside l’erreur de lecture ? D’abord dans la mécompréhension du problème constitutionnel. Depuis 1978, la Constitution n’a pas évolué et ce malgré des amendements sur le statut des autonomies :
« Le désaccord était donc profond quant à l’organisation du nouvel État. (…) Les Catalans espéraient que le projet évoluerait vers un principe fédératif et qu’une relation bilatérale serait établie avec l’État central. (…) Pour les Espagnols, le principe d’autonomie n’allait pas plus loin qu’une décentralisation partielle de l’administration. (…) Le gouvernement central garderait le dernier mot pour toutes les décisions importantes. »
La question constitutionnelle revêt dès lors un aspect territorial, interrogeant la capacité politique des régions. Si les régions espagnoles disposent d’une responsabilité et de ressources bien plus importantes que les collectivités locales française, l’architecture administrative espagnole demeure problématique.
À cet égard, il y a quelque chose de paradoxal dans les attentes des autonomies notamment de la Catalogne. L’homme politique espagnol Miguel Herrero y Rodriguez de Minon note : « La Catalogne se trouve prise entre le marteau et l’enclume : d’une part la revendication émancipatrice prend comme support la communauté autonome – ce qui crée dans la région une opposition au régime des provinces, d’autre part la revendication du statut de fuero, permettant de lever l’impôt (…) passe par la province. »
La deuxième erreur de lecture réside sans doute dans la sous-estimation de l’immense facteur émotionnel de la question. Pour beaucoup, l’indépendantisme est la manifestation politique d’un attachement profond à la culture catalane, dont ils revendiquent la spécificité. Cette spécificité passe naturellement par la langue, mais aussi par son hymne, Els Segadors, et n’est pas conçue en termes binaires : aux yeux de T. J. Milley, l’identité culturelle catalane ne passe par l’exclusion de la culture espagnole, mais vient plutôt s’agréger à celle-ci. Partant de ce constat, nier la possibilité d’une identité plurielle (tout à la fois catalane et espagnole), c’est prendre le risque de mal comprendre le catalanisme, qui n’est per se pas la négation de la culture espagnole.
- Interdiction de la langue catalane, des drapeaux, dissolution de la mancomunitat
- « La marche de la Catalogne », C. Boix : https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-4-page-37.htm
- Franco, discours du 17 juillet 1936.
- Simon De Tobalina (Juan Luis), El Estado autonómico y sus matices fédérales, 1981
- 15 décembre 1975 le nouveau gouvernement se déclara partisan de la « reconnaissance institutionnelles de toutes les régions, et, en général, des autonomies locales ».
- L’Espagne face à elle-même Démocratie et question nationale, p51-71
- Il faut se prévenir toutefois des caricatures : ce discours ne concerne qu’une minorité des indépendantistes. Dans son immense majorité, l’indépendantisme catalan refuse plus généralement la centralisation politique, sans l’assimiler au fascisme.
Vingtième Siècle, Revue d’Histoire, CAIRN, 2002
Le Franquisme contre la pensée, Mieira Sopera Buixens
L’Espagne face à elle-même – Démocratie et question nationale, Benoît Pellistrandi
Mémoires de la Catalogne, Entretien avec le Groupe d’Études Géopolitiques de l’ENS
Revue Politique Étrangère, CAIRN, 2013
La capacité politique des régions, Romain Pasquier
Revue Pôle Sud, CAIRN, 2005