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Un an après l’investiture : retour sur les raisons du vote Trump

Illustrations d'Ophélie Belly Courbis sur les raisons du vote Trump, un an après son élection

Par Ophélie BELLY Courbis (artiste) et Louis Vendel (rédacteur)

Au printemps 2016, le monde suivait encore du coin de l’oeil le candidat Donald Trump, sans trop croire à son succès aux élections présidentielles américaines de novembre. Pourtant, dans les sondages, il commençait à rattraper son retard sur Hillary Clinton, faisant naître une réelle inquiétude dans le camp des démocrates. Le 3 juin 2016, le professeur de droit Eric Posner publiait dans le New York Times un papier intitulé « Si Trump était élu : ce qu’il aurait le droit de faire et ce qu’il n’aurait pas le droit de faire »1, décryptant les différentes propositions du candidat et leur faisabilité au regard de la Constitution. L’anticipation rationnelle succédait au sarcasme et au tourbillon d’émotions qu’avait suscité la campagne jusqu’alors. La rhétorique changeait.
Vont-ils vraiment le faire ? s’interrogeait-on, davantage fascinés par cette campagne prenante qu’inquiets de son issue.
Puis les résultats sont tombés. S’annonçait alors une ère d’incertitude et de questionnements que les remarques pragmatiques d’Eric Posner ne pouvaient tempérer : qu’allait-il dès lors se passer ?
Au lendemain de ces résultats, il fallait se garder d’échafauder « de grandes théories », confiait Barack Obama. Le seul constat clair était celui de l’échec des spécialistes, analystes et sondeurs à prédire le résultat de cette élection. Pourtant, la littérature l’avait largement pressenti, d’après la revue America2 : « Et si les experts du monde entier avaient pris le temps de lire les grands romans américains plutôt que leurs grilles de sondage ? Ils y auraient découvert un pays taraudé par la tentation autoritaire, le spectre fasciste, l’ombre grandissante d’un milliardaire à crinière blonde. »
Un an après l’investiture du président Trump, à la lumière de ses premières décisions et de ses frasques – le Muslim Ban (décret anti-immigration), ses tweets sur la Corée du Nord, la soixantaine de dispositions sur l’environnement qu’il a révisées, pour ne citer qu’elles – on prend la mesure de ce choix radical. Comment ont-ils pu ? Se demande-t-on enfin.
Il est sans doute encore trop tôt pour répondre à cette question extrêmement complexe, mais on peut déjà tenter certaines conjectures. Un an après : retour sur les raisons du vote Trump.

 

 

L’épineuse question raciale

 

 

L’accession à la présidence de Barack Obama en janvier 2009 avait pu laisser penser que les États-Unis en avaient fini avec le problème de la ségrégation et de la discrimination raciale. Elle ne fut en fait qu’un voile posé sur la structure racisée du pays. Les deux mandats d’Obama ont été émaillés d’affaires raciales qui ont contribué à faire renaître un climat de tension et à polariser les citoyens américains en deux camps frontalement opposés : d’un côté, celui des nationalistes blancs dont le vote était acquis à Trump et, de l’autre, celui des égalitaristes. C’est dans cette atmosphère hostile qu’est né le mouvement Black Lives Matter en 2013, mouvement de contestation envers les violences racistes qui s’est propagé sur les réseaux sociaux. Cette vague militante a ensuite trouvé un écho à l’échelle internationale après la mort de Michael Brown en 20143. Après cette affaire, devenue l’un des symboles de ces violences, 61% de la population considérait que les « relations raciales » aux États-Unis étaient « globalement mauvaises »4 – c’est trois fois plus qu’en 2008, à l’aube du premier mandat de Barack Obama. C’est le point culminant des tensions perçues par les Américains depuis 1992.

Si elle avait fait germer l’espoir d’une société plus égalitaire sans distinction de couleur de peau ou d’origine, « il n’y a pas [en fin de compte] de victoire tranchée pour le peuple noir », constate le journaliste et écrivain Ta-Nehisi Coates5. La présidence Obama n’a pas fait oublier les fondements racistes des États-Unis et leur prolongement dans la société contemporaine. Obama est même la figure de ce que la professeure d’histoire américaine Caroline Rolland-Diamond appelle « le mythe de l’Amérique post-raciale » dans son ouvrage Black America, Un combat inachevé. Or, s’il faut convenir que « le racisme n’est jamais simple »6, la résurgence de l’épineuse question raciale, à l’orée de la candidature du sulfureux Donald Trump, semble être l’un des éléments explicatifs des dynamiques de vote de l’élection présidentielle de 2016.

« On ne sait tout simplement pas encore dans quelle mesure le racisme [a motivé] les électeurs de Trump », avait écrit le journaliste du New York Times David Brooks, peu après les résultats de l’élection. Nul doute cependant qu’il a tenu un rôle dans ce basculement politique et, après un an de mandat, ce rôle devient semble-t-il un peu plus clair.

« Trump a mené une campagne qui a galvanisé les nationalistes blancs, ils ont vu en lui un leader capable de les rassembler – leur champion, le défenseur d’une Amérique fondamentalement blanche », écrit le Southern poverty law center dans une publication de janvier 20187.

Illustrations d'Ophélie Belly Courbis sur les raisons du vote Trump, un an après son investiture
Illustrations d'Ophélie Belly Courbis sur les raisons du vote Trump, un an après son investiture.

Par sa rhétorique agressive, hostile à l’immigration, Trump n’a pas eu de mal à s’attirer l’approbation de ces Américains ouvertement racistes. Ils sont en nombre croissant sur la courte période, si l’on se fie aux statistiques publiées par ce même Southern poverty law center. Celles-ci montrent en effet que le nombre de groupuscules racistes augmente depuis près de 20 ans aux États-Unis. S’ils sont en net recul au long cours, tant en termes de nombre de membres que de capacités de financement et d’influence – le seul Ku Klux Klan était composé de plus de 5 millions de Klansmen8 en 19259 -, ils auraient augmenté de près de 70% depuis 2000. Et particulièrement ces dernières années. Pour la seule année 2015, le Southern poverty law center a enregistré une hausse de 14% du nombre de groupes extrémistes10. Cela ne suffit certainement pas à justifier les résultats du vote de 2016, mais montre dans quel contexte Donald Trump a fait campagne et a été élu. Les récentes émeutes de Charlottesville sont plus qu’un vestige de l’Amérique esclavagiste défendue par une poignée de radicaux, elles s’inscrivent dans un mouvement d’intensification des tensions raciales, qui avait démarré bien avant l’élection.  

On estime à moins de 8 000 le nombre de membres de ces groupes extrémistes. Ce sont davantage les représentants d’un racisme tu, moins explicite, qui ont été séduits par le discours de Donald Trump. Sa campagne et a fortiori son élection ont libéré la parole raciste de milliers d’Américains. C’est ce que constate Edward Washington, un habitant d’Oakland, dans le documentaire Arte Trump, mon nouveau président, diffusé ce mois de janvier 2018 : « Maintenant le racisme a un visage. L’ennemi est en face. Tu ne peux plus te cacher. »

Au-delà de cette opposition frontale, en toile de fond, le démon de la reségrégation des États-Unis est également un élément important du contexte dans lequel s’inscrit l’éclosion de Trump. Car cette tendance, mesurée par de nombreux observateurs depuis une vingtaine d’années, souligne à quel point la question raciale est un élément indissociable de l’histoire du pays et, encore aujourd’hui, de sa société. L’un des spécialistes de la question, Gary Orfield, professeur de l’UCLA, constate en particulier ce phénomène dans les écoles de banlieue. Celles-ci sont de moins en moins mixtes ces dernières années. Ce qu’il appelait en 2012 une « crise cachée »11, remonte aujourd’hui à la surface. Cette « crise » est sans doute le symbole du clivage qui persiste entre les blancs et les hommes et femmes de couleur. Elle nous rappelle aux fondements des États-Unis.

Elle montre que le passé esclavagiste de l’Amérique a laissé des traces, un terreau favorable à l’élection de Donald Trump. Toni Morrison, romancière américaine, prix Nobel de littérature en 1993, fait d’ailleurs remarquer dans un entretien accordé à la revue America que le système électoral américain lui-même est hérité de ce passé. « Ce pays fonctionne sur la base d’un système qui date de la période de l’esclavage », déplore-t-elle*.

Au lendemain des résultats, Obama pointait des « circonstances très inhabituelles », qui doivent nous garder selon lui d’échafauder de « grandes théories ». On ne peut que reconnaître avec lui l’aspect assez exceptionnel de la conjoncture de cette élection. Il est toutefois important de considérer également la dimension structurelle du pays et de se rendre compte que les tensions raciales ont joué un rôle dans ce changement de paysage politique. Un rôle non pas simplement conjoncturel, mais structurel ; qui va au-delà de la montée des extrémistes sur la période récente, qui est à considérer sur un temps plus long. Cette question raciale est ici doublement intéressante comme objet de science sociale. Elle offre une certaine grille de lecture de l’élection de Donald Trump, nous donne à voir comment les relents racistes et la montée des tensions ont pu correspondre à l’arrivée au pouvoir d’un candidat qui exprimait lui-même une forme de racisme non voilé pendant sa campagne. Mais, par son caractère inhérent à la société américaine, cet argument montre aussi de fait ses propres limites à expliquer ce bouleversement. En effet, le phénomène racial n’est pas nouveau. Il est aux fondements des États-unis. Ce qui invite à penser qu’il ne s’agit pas là du seul moteur de l’élection de Donald Trump. C’est là ce que note le sociologue américain Todd Gitlin : « Une moitié [de l’électorat de Trump] est constituée de personnes racistes, xénophobes, autoritaristes, une autre de gens qui haïssent en priorité la mondialisation, les accords commerciaux, les intellectuels et les médias.»

*Toni Morrison : « Le collège électoral, [le système des grands électeurs], a été créé pour garantir du pouvoir aux plus petits États de l’Union, là où il n’y a presque personne… Et, si vous regardez bien la carte des États-Unis, cela profite essentiellement aux États du sud. Car à l’époque où cette institution a été mise en place, les Noirs n’étaient pas considérés comme des personnes. Ce fut la première grande manipulation de l’histoire américaine et il est somme toute logique qu’elle aboutisse, en 2017, à l’arrivée à la Maison Blanche d’un Grand Manipulateur. Ce sont ces petits États qui ont décidé de le porter au pouvoir. »
En effet, Trump n’a pas gagné le vote populaire. Hillary Clinton, au total, l’a devancé de près de trois millions de voix aux élections présidentielles de 2016. C’est le système du collège électoral, qui met le pouvoir entre les mains de grands électeurs, qui a accordé à Trump la victoire à la présidentielle.  

 

« Les morts du désespoir »


Cette deuxième moitié dont parle Todd Gitlin, ce sont « les ressortissants de ces classes moyennes blanches, ces petits entrepreneurs, artisans, ouvriers, et agriculteurs, généralement peu éduqués », selon les mots du journaliste Sylvain Cypel. Beaucoup ont en commun une haine des médias, que Trump lui-même décrit comme « les ennemis du peuple américain ». Certains pensent que « les médias sont pourris ». Donald Trump s’est servi de cette défiance du peuple envers les journalistes pour désinformer largement et « manipuler à son avantage la couverture médiatique qui lui était défavorable », écrit Mike Davis dans « The great god Trump and the white working class ». Plusieurs choses les ont séduits dans le discours de Donald Trump : le conservatisme social, les promesses d’emplois, la politique extérieure agressive, la politique migratoire et, plus largement, l’idéal du retour à l’Amérique à l’ancienne. « C’est cette seconde partie [d’électeurs] que Trump a su amener à lui. »

En effet, Sylvain Cypel explique dans son article intitulé « Pauvres petits blancs » que c’est à ces citoyens désabusés, laissés pour compte dans le mouvement de la mondialisation économique, que Trump doit son élection. C’est dans ces États de la Rust Belt qu’Hillary Clinton a perdu la présidentielle, car elle y a « complètement passé sous silence la question économique, et n’a proposé aucun plan d’avenir susceptible d’aider leurs habitants ».

« Hillary Clinton a perdu le Michigan pour 0,2% des voix, quand Obama avait devancé son adversaire Mitt Romney de 10 points en 2012.»

Ce sont ces « morts du désespoir », selon la formule du prix Nobel d’économie 2015 Angus Deaton, que Trump est parvenu à capter. Ils ont vu en Donald Trump la carrure d’un héros capable de redresser leur Amérique, « un espoir un peu fou », écrit Sylvain Cypel. Ce héros a réussi à leur faire croire que les solutions à leurs problèmes étaient très simples. « C’est un businessman qui va gérer le pays comme une entreprise », se félicitait une habitante d’Indianapolis, quelques mois après les résultats. « Je crois qu’Hillary a perdu l’élection car elle a oublié les classes moyennes, elle a oublié ceux qui travaillent, elle a oublié ce qu’était l’Amérique », poursuit son amie. Donald Trump est parvenu à séduire les travailleurs qui ont fait les frais des délocalisations massives en leur promettant de relocaliser les emplois manufacturiers.

Mais plus encore, il leur a défendu une certaine vision des États-Unis. C’est là ce qu’évoque la deuxième partie de cette phrase : « [Hillary] a oublié ce qu’était l’Amérique ». Trump a vendu à ces classes moyennes blanches une véritable marche en arrière, un retour à l’ancien temps ; celui de l’Amérique forte, respectée au-delà de ses frontières. C’est toute la rhétorique du « Great Again » et du « back » qui ont animé sa campagne, qui les a convaincus. « We will bring back our jobs. And we will bring back our borders. And we will bring back our wealth. And we will bring back our dreams », avait-il promis lors de son discours inaugural.  

« Mon rêve pour l’Amérique est qu’on revienne aux valeurs d’il y a 30 ou 50 ans. » Mark Dannels, shérif du comté de Cochise, responsable de la sécurité le long de plus 100 kilomètres de frontières.

Illustrations d'Ophélie Belly Courbis sur les raisons du vote Trump, un an après son investiture

Et une partie des promesses de Trump a en effet été tenue. Fin novembre 2017, il avait déjà démantelé plus de 60 dispositions législatives mises en place par Barack Obama sur l’environnement et l’écologie. Il a concrétisé son souhait de relocaliser les emplois aux États-Unis en instituant de nouvelles mesures protectionnistes, comme les taxes sur les lave-linge et les panneaux solaires importés, signées ce 24 janvier 2018. Concernant le secteur financier, il est revenu sur plusieurs points de la loi Dodd-Frank adoptée en 2010, qui visait à réguler le marché.

Mais tout n’est pas aussi facile qu’il l’avait prédit. Les juges fédéraux ont joué leur rôle de contre-pouvoir et freiné ce retour vers le passé en endiguant notamment la réforme de l’Obamacare, ou certaines mesures sociales conservatrices, comme l’offensive du président contre le droit à l’avortement. En matière de politique extérieure, tout n’est pas si simple non plus. En témoigne cet aveu de Donald Trump, qui a reconnu auprès du Wall Street Journal qu’un entretien de 10 minutes avec le président chinois lui avait permis de « réaliser que [le conflit nord-coréen] n’était pas si facile »

Un an après cette élection, tous les voyants de l’économie américaine sont au vert. Le taux de croissance est d’environ 3% et 2 millions d’emplois créés ont permis d’atteindre un taux de chômage de 4%. Toutefois, Trump affiche le pire niveau d’approbation pour un président américain après un an de mandat.

  1. Eric Posner, « And if elected : what Trump could or couldn’t do », New York Times.
  2. Créée par l’équipe du 1 Hebdo, America est une revue trimestrielle sur les États-Unis à paraître tout au long de la présidence de Donald Trump.
  3. Michael Brown, un Afro-Américain de 18 ans, a été tué par balles le 9 août 2014 par un policier alors qu’il n’était pas armé. Cet événement a entraîné plusieurs jours d’émeutes à Ferguson dans le Missouri.
  4. Données recueillies par le Pew Center research, CBS et le New York Times, dans l’étude « La plupart des Américains considèrent que l’élection de Trump a détérioré les relations raciales du pays. »
  5. Ta Nehisi Coates, « My president was black », The Atlantic. Traduction dans la revue America.
  6. Ta Nehisi Coates, « My president was black », The Atlantic. Traduction dans la revue America.
  7. Southern poverty law center, « America the Trumped : 10 ways the administration attacked civil rights in year one ». Le southern poverty law est une organisation à but non lucratif de lutte contre le racisme.
  8. Nom des membres du Ku Klux Klan.
  9. http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Ku_Klux_Klan/128145
  10. Southern poverty law center.
  11. The resegregation of suburban schools, A hidden crisis in American education, Erica Frankenberg et Gary Orfield, 2012.
  12. Todd Gitlin, cité dans l’article de la revue America « Pauvres petits blancs », de Sylvain Cypel.
  13. Sylvain Cypel, « Pauvres petits blancs », revue America.
  14. Sylvain Cypel, « Pauvres petits blancs », revue America.
  15. Mike Davis, « The great god Trump and the white working class », Jacobin Magazine.
  16. La Rust Belt, « La ceinture de rouille » est le nom donné aux États du Nord-Est américain. C’est l’ancienne « ceinture des usines », qui a laissé la place à de grands complexes industriels.
  17. Le stratège politique Stan Greenberg, cité par la journaliste Eleanor Clift dans TheDailyBeast.
  18. Sylvain Cypel, « Pauvres petits blancs », revue America.
  19. Angus Deaton, « Mortality and Morbidity in the XXIst century », Brookings institutions.
  20. Arte, Trump, Mon nouveau président.
  21. « Nous allons retrouver nos emplois. Nous allons retrouver nos frontières. Nous allons retrouver notre prospérité. Et nous allons retrouver nos rêves. »
  22. Arte, Trump, Mon nouveau président.
  23. « Protectionnisme : Donald Trump persiste et signe », Courrier International.
  24. Loi votée en 2010 après la crise des Subprimes pour stabiliser le marché financier.