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Amir Naderi : le cinéma moderne iranien

Amir Naderi et le cinéma iranien, à l'honneur au Centre Pompidou. Photos de Thomas Cecchelani

Baptiste Cohet (rédacteur et producteur délégué chez Hallucination films), Thomas Cecchelani (artiste)

 

Le Centre Pompidou accueille jusqu’au 17 juin 2018 une rétrospective du cinéma iranien et plus particulièrement de celui d’Amir Naderi, l’une de ses figures de proue depuis le milieu des années 1970. Rencontre avec cette figure de l’espérance. 

Son histoire personnelle est digne de celle d’un scénario, à la fois tragique et réussie, faite de coups durs et de succès. Orphelin très jeune, autodidacte génial, artiste expatrié, réalisateur reconnu : autant de parallèles entre une vie et une œuvre n’ayant qu’un seul fil rouge, celui de l’espérance. C’est en effet l’un des thèmes de prédilection des films d’Amir Naderi, réalisateur méconnu du grand public. Les personnages dévoilés dans ses plus grands films sont presque toujours en quête de quelque chose qui les fascine ou leur échappe.

Cette obsession se retrouve, entre autres, dans Harmonica (1973) où un enfant pauvre perd sa dignité en faisant office de porteur pour un enfant riche pour pouvoir jouer de l’harmonica. Dans Sound Barrier (2005), film sans paroles, un enfant sourd cherche avec frénésie une cassette contenant un enregistrement de sa mère. Based on a True Story (2008), film à grand succès, continue dans cette même veine, mettant en scène un homme qui, pour trouver un trésor, creuse un trou et ravage sa maison, perdant sa raison et sa famille. Les personnages de Naderi sont sans cesse à la recherche d’une réponse à leurs questions, ont le besoin de combler un manque ou une envie qui deviennent rapidement une idée fixe presque angoissante.

Dans Le Coureur (1984), un enfant pauvre vivant dans la carcasse d’un cargo abandonné près d’un port cherche à tout prix à s’instruire. Passant sa vie à courir pour survivre, derrière un train ou devant des brutes, il fait un jour le choix d’aller à l’école. L’apprentissage de l’alphabet devient alors son unique obsession, à laquelle il consacre ses jours et ses nuits, dans une fureur qui se partage entre l’espoir et la peur. Les images et les références subjuguent. Le soleil accable l’enfant tandis que de longues scènes en bord de mer viennent adoucir cette sensation d’étouffement.

Cet orphelin domptant la vie par ses propres moyens n’est d’ailleurs pas sans rappeler Amir Naderi lui-même.

Waiting, un court-métrage sans paroles datant de 1974, présentait déjà ces caractéristiques si particulières au cinéma de Naderi. Ici aussi le réalisateur met en scène un enfant, chargé de ramener chez lui de la glace. Il se rend plusieurs fois par jour devant une porte mystérieuse, fasciné par la main qui en sort pour lui tendre le précieux sésame.

La transpiration de l’enfant, ses courses incessantes sous le soleil et le son de sa respiration omniprésente dans ce film dénué de paroles, rendent la chaleur du soleil insoutenable pour le spectateur, donnant à la glace une dimension salvatrice et étrange.

L’expérience sensorielle du spectateur est véritablement au centre du cinéma d’Amir Naderi. Le son et l’image forment ici un couple essentiel et corrosif, pouvant faire passer du sentiment d’asphyxie à celui de la fraîcheur et de la libération. C’est pour cela que le support de visionnage est pour ce réalisateur une donnée cruciale dans la façon d’appréhender le cinéma.

Amir Naderi et le cinéma iranien, à l'honneur au Centre Pompidou. Photos de Thomas Cecchelani

À ce sujet il déclare : « Le support sur lequel tu regardes le film est très important : ce n’est pas sur ton ordinateur ou ton portable que tu peux apprécier un grand film. Il faut pouvoir s’identifier au personnage. Un écran d’iPhone, ce n’est pas sérieux. »

Les éléments naturels et ce qui en ressort, à travers la mer, le soleil ou la glace, ont également une place à part dans l’œuvre du cinéaste. Le film L’Eau, le Vent, la Terre (1989), au-delà de son titre évocateur, présentant un peuple victime de la sécheresse, vient illustrer cela. La libération du village passera par la découverte d’une source d’eau, pour survivre face à la tempête de sable qui fait rage. C’est encore une fois la bande-son qui met en éveil les sens du spectateur, avec le ressenti de plus en plus pressant du souffle du vent, couplé à des plans fixes sur le soleil qui rappellent le danger constant de la sécheresse, sorte d’épée de Damoclès.

Cet usage des éléments, de scènes mystérieuses et chargées de symboles a donc contribué à rendre les films d’Amir Naderi plutôt difficiles d’accès pour le grand public. Bien que reconnu par le milieu du cinéma, son statut de réalisateur de films d’auteurs et son refus de basculer dans un cinéma purement distrayant l’ont sacralisé aux yeux des cinéphiles et non à ceux du plus grand nombre. Amir Naderi entretient un rapport personnel au cinéma, qu’il considère comme sa « famille ». Il préfère d’ailleurs le terme de « films personnels » à celui d’auteur, en opposition aux films de divertissement à gros budget.

En effet, lorsqu’on lui demande quelle différence fondamentale, selon lui, existe entre le fameux « entertainment movie » et le « art movie », sa réponse ne surprend guère :

« Je ne peux pas vous dire quelle est la différence exacte entre ces deux genres. Les films d’auteur indépendants sont un genre qui, pour moi, reflètent une expérience personnelle. Prenons l’exemple d’All about Eve (1950, réalisé par Mankiewicz, ndlr) qui est un film incroyable à regarder et très apprécié. La qualité des dialogues et sa mise en scène font toute sa particularité et le rendent singulier. Il n’y a d’ailleurs pas de ”genre” de bon film. Un bon film d’action tel que Dirty Harry reste un ”art movie” car il y un bon développement du personnage {…} Les films personnels sont malheureusement en perdition dans le cinéma actuel. Il est facile de trouver des idées pour ce type de films mais ils sont difficiles à réaliser. »

Difficile en effet de ne pas opposer le cinéma populaire, fait de comédies et autres blockbusters destinés à être rentables et à attirer les foules, à celui d’auteurs tel qu’Amir Naderi. Il est de notoriété publique que le cinéma indépendant connaît aujourd’hui dans le monde une certaine baisse d’intérêt, ce qui, aux yeux du réalisateur iranien, est dommageable :

« Le plus difficile dans un film personnel est de faire en sorte que les spectateurs s’identifient aux personnages tandis que cela est beaucoup plus simple dans un film d’action. C’est pour cela que les films indépendants ont souvent moins de succès en salle. Il arrive que ces films, en fonction de plusieurs paramètres tels que lieu de tournage, ambiance et cinématographie créent une synergie qui donnent envie au spectateur d’explorer le film. Mon film Runner que j’ai réalisé il y a plus de trente ans en est le parfait exemple. Ce n’est pas le cas de tous mes films. En effet, la plupart sont souvent inspirés d’histoires vraies et si je devais les réaliser sous format documentaire, je ne trouverais pas d’audience. » Il ajoute également dans un soupir : « À New-York par exemple, il n’y a aujourd’hui plus que 4 ou 5 salles spécialisées dans les films d’auteur… »

Amir Naderi et le cinéma iranien, à l'honneur au Centre Pompidou. Photos de Thomas Cecchelani

Selon Naderi, le « film personnel » se perdrait donc au profit d’un cinéma plus rentable. La critique du cinéma mondial actuel n’est plus qu’à un pas, que l’intéressé n’a pas encore franchi. André Malraux lui-même considérait d’ailleurs le septième art comme une industrie. Or, comme toute industrie, celle-ci est aussi soumise aux dures lois de l’activité économique. Aux yeux du cinéaste iranien, il n’est donc pas choquant que depuis quelques années, les films destinés avant tout à « faire du chiffre » se multiplient. Lorsque nous lui demandons si la crise économique de 2007 est selon lui l’un des points de départ de ce nouveau système, il répond d’un air presque fataliste : « Absolument. Mon film Cut par exemple est sorti en 2007 au moment de la crise. J’ai eu beaucoup de mal à trouver des distributeurs par rapport à mes autres films. Des plateformes telles que Netflix sont aujourd’hui des solutions adéquates pour pallier à la crise. » Il peut alors paraître surprenant de voir qu’un tel puriste du cinéma, adepte de la projection en salle et critique à l’égard des films regardés sur écrans de smartphones, puisse trouver dans le digital (à savoir des plateformes telles que Netflix ou Amazon) un avenir radieux pour « le grand écran ».

« Je ne suis pas foncièrement contre ce type de plateformes ou contre les nouvelles technologies {…} L’avantage de ces plateformes est qu’elles regroupent tous les types de films sans exception et que de nombreux talents peuvent alors émerger. Il y a dix ans, j’étais vraiment pessimiste quant à l’avenir du cinéma indépendant mais aujourd’hui, les films sont achetés, distribués, conservés et archivés. » Le développement des technologies et du numérique représenteraient donc un espoir colossal pour le monde cinéma. Chaque ordinateur, appareil photo ou caméra permet aujourd’hui d’exprimer sa créativité avec un matériel de qualité. De nombreux jeunes talents présents au cinéma sont issus d’Internet, alors même qu’il y a 30 ans le monde de l’audiovisuel vivait dans un entre-soi peut-être encore plus imposant qu’aujourd’hui. Amir Naderi constate cette évolution positive, sans omettre toutefois de rappeler les lois immuables et intransigeantes du cinéma : « Il y a beaucoup plus de jeunes talents qu’avant car la technologie est plus accessible financièrement qu’avant. Aujourd’hui, en Iran, il y a des dizaines de réalisateurs talentueux grâce à la démocratisation du numérique. Mais leur plus grosse difficulté est toujours de se faire diffuser. » Cette lutte pour la sauvegarde du cinéma indépendant et pour l’existence de films personnels passe par une volonté constante chez le réalisateur d’innover et de créer, depuis ses débuts en Iran jusqu’à son succès international.

Lors des premiers jours de la rétrospective consacrée au cinéma iranien et à lui-même, Amir Naderi a pu assister à la projection de certaines de ses œuvres que la censure iranienne ne lui avait jamais permis de revoir depuis le début des années 1980. Un instant d’émotion et de souvenirs pour le réalisateur, mais aussi de reconnaissance pour le cinéma indépendant iranien qui ne cesse de briller à travers lui. Si l’espoir est au centre de ses œuvres, cet événement du Centre Pompidou confirme que Naderi en est un pour le cinéma indépendant qu’il chérie tant.

« Être créatif est essentiel. C’est ça qui crée la surprise », conclut-il dans une poignée de main furtive.