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Die PARTEI : Coluche 2.0 en Germanie

Par Pauline Deydier et Hugo Boutry

 

« Chaque fois que vous votez pour un autre parti, un petit lapin meurt quelque part. » En septembre dernier, alors que le monde entier scrutait la scène politique allemande – et le dernier acte annoncé de l’ère Merkel –, le parti satirique « Die PARTEI » optait pour une entrée discrète, par la porte des artistes. Démarche folklorique ou acte militant ? Trois mois plus tard, retour sur une campagne haute en couleur.

Les membres de Die PARTEI à Bruxelles le 7 décembre 2017

BRUXELLES, le 7 décembre 2017.

Il y a trois jours, nous avons reçu une invitation énigmatique signée Dustin Hoffmann (« Head of Office » du bureau parlementaire d’un certain Martin Sonneborn), nous demandant de nous présenter cet après-midi au Parlement européen. 16h25. Nous faisons la connaissance du Dr Mark Benecke, venu donner une conférence privée sur l’usage des insectes dans l’analyse criminalistique européenne. Mark Benecke n’est pas venu seul : autour de lui, une cinquantaine de silhouettes en costumes gris et cravates rouges bavardent tranquillement, canettes de bière à la main. Ils ont entre 20 et 60 ans ; ils sont blancs, allemands, tous affiliés au même parti. Nombre d’entre eux sont des hommes, souvent barbus, parfois tatoués, piercés. « Alors, ça fait quel effet de voir des nazis ? » nous lance Mark Benecke. « Pardon ? »

Au commencement était l’Humour

Né en 2004 sur l’initiative de Martin Sonneborn, « Die PARTEI » (littéralement, le parti) est à l’image de son fondateur : déroutant. Ex-rédacteur en chef du journal satirique Titanic, Martin Sonneborn s’est rendu célèbre grâce à son élection au Parlement européen en 2014. Depuis, le député se met régulièrement en scène dans des vidéos diffusées sur SPIEGEL.TV (la Web TV du journal éponyme). Vu de l’hexagone, c’est un peu comme si Alain Chabat avait été élu au Parlement européen… avec le soutien de Charlie Hebdo et des équipes de Groland.

Impensable ? Pas tant, si l’on se souvient de la descente de Coluche dans l’arène politique en 1981. Pensée initialement comme une blague, elle s’était transformée en véritable campagne. À l’époque, la censure et les pressions exercées sur le candidat-clown avaient conduit Coluche à se retirer de la course : « Je préfère que ma candidature s’arrête parce qu’elle commence à me gonfler », avait-il déclaré le 16 mars 1981, tout juste deux mois avant l’élection de François Mitterrand.

De son côté, « Die PARTEI » jouit d’une liberté d’expression – presque – sans entraves. Au cours de sa dernière campagne, le mouvement a laissé fleurir une propagande électorale particulièrement variée et délicieusement provocante. Pour preuve ces affiches prônant – entre autres – une nouvelle division de l’Allemagne ou l’introduction d’un deuxième samedi par semaine. Dans le même registre, le parti organisait, il y a trois mois, une manifestation « pour plus de porno en politique » et un atelier de « pussy grabbing » dans les rues de Berlin.

Tout comme Charlie Hebdo en France, la revue Titanic et « Die PARTEI » n’hésitent pas à s’attaquer aux tabous de la société allemande : fracture Est/Ouest, crise des migrants, xénophobie, nazisme… Comme chez leur homologue français, cette liberté de ton occasionne bien sûr quelques déconvenues. En septembre 2017, le parti de Martin Sonneborn a ainsi déclenché la polémique en diffusant une affiche montrant la célèbre photo d’Aylan Kurdi – enfant retrouvé mort noyé sur une plage turque après le naufrage d’une embarcation de migrants – en reprenant la charte graphique des affiches de la CDU (la formation de centre-droit d’Angela Merkel). Référence parodique au slogan du parti, « Pour une Allemagne dans laquelle il fait bon vivre », on pouvait lire, au-dessus du jeune Aylan : « Pour un sable sur lequel il fait bon s’asseoir ».

Face à l’embrasement de la twittosphère, Martin Sonneborn avait répondu au journal en ligne MEEDIA en ces termes : « Naturellement, dans la situation actuelle, il est préférable de tenir à l’écart de la campagne les images du sort des réfugiés. Mais contrairement à GroKo Haram (ndlr, expression utilisée pour désigner les partis au pouvoir 1), nous souhaitons une véritable discussion à propos de ces morts incessantes. Les critiques qui nous ont été faites devraient être adressées à la chancellerie. »

Comme tant d’autres, cette déclaration de Martin Sonneborn est emblématique de l’ambiguïté entretenue par le « PARTEI ». Car si cette prise de parole publique est à prendre au second degré, elle pose, de fait, une question parfaitement sérieuse. Au même titre que dans d’autres formations satiriques, comme le « Parti hongrois du chien à deux queues », le « Parti Rhinocéros » canadien, ou encore le défunt « Parti drôle » représenté au Parlement des îles Féroé à partir de 2004, c’est justement ce culte de l’équivoque qui fait du « PARTEI » un phénomène inédit.

Mais que fait la polis ?

Dans les faits, « Die PARTEI » a tout d’une vaste blague : le ton employé et l’absence de propositions crédibles érigent le parti au rang de clown sur la scène politique allemande. Mais ce choix éditorial ne doit pas faire oublier que « Die PARTEI » est aussi un mouvement militant. Car si sa ligne politique est loin d’être évidente, sa stratégie, au contraire, est explicite : s’appuyer sur les abstentionnistes pour évincer du jeu politique les autres partis, au premier rang desquels le parti d’extrême droite « Alternative für Deutschland » (AfD). Tout comme Coluche faisait explicitement campagne contre Giscard, « Die PARTEI » a fait de la lutte contre l’extrême droite l’un de ses chevaux de bataille. « La stabilité et la sécurité ont besoin de règles claires : Matthias Spindler, blanc, allemand, chrétien, masculin, hétéro » : c’est non sans ironie que « Die PARTEI » présentait son candidat à la mairie de Cassel (Hesse) en mars 2017.

De son côté, le candidat Nico Semsrott incarne à lui seul la porosité qui peut exister entre le travail de satire et l’engagement politique. Humoriste et membre éminent du « PARTEI », Nico Semsrott défend dans ses spectacles des idéaux humanistes, nourris par une critique du système capitaliste et de toutes les formes d’institution. Dans l’un de ses clips de campagne, il se présente, paupières tombantes, comme un « coach de démotivation » – et, partant, comme un candidat idéal pour « Die PARTEI ». Du fond de son lit, il s’adresse d’un ton monocorde aux abstentionnistes, arguant que si ce « groupe d’électeurs » de 18 millions de personnes décidait de voter pour le même parti, il serait mieux représenté au Parlement que l’actuel parti majoritaire (la CDU/CSU).

D’où la conclusion suivante : « S’il leur est égal de voter, pourquoi ne votent-ils pas pour des gens à qui il est égal de siéger ? » La vidéo se veut didactique, grâce à des schémas prévisionnels annonçant la victoire du « PARTEI » et son entrée au Parlement. Pour ce faire, le parti devra d’abord recueillir un nombre de voix suffisant (ndlr, 5% des suffrages) afin d’accéder au Bundestag, puis procéder à une captation des électorats de l’AfD et du FDP (le parti libéral) pour les empêcher d’y entrer à leur tour. Et Nico Semsrott d’ajouter dans un sourire : « Avec un peu de chance, on viendra même à bout du SPD » (le parti social-démocrate, deuxième parti d’Allemagne).

Ce faisant, le candidat du « PARTEI » questionne deux sujets sociétaux majeurs, en Allemagne et dans toute l’Europe : la montée de l’abstentionnisme et la désaffection des citoyens pour la politique. Avec près de 18 millions de « Nichtwähler » (littéralement, les non-votants), l’Allemagne se situe certes dans la moyenne européenne 2. Mais la baisse tendancielle du taux de participation aux élections y est plus préoccupante qu’ailleurs : en 1971, seuls 9% des inscrits ne s’étaient pas déplacés aux urnes, contre 29,2% en 2009 – une année record –, et près de 28% en 2017. À titre de comparaison, cette année, ce taux était de 22% au premier tour des élections présidentielles françaises.

Ainsi, alors même que le processus électoral y est plus flexible qu’ailleurs (en Allemagne, il est possible de voter par courrier jusqu’à deux jours avant l’élection) et que la politique n’est pas réservée aux élites (il n’y a pas d’équivalent de l’ENA outre-Rhin, aucun niveau d’études n’étant requis pour accéder à des postes importants), le nombre d’abstentionnistes ne cesse d’augmenter depuis la chute du mur.

Cette évolution traduit un désaveu populaire du système politique, qui n’est d’ailleurs pas l’apanage de l’Allemagne. Corollaire de ce phénomène, la montée des extrêmes touche aujourd’hui pratiquement tous les pays de l’Union – songeons, pour ne citer qu’eux, au Parti de la liberté (FPÖ) en Autriche, au Parti pour la liberté (PVV) aux Pays-Bas, au Parti du peuple danois (DF) au Danemark… En Allemagne, cette fièvre démagogique a conduit l’AfD, parti ouvertement xénophobe, à entrer au Parlement le 24 septembre 2017. Une première historique depuis la victoire du NSDAP en 1933 et l’instauration du IIIème Reich.

Pour les électeurs indécis ou déçus, « Die PARTEI » représente donc, en dépit de son ADN satirique, une alternative crédible.

Clowns augustes ou clowns blancs ?

En outre, la vidéo de Nico Semsrott et l’ensemble de la campagne témoignent d’une stratégie politique tout sauf irréfléchie. Si « Die PARTEI » se positionne comme un parti opposé aux idées de la CDU, il se donne aussi d’autres adversaires : l’AfD, le FDP et le SPD. Le communiqué paru sur le site web du parti le 2 octobre 2017 est ici un bon point d’entrée pour tenter de décrypter sa ligne politique. Après s’être félicité de « l’heureuse nouvelle » de sa défaite aux élections législatives, « Die PARTEI » annonçait ainsi :
« Tous les autres ont – de leur propre aveu – gagné, d’une manière ou d’une autre (sauf le SPD, mais il ne compte plus). Nous avons perdu. Nous pouvons le reconnaître : (…) nous sommes désormais les « un pour cent ». (…) Grâce ou à cause de notre petite campagne comique, (…) nous avons pu quintupler notre résultat de 2013 et nous sommes dès à présent le plus puissant parti d’opposition hors parlement. Nous allons pourchasser l’AfD ! Smiley. Mais aussi, bien entendu, le FDP. »

La mention de ces trois partis et leur ordre d’apparition sont loin d’être anecdotiques. En premier lieu, c’est la formation sociale-démocrate de Martin Schulz (le SPD) qui est tournée en ridicule. Puis – par ordre d’importance ? – la chauvine AfD et l’ultralibéral FDP sont désignés comme des concurrents sérieux.

Autre fait révélateur, le programme du parti aux dernières élections législatives commençait par la promesse suivante :

DIE PARTEI exige l’application (…) d’une égalité absolument totale, ou au moins deux fois supérieure à celle que prône le SPD. (…) Et pour souligner l’importance sociétale de l’égalité, partout le prix du hamburger SV (ndlr, une entreprise de restauration allemande) va baisser d’année en année.

Sous couvert d’une plaisanterie bien sentie, la critique de la social-démocratie allemande est ici explicite. L’égalité prônée par le SPD est insuffisante, nous disent les promoteurs d’une « égalité absolument totale ». Or, en faisant de la lutte contre les inégalités une priorité, « Die PARTEI » reprend un thème de campagne historiquement associé au SPD et largement récupéré par ses opposants.

Sur ce point, un rapide rappel historique s’impose. En effet, jusqu’au début des années 1970, les dirigeants allemands œuvraient à la création d’un État providence régulateur et protecteur 3 ; mais l’arrivée des crises pétrolières – entre autres – les contraignit à adopter des politiques conjoncturelles incertaines.

De son côté, la gauche allemande – tout comme son homologue travailliste au Royaume-Uni – a opéré une véritable mue idéologique à l’aube des années 2000. À partir de 1998, le parti social-démocrate, mené par le chancelier Gerhard Schröder, engage le pays dans une politique tournée vers la réduction des coûts du travail et la recherche de la compétitivité internationale. Emblématique du programme « Agenda 2010 » défendu par la coalition rouge-verte sous le deuxième cabinet Schröder (2003-2005), les réformes « Hartz IV » ont notamment entraîné la réorganisation des agences pour l’emploi, le durcissement des conditions d’indemnisation chômage et d’acceptabilité des offres, l’assouplissement des procédures de licenciement, ou encore l’instauration des désormais célèbres « mini-jobs » plafonnés à 450 euros par mois, qui concernent aujourd’hui 7,5 millions d’Allemands, soit environ 18% de la population active …

Résultat : des performances économiques insolentes mais des inégalités qui se creusent. Aujourd’hui, 16,5% de la population allemande vit sous le seuil de pauvreté – un chiffre en constante augmentation depuis 2000 4.

« Die PARTEI » : miroir déformant d’une certaine Allemagne

Parmi les laissés pour compte, on trouve évidemment des chômeurs, mais également de nombreux actifs en situation de précarité et une part toujours croissante de retraités : plus d’un demi-million d’entre eux bénéficient du minimum retraite (ils sont encore plus nombreux à y avoir droit) et certains doivent même se remettre à travailler pour subvenir à leurs besoins 5. C’est alors que « Die PARTEI » intervient, en Robin des Bois des temps modernes, avec des propositions choc :

Tous les députés du Bundestag disposent d’un revenu minimum conséquent et ne devraient pas priver les habitants de telles sommes d’argent. Jusqu’à la fin de leur mandat, leur indemnité parlementaire sera donc fixée à partir des standards Hartz-IV6.

À propos des écarts de rémunération liés à l’ancienne division Est/Ouest ou aux inégalités de genre, les réponses du « PARTEI » sont d’autant plus éloquentes :  divisons de nouveau l’Allemagne et payons les femmes en fonction de leur taille de soutien-gorge ! 

Plus encore qu’un état de fait, c’est donc sans doute un état d’esprit, une certaine idéologie culpabilisatrice à l’égard des pauvres que le parti souhaite dénoncer. Pendant sa campagne aux élections européennes de 2014, il proposait ainsi l’introduction d’un quota de paresseux en Allemagne, pour permettre « une existence plus relaxée ». Cette proposition peut être vue comme un clin d’œil au leitmotiv « Fördern und fordern » (Encourager et exiger) de Schröder. Le choix du paresseux (Faultier, littéralement l’animal fainéant) n’est pas non plus anodin, lorsque l’on sait que la paresse (Faulheit) a déjà fait l’objet d’un manifeste sous la plume de l’essayiste socialiste Paul Lafargue en 1880.

Au plan politique, rappelons aussi que les réformes Schröder ont conduit plusieurs personnalités du SPD à s’éloigner du parti au début des années 2000. À l’image d’Oskar Lafontaine, qui quitte le parti en 2005 pour fonder, avec les ex-communistes d’Allemagne de l’Est, « Die Linke » (la gauche). C’est donc sans doute de ce côté de l’échiquier qu’il faut placer « Die PARTEI », créé un an plus tôt.

Diogène ou Charlot ?

Bien entendu, la dimension satirique de la campagne du « PARTEI » interdit toute affirmation péremptoire. Mais l’étude de ses pratiques politiques et de ses discours autorise à penser le parti comme une formation proche de la gauche radicale – et non à « l’extrême centre », comme ses militants se plaisent à le présenter. Les résultats des dernières élections confirment d’ailleurs cette supposition : à Berlin, le parti a réalisé ses meilleurs scores dans les quartiers de Prenzlauer Berg et de Kreuzberg, électorats contestataires par excellence.

Autre hypothèse probante : « Die PARTEI » n’a tout simplement ni message ni cap précis. Après tout, ses membres sont d’abord des humoristes, dont l’obédience politique ne devrait pas avoir d’importance. 

Reste que les comiques du « PARTEI » font de la politique, et leur statut de parti ne peut être ignoré. Pendant notre courte immersion parmi ses rangs, nous avons même été surpris par le sérieux de leur engagement, fût-il incompréhensible.

Cyniques absolus ou clowns engagés, Diogène ou Charlot : qu’importe ? In fine, le mobile – question que le « PARTEI » esquive avec adresse – compte ici moins que le résultat. À défaut de pouvoir lui prêter quelque intention, écoutons donc sa propagande pour elle-même, car  « réfléchir », nous dit Beckett, c’est d’abord « écouter plus fort » 7.

  1. L’expression « GroKo Haram », référence au groupe djihadiste « Boko Haram », a été inventée par « Die PARTEI » pour désigner la grande coalition SPD/CDU alors au pouvoir (« GroKo » signifiant ici « Grosse Koalition »).
  2.  D’après les données Eurostat, en 2013, l’abstention aux élections parlementaires nationales était en moyenne de 31,8% dans les 27 pays de l’Union européenne, contre 28,5% en Allemagne.
  3.  En Allemagne de l’Ouest, la loi pour la promotion de la stabilité et de la croissance instaure « l’économie sociale de marché » en 1967.
  4.  Ce pourcentage correspond au taux de risque de pauvreté, c’est-à-dire à la part des personnes ayant un revenu disponible inférieur à 60% du salaire médian national. En Union européenne, le taux moyen est de 17,3% (ce chiffre est de 13,6% en France). Eurostat, 2016.
  5.   Voir « Allemagne : pauvres en pays riche » (Arte Reportage, sept. 2017) : https://info.arte.tv/fr/allemagne-pauvres-en-pays-riche-0
  6. La réforme Hartz IV de 2005 est une loi de modernisation du marché de l’emploi allemand conçue pour réduire sensiblement le taux de chômage du pays. Effet pervers de cette flexibilisation du marché : la hausse des emplois précaires.
    Avec 108.984 € de salaire brut annuel, l’Allemagne fait partie des trois pays européens qui rémunèrent le mieux leurs députés, après l’Italie (125.220€) et l’Autriche (121.608€).Source : Le Monde, 2016. (http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/30/quels-pays-europeens-remunerent-le-mieux-leurs-elus_5055895_4355770.html)
  7.  « Réfléchir, c’est à dire à écouter plus fort.” Samuel Beckett, in Molloy (1951).