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Les femmes du djihad

Les femmes du Djihad. Quand les femmes rejoignent Daesh. Illustrations de Lucien Gurbert.

Iris Lambert (rédactrice), Lucien Gurbert (artiste)

Parmi les 5 700 recrues étrangères européennes engagées dans les rangs de l’État islamique, il est estimé que 18 % de ces combattants sont des femmes. Si l’engagement féminin dans des combats étrangers n’est pas un phénomène rare, c’est pourtant la première fois dans l’histoire qu’autant de femmes rejoignent une organisation terroriste djihadiste. Cependant, les raisons de leur engouement pour rejoindre l’État islamique et participer à son élaboration restent mal comprises. De fait, l’idéologie salafiste radicale promue par l’État islamique impose une structure profondément genrée de la société, dans laquelle les femmes sont subordonnées aux hommes. Les membres de l’organisation sont également encouragés à commettre toutes sortes de violences sexuelles, qu’il s’agisse de tactique guerrière ou de punitions sur leurs propres sujets. Dès lors, il est étonnant de constater que des femmes, qui pourtant jouissent en Europe de droits démocratiques et d’une égalité institutionnelle vis à vis des hommes, décident sciemment de rejoindre un groupe militant activement pour leur oppression.

 

L’engagement des femmes dans la violence politique

 

Les recherches portant sur la participation des femmes dans la violence politique et dans la sphère du terrorisme ont longtemps souffert des stéréotypes portés sur le genre. De manière générale, la violence a longtemps été considérée comme un attribut masculin. Dès lors, toute femme participant d’une manière ou d’une autre dans des formes de violence politique devait nécessairement être motivée par des motifs exceptionnels. Paradoxalement, des chercheurs ont plutôt estimé que « le sexe ne constitue pas une variable explicative » les hommes et les femmes ne font pas du terrorisme différemment en fonction de leur composition biologique. En ce qui concerne la participation des femmes dans les organisations terroristes djihadistes, l’étude de leurs motivations a longtemps été circonscrite, car, pour des raisons idéologiques, elles n’étaient pas autorisées à participer aux actions de violence politique. Leur rôle reste généralement confiné à la sphère domestique et privée. Plutôt que d’être actives sur les champs de bataille, leur tâche est d’assurer la reproduction, d’élever les prochaines générations de djihadistes, et de contribuer à la construction de l’utopique « état islamique ».

 

Les fiancées du Djihad

 

L’application très restrictive de la loi islamique sharia  a également longtemps contribué à ce que ces femmes parties pour rejoindre le djihad soient décrites comme naïves, ou irrationnelles. Un des récits dominants les décrit comme des « épouses djihadistes » et affirme que ces femmes sont attirées dans l’organisation pour des motifs romantiques. Le mécanisme est simple : des adolescentes en mal d’amour et de reconnaissance tombent sous le charme de djihadistes. Elles sont dès lors prêtes à tout pour leur plaire et pérenniser leur union, y compris donc à effectuer le voyage jusqu’aux terres de l’État islamique. Il s’agit pourtant là d’une vision très réductrice de la raison de leur engagement et des mécanismes de radicalisation. Cette version dénie également aux femmes toute forme d’autonomie. Sur un même phénomène donc, celui de la radicalisation, on observe un double discours, entre d’un côté celui sur les hommes, radicalisés certes, mais maîtres de leurs choix, et de l’autre celui sur les femmes, décrites comme des victimes manipulées. Il s’agit là d’une narration dangereuse, car d’une part sexiste, mais également parce que ces femmes ne sont plus considérées comme responsables (ou moins).

Des études plus récentes montrent pourtant que, si les stratégies de recrutement diffèrent effectivement selon le sexe de la personne à recruter, les motivations des femmes n’en sont n’en sont pas moins rationnelles.

Les femmes du Djihad. Quand les femmes rejoignent Daesh. Illustrations de Lucien Gurbert.

La muhajirat européenne

 

Comme pour les hommes, l’un des principaux obstacles dans l’établissement d’un profil-type de la muhajirat européenne consiste en l’absence de similarité entre toutes les prétendantes au djihad. La chercheuse Audrey Alexander, qui a travaillé sur les djihadistes partis des États-Unis, a effectivement conclu qu’un « profil global de la femme djihadiste reste indiscernable ». Anne Speckard, également chercheuse et spécialiste de la radicalisation, explique qu’il y a à peu près autant de raisons poussant les femmes à s’engager dans les rangs de l’État islamique qu’il y a de profils. L’étude la plus complète concernant les femmes européennes parties rejoindre le djihad en Irak  et en Syrie a été conduite par Saltman et Smith en 2015. Leurs recherches indiquent que les motivations conduisant certaines femmes musulmanes occidentales à faire le hijra le voyage jusqu’au califat sont une combinaison de facteurs d’incitation et d’attraction. Les facteurs d’incitation sont les facteurs structurels facilitant la radicalisation. Les facteurs d’attraction, eux, concernent les raisons qui poussent à soutenir ou rejoindre, dans ce cas-ci, une organisation terroriste.

 

Des facteurs d’attraction contre-intuitifs

 

La plupart des recherches actuelles portent sur les facteurs d’attraction, et leurs conclusions sont à première vue relativement contre-intuitives. Il existerait une facette mal comprise du djihad, à savoir sa capacité d’autonomisation aux yeux des femmes musulmanes européennes. Beverly Milton-Edwards, professeure de politique à la Queen’s University de Belfast, explique qu’elles « voient leur participation dans l’État Islamique comme une forme d’autonomisation, de libération, et une opportunité de vivre dans une société fondée sur un système de croyance auquel elles adhèrent ». Dans les pays occidentaux, les opinions sociales et politiques des femmes de confession musulmanes, et notamment celles qui suivent une forme orthodoxe et stricte de l’islam, sont susceptibles d’être largement ignorées. Souvent, ces femmes sont mêmes considérées comme des victimes de l’islam. Cela peut aboutir à un sentiment d’isolement et de marginalisation dans l’espace social européen, et cela les pousserait à chercher de nouvelles formes d’intégration. Carla Cunningham, chercheuse à la RAND corporation, souligne que des pratiques conservatrices, comme le port de la burqa, leur offrent une opportunité unique d’être politiquement actives de façon socialement acceptable. Enfin, les recherches menées par Katharina Kneip, auteure d’une thèse sur les femmes et le djihad publiée dans le magazine Politikon, montrent que c’est principalement l’aspiration à un plus grand degré d’autonomie de certaines femmes musulmanes européennes qui caractérise leur décision de rejoindre l’État islamique. Cela fait largement écho aux tactiques de recrutement employées par les recruteurs, qui mettent généralement l’accent sur le fait qu’elles pourront jouer un rôle actif au sein de l’organisation.

Les études portées sur les facteurs d’incitation pointent globalement vers des sentiments d’isolement, de rejet, de marginalisation, ou encore de forts problèmes de cohésion familiale, sans pour autant que ces facteurs soient communs à toutes les femmes parties rejoindre le califat.

Les femmes du Djihad. Quand les femmes rejoignent Daesh. Illustrations de Lucien Gurbert.

Discrimination et isolement en lien avec l’islam

 

Dans une interview diffusée par Channel 4 news, Maryam, une jeune femme britannique ayant rejoint l’État islamique, explique qu’elle a dû faire face à un fort sentiment de rejet et de marginalisation dû à son adhérence à des valeurs islamiques strictes, ainsi qu’à son choix de porter le voile. Elle mentionne son incapacité à trouver quelqu’un avec qui partager les valeurs qui lui tiennent à cœur. Plus particulièrement elle se souvient : « Les gens me disaient ‘Retourne dans ton pays !’, ce que à quoi je répondais ‘Je suis née au coin de la rue’. » Umm Haritha, une jeune femme canadienne de 20 ans ayant rejoint les territoires de l’État Islamique en 2014, dresse le même constat : « Les gens se moquaient de moi en public, me poussaient et me disaient de retourner dans mon pays, et parlaient comme si j’étais une malade mentale ou comme si je ne comprenais pas l’anglais ». Elle ajoute : « La vie était dégradante et embarrassante, rien de proche de la liberté multiculturelle ou de la liberté d’expression qui est soi-disant promue.»

Dans le manifeste publié par Al-Khansaa, la brigade de femmes d’ISIS chargées de faire régner l’ordre dans l’État islamique, de nombreux extraits font état d’un même sentiment d’humiliation, et de l’impression d’une hypocrisie latente dans les sociétés occidentales. On peut y lire, en référence à la conception occidentale du travail : « Le travail, c’est ce qui amène la femme hors de la maison. Ce qui la fait rester à l’intérieur de la maison n’est pas du travail. La femme qui reste à la maison est donc accusée de paresse, de ne pas être civilisée, comme quelqu’un qui ne participe pas au développement (de la société). »

Cet extrait dénonce la manière dont les sociétés occidentales décrivent négativement les femmes qui restent à la maison, ce qui est généralement le rôle ordonné pour les femmes suivant une doctrine salafiste stricte.

Dans des systèmes juridiques tels que celui en vigueur en France, il est difficile pour ces femmes de comprendre que la nudité est tolérée, mais pas le fait de se couvrir la tête. Le scandale lié au burkini est un exemple frappant de ce contraste.

Laura Passoni, une femme belge ayant rejoint l’État islamique avant de s’en échapper a publié un livre sur son expérience, dans lequel elle mentionne explicitement l’impossibilité de pratiquer leur religion ressentie par certains musulmans. « Ici [en Belgique], le voile n’est pas accepté, ils ne veulent pas de l’islam. Là-bas, en Syrie, on est libres de pratiquer notre religion. En Belgique, les musulmans ne sont pas tolérés, et ça ne va pas s’arranger. » Dounia Bouzar, anthropologue française, ex-directrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam et membre de l’Observatoire de la laïcité, raconte également dans un de ses livres la façon dont les recruteurs de Daesh mettent l’accent sur les discriminations à l’encontre des femmes musulmanes dans leurs stratégies de radicalisation. L’un d’eux explique : « On s’est fait humilier par leurs lois qui interdisent notre foi. » Elle fait également part de l’humiliation ressentie par les mères musulmanes à qui l’on a refusé la possibilité d’accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires en raison du port du voile.

 

Femme et musulmane, deux caractéristiques qui favorisent la discrimination

Les femmes du Djihad. Quand les femmes rejoignent Daesh. Illustrations de Lucien Gurbert.

Il est généralement difficile d’évaluer le bien-être économique, culturel et social des citoyens et citoyennes européens musulmans, car dans de nombreux pays le recensement et la classification en fonction de la religion est interdit par la loi. Cependant, quelques initiatives ont été prises par différentes fondations et organisations, afin d’avoir une idée un peu plus précise des tendances actuelles. Globalement, les femmes musulmanes représentent la majorité des victimes de discrimination en lien avec la religion. Le rapport Forgotten Women: the Impact of Islamophobia on Muslim women, conduit par l’European Network Against Racism (sous l’égide de l’Union européenne), indique que cela est dû au fait qu’elles sont des « représentantes visibles » de l’islam, en plus d’être probablement perçues comme étant plus vulnérables que leurs contreparties masculines. En France, l’Observatoire national contre l’islamophobie indique qu’en 2014, 81,5 % des actes d’islamophobie avaient pour cible des femmes. Les femmes musulmanes constituaient également près de 100 % des victimes d’agressions physiques.

Il est évidemment difficile d’établir un lien entre le taux de marginalisation des femmes musulmanes et la propension à la radicalisation. Celles qui se trouvent être les victimes d’abus liés à la religion ne sont pas forcément propices à l’endoctrinement. Cependant, de manière générale, le sentiment d’une persécution généralisée à l’encontre des femmes musulmanes est l’un des principaux facteurs d’incitation décrits par les candidates au djihad.

 

Djihad féminin

 

Le concept du djihad féminin permet de comprendre pourquoi les femmes parties rejoindre l’État islamique suite à des sentiments de marginalisation ont pu voir dans le califat des possibilités d’intégration supérieures à celles proposées dans les sociétés occidentalisées.

Le djihad féminin signifie que « les femmes mènent une action politique en soutenant leurs proches masculins et en éduquant leurs enfants dans l’idéologie. » Ces activités sont considérées comme des tâches domestiques réductrices dans les sociétés occidentales. Dans le califat, elles sont décrites comme une facette indispensable à l’évolution et au maintien de la société, au moins aussi importante que le combat armé. Sans leur participation, le califat ne peut survivre. Les recrues européennes jouent également un rôle important de modèles pour les uns et les autres dans l’organisation, rejoignant parfois la brigade Al-Khansaa. Aussi, en fournissant une rhétorique alternative qui s’adresse spécifiquement aux besoins des femmes musulmanes occidentales en matière d’émancipation, ISIS leur offre la perspective d’une meilleure « intégration » dans le califat que dans les sociétés occidentales.

Les mécanismes sous-jacents au processus de radicalisation ainsi que les motivations poussant certains individus à préférer la voie du crime sont complexes et multiples. Les facteurs structurels tels que ceux décrits dans cet article n’en forment qu’une part, ce qui ne réduit en aucun cas la responsabilité de chacun quant aux actions menées. Cependant, il est primordial de se souvenir que l’idéologie salafiste radicale est une hydre de Lerne qui se nourrit des souffrances individuelles pour attirer dans ses rangs les plus vulnérables des membres de nos sociétés. Si rien n’est fait pour rétablir la tolérance et l’égalité parmi les citoyens, il est probable que nous verrons apparaître de nombreuses nouvelles têtes.

Schraut, S. and Weinhauer, K. (2014). Terrorism, Gender, and History – Introduction. Historical Social Research / Historische Sozialforschung, 39(3(149), pp.pp.7-45.p.18

Sjoberg, L. (2011). Conclusion: The study of women, gender, and terrorism. In: L. Sjoberg and C.Gentry, ed., Women, Gender, and Terrorism, Georgia: University of Georgia Press. p.237

Pearson, E. and Winterbotham, E. (2017). Women, Gender and Daesh Radicalisation. The RUSI Journal, 162(3), pp.60-72.

Kneip, K. (2016) Female Jihad – Women in the ISIS, Politikon Vol. 29, p88-106.

Passoni, L. and Lorsignol, C. (2016). Au coeur de Daesh avec mon fils. Waterloo (Belgique): La Boîte à Pandore.p.63

Bouzar, D. (2015). La vie après Daesh. Ivry-sur-Seine: Les Editions de l’Atelier.

Von Knop, K. (2007). The Female Jihad: Al Qaeda’s Women. Studies in Conflict and Terrorism,30(5), pp.397-414.p.397