Eric Vanderhaegen (artiste), Maxime Vincent (rédacteur)
La situation environnementale est catastrophique pour l’espèce humaine. Ceux qui en doutent encore peuvent lire cet excellent article du NY Times énumérant les différents scénarios presque apocalyptiques qui menacent l’humanité si rien n’est fait : montée des eaux certes, mais également désertification massive, canicules dévastatrices, ouragans, tempêtes, inondations et sécheresses de plus en plus fréquentes, perturbation du cycle des rivières due à la fonte des glaciers montagneux et à l’évaporation, récoltes incertaines et faibles, famines mondiales, et même résurgence d’épidémies moyenâgeuses comme la peste noire. Loin de l’image d’Épinal visant à « sauver les ours blancs », la lutte contre le changement climatique et la lutte écologique sont plus que jamais un combat pour la survie de notre espèce.
La croissance verte, une solution gagnant-gagnant ?
Depuis quelques années, des mesures sont prises pour tenter de limiter les dégâts : que ce soit les taxes carbones, les lois de transition écologique, les projets de fermes solaires, de parcs éoliens, les interdictions prévues de voitures à moteur thermique, remplacées progressivement par des voitures électriques, ou le développement de filières agricoles bio… Si l’on exclut quelques exceptions réactionnaires, tout semble indiquer que l’ancienne barrière entre les écologistes, prophètes de malheur, et les sphères politiques et économiques, commence enfin à tomber. Et quand les deux camps se réunissent c’est souvent autour d’un concept fort : la croissance verte.
La croissance verte part de l’idée que la transition de nos sociétés vers un modèle durable et soutenable pour l’espèce humaine nécessite la création de nouveaux services, de nouveaux produits et de nouvelles infrastructures. Il nous faut en effet construire des éoliennes, étendre le réseau ferroviaire, fabriquer des voitures électriques, créer une filière du recyclable, etc. Toutes ces technologies « vertes » doivent en plus être construites localement, à l’échelle nationale, régionale voire communale afin de réduire les coûts environnementaux liés au transport. Par conséquent, ces nouveaux investissements vont non seulement créer des richesses, mais également des emplois non délocalisables. Cerise sur le gâteau : les nouvelles sources d’énergies sont gratuites. L’eau, le soleil, le vent ne doivent pas être achetés comme les énergies fossiles, ils sont accessibles partout, tout le temps. Avec ces ressources, on libérerait ainsi un potentiel d’énergie infini capable à son tour d’alimenter une création de richesses infinie. Si elle est appliquée, la transition énergétique permettrait donc non seulement de ralentir le changement climatique (et de nous sauver des catastrophes associées) mais également de créer une société de réelle abondance d’énergie, fondée non plus sur les énergies fossiles et polluantes mais sur les inépuisables forces propres de la nature.
Emploi durable, croissance durable, énergie à bas prix, c’est une véritable aubaine pour les États. Ainsi, même les pays riches, les principaux pollueurs, ceux d’Europe et d’Amérique du Nord, y trouvent leur compte : ils relancent leur appareil industriel avec des technologies haut de gamme, créent des emplois dans l’agriculture durable, le recyclage et l’entretien des nouvelles infrastructures et réduisent considérablement les coûts sanitaires liés à la pollution. C’est une solution gagnant-gagnant, grâce à laquelle l’augmentation de nos richesses va de pair avec la préservation de notre environnement et de nos sociétés. Théoriquement, même les constructeurs automobiles et les compagnies pétrolières pourraient y trouver leur compte en faisant basculer leurs usines et leurs réseaux vers les énergies renouvelables et les moteurs électriques. C’était ainsi le pari d’Emmanuel Macron lors de son One Planet Summit du 12 décembre 2017 destiné à convaincre les financiers mondiaux de l’attractivité de ce nouveau marché. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la Chine a récemment entamé un virage vers la décarbonisation de son économie. De nombreux pays cherchent à devenir leaders sur ce terrain pour être les premières économies mondiales de demain. Entreprises et organisations internationales ne sont pas en reste. Le FMI, la Banque mondiale ou l’OCDE publient de nombreux rapports et recommandations, centrés principalement sur une marchandisation du carbone et des investissements dans l’éco-innovation. Pour beaucoup, c’est une nouvelle révolution industrielle qui s’annonce, une nouvelle phase du capitalisme, cette fois enfin rendu durable et stable par des ressources infinies et un ancrage dans le local.
C’est le scénario idéal proposé par la plupart des partis verts européens et souvent repris avec plus ou moins de conviction par nos dirigeants. Certes, l’application de ces mesures traîne, elle traîne beaucoup et parfois même recule. Mais la pertinence de ce modèle de croissance verte comme objectif final de l’écologie reste rarement remise en cause par nos décideurs politiques. Il suffit d’un rapide coup d’œil aux programmes des candidats à l’élection présidentielle française d’avril 2017 ou même aux élections législatives italiennes de mars 2018 pour se rendre compte que tous ceux qui défendent la nécessité d’une transition écologique l’adosse à un programme de relance économique. De sorte que le débat se résume assez souvent à des questions de moyens : « Nous savons quoi faire, mais combien sommes nous prêts à payer pour que cela se fasse ? »
Continuer à produire plus… dans un monde fini
Cette réduction du débat occulte la question essentielle à se poser avant de commencer à investir massivement dans des champs d’éoliennes et de panneaux solaires : « La croissance verte va-t-elle vraiment sauver notre environnement et nos sociétés ? »
Car, derrière ce concept de croissance, il y a toujours l’idée du « faire plus ». Si un pays est en croissance, c’est que son PIB augmente, c’est donc que sa production augmente : il construit plus de maisons, produit plus de nourriture, plus d’ordinateurs, etc. C’est non seulement une augmentation totale du nombre de biens, mais aussi du nombre de biens produits en plus chaque année. Ainsi, si un pays produit 100 000 voitures chaque année et qu’il décide de réduire sa production à 80 000 par an, il n’est plus en croissance, il est en récession ou, s’il l’a choisi volontairement, en décroissance.
Prôner la croissance verte, ce n’est donc pas seulement vouloir continuer à produire autant, mais également vouloir produire plus chaque année. Cela signifie donc non seulement remplacer tous nos outils de production par des « technologies vertes » mais également en construire de nouveaux, remplacer tous nos produits du quotidien par des alternatives vertes mais également continuer à créer de nouveaux produits qui s’y ajouteront. C’est d’ailleurs ce qui se passe aujourd’hui dans la plupart des pays du monde en ce qui concerne les énergies renouvelables : on en crée mais elles servent avant tout à alimenter la demande grandissante en énergie. Par exemple, en France, la part des énergies renouvelables dans la production énergétique est passée de 14,1 % en 1990 à 16,5 % en 2015, soit une augmentation en quantité de 7 Mtep (tonne d’équivalent pétrole), dont seulement 2,6 dans le solaire et l’éolien, la majeure partie venant de la combustion de déchets et de biomasse. Dans le même temps, la production d’énergie nucléaire a augmenté de 32 Mtep, tout cela afin de compenser l’augmentation constante de notre consommation d’énergie. Dans un tel modèle, l’arrivée des énergies renouvelables est davantage un moyen de créer plus d’énergie que d’en réduire la quantité totale. Et cela, alors même que la plupart les modèles actuels de transition énergétique visant un modèle soutenable demandent à ce que nous réduisions notre consommation de ressources (énergies fossiles mais également sols, eau, animaux, plantes, etc.) par un facteur 2 pour les pays les plus pauvres et les moins pollueurs et 6 pour les pays les plus riches et les plus pollueurs.
C’est pourquoi, pour beaucoup de scientifiques comme les rédacteurs du rapport Meadows, ou l’économiste Serge Latouche, la « croissance verte » et tout système qui continuera à fonctionner dans cette logique de production maximale sont de fausses solutions. Ce serait même des formules mensongères dans le sens où elles n’ont rien de « durable », justement. Dans un monde fini, il ne peut y avoir de croissance infinie, il ne peut exister de croissance durable. Puisque produire plus implique nécessairement d’extraire plus, fatalement, toutes les ressources du globe seront un jour épuisées à force d’avoir été utilisées pour fabriquer de nouveaux objets de consommation.
Oui, mais le recyclage et le renouvelable alors ? Ce sont bien des ressources infinies ?
C’est l’une des idées principales à l’origine de la croissance verte. Jusqu’ici, pour produire de nouveaux objets, nous avons extrait des matériaux et les avons transformés en utilisant des énergies fossiles, elles aussi extraites. Il y avait donc en effet une contradiction dans cette croyance en une croissance infinie de la production lorsqu’elle provenait de ressources en quantités finies.
Seulement aujourd’hui, nous pourrions fonder notre nouvelle croissance sur ces ressources énergétiques infinies que sont le vent, le soleil, la chaleur terrestre, etc. et nous pourrions recycler tous nos produits afin de les réutiliser presque indéfiniment. Ainsi, nous n’aurions plus besoin d’extraire de nouvelles ressources si ce ne sont les ressources relativement renouvelables du travail humain et de la biomasse (à savoir les animaux et les plantes). Des matériaux en quantité infinie transformés par de l’énergie infinie = un potentiel de production infini.
Seulement, si le vent et le soleil sont bien des ressources présentes en quantité infinies et propres (en une heure, la Terre reçoit plus d’énergie provenant du Soleil que la consommation annuelle de l’humanité), ce n’est pas le cas des ressources nécessaire à la construction des technologies utilisées qui récoltent cette énergie, ni de celles l’utilisant. Pour ne prendre que l’exemple de la production, les éoliennes et les panneaux solaires (les deux technologies avec le plus de potentiel de croissance) sont de la matière avant tout, et surtout des métaux : de l’aluminium, du fer, du plomb, du silicium, voire des terres rares comme le néodyme utilisé dans les aimants des éoliennes offshore. C’est la face cachée de la transition énergétique : le report de l’extraction des ressources fossiles se fait sur le dos d’une intensification de l’extraction minière. Selon un rapport de la Banque mondiale, respecter l’Accord de Paris sur le climat de 2015 avec l’hypothèse d’une croissance continue de notre consommation d’énergie demanderait une augmentation de la production de certains de ces métaux de plus de 1000 %. Pour des ressources comme le lithium, un composant quasi-incontournable des batteries modernes, la demande serait si forte que nous ne sommes même pas sûrs qu’il y ait assez de ressources accessibles sur Terre pour pouvoir tenir jusqu’en 2050.
À la rareté des ressources s’ajoute le coût écologique de telles installations. L’industrie minière déforeste, pollue les cours d’eau, acidifie les sols, perturbe voire détruit des écosystèmes entiers et évidemment émet du carbone, elle est l’une des plus polluantes au monde. Et ni le silicium, l’ingrédient de base des panneaux solaires, ni les terres rares, élément central des nouveaux modèles d’éoliennes et dont l’extraction et la purification rejettent même des déchets radioactifs, n’échappent à cette règle.
Certes, il existe la solution du recyclage qui permettrait en théorie de limiter l’extraction et la pénurie. Dans le cas des panneaux photovoltaïques, par exemple, nous sommes déjà capables de recycler entre 80 et 90 % des matériaux utilisés. Néanmoins, le recyclage ne permet pas de réutiliser la matière pour le même usage. À chaque recyclage, chaque matériau perd en qualité et doit être utilisé pour d’autres usages. Ainsi, l’acier recyclé sera transformé en ferraille mais ne servira plus jamais à construire un pont ou un immeuble. Le silicium des panneaux solaires peut être réutilisé 4 fois de suite (ce qui peut signifier une durée de vie entre 80 et 100 ans) mais pour d’autres métaux comme les terres rares ou le lithium, les taux de recyclage sont inférieurs à 1%. Nous pouvons espérer qu’à l’avenir, nous devenions plus efficaces mais les prévisions dont nous disposons aujourd’hui impliquent toujours d’augmenter fortement les dépenses énergétiques et/ou l’utilisation d’eau ou de produits chimiques et par là-même, la pollution. Si l’on suit les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen, il serait physiquement impossible que le substrat recyclé d’un métal soit de la même qualité que les métaux purs venant de la mine : une diminution plus ou moins rapide des stocks de métaux est inéluctable.
Les énergies renouvelables et le recyclage ne peuvent pas être des solutions définitives
De manière assez contre-intuitive donc, les énergies renouvelables posent les mêmes limites que les énergies fossiles : elles sont dépendantes d’une quantité limitée de matériaux et leur production a des conséquences néfastes sur notre environnement. Les utiliser pour alimenter la croissance constante de notre production de voitures, de téléphones, d’ordinateurs et de nouvelles technologies revient donc à épuiser nos ressources de plus en plus rapidement (dans moins de 40 ans pour les batteries de stockage au lithium). C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, les secteurs en croissance, les nouvelles technologies et ce que l’on appelle l’économie du savoir, sont pour la plupart très demandeurs en énergie ainsi qu’en terres rares et autres composants difficilement recyclables et réutilisables mais pourtant indispensables à la constitution des réseaux Internet et des circuits électroniques. À continuer sur un tel modèle de croissance, nous risquons ainsi d’accélérer l’épuisement des ressources pour pourvoir à l’augmentation de notre consommation et de faire face à une pénurie dans un futur relativement proche. Il s’en suivrait des conséquences graves comme de ne plus avoir accès à l’énergie nécessaire à nos besoins fondamentaux (se chauffer, s’éclairer, se déplacer, faire fonctionner les hôpitaux, etc.)
Alors oui, nous limiterions les dégâts par rapport à la situation actuelle dans laquelle l’utilisation massive d’énergies fossiles et les émissions de gaz à effets de serre vont de pair avec la raréfaction des ressources et destruction des écosystèmes. Nous éviterions le pire des scénarios mais :
– Nous aurons continué à émettre beaucoup de carbone pour produire ces nouvelles infrastructures à grande vitesse et extraire les minerais nécessaires à leur fonctionnement
– Nous aurons continué à détruire toujours plus d’écosystèmes à force d’ouvrir des mines et de polluer des cours d’eau pour traiter les minerais (alors même que la biomasse de ces environnements est aujourd’hui la seule source d’énergie vraiment renouvelable que nous connaissons) ;
– Pire, nous aurons épuisé absolument toutes les ressources capables de produire de l’énergie et n’en aurions donc plus pour ne serait-ce que pratiquer une consommation plus raisonnée.
Certes, on peut toujours imaginer que nous trouverons d’autres ressources pour continuer à alimenter notre croissance, en creusant plus profondément, en rapportant des métaux de l’espace et en étendant notre modèle productiviste à d’autres planètes… Mais croyons-nous vraiment que nous, humains, ne sommes capables que d’extraire toutes nos ressources jusqu’à extinction ? N’est-il pas temps, aujourd’hui, tant que nous avons encore suffisamment de ressources disponibles, de trouver un modèle qui nous permettrait de les utiliser de façon plus raisonnable ?
S’il y a indéniablement un problème dans la manière dont nous produisons l’énergie, il y a tout autant un problème dans la manière dont nous la consommons. Et la croissance verte, en nous promettant un accroissement constant de la production, ignore ce deuxième aspect. La réduction de la consommation n’a d’ailleurs une place dans la croissance verte que lorsqu’elle demande la production de nouveaux produits et de nouveaux services, par exemple lorsqu’il s’agit d’isoler nos bâtiments pour réduire nos dépenses en chauffage. Or, si nous réduisons notre consommation (comme ce que recommande de faire en premier lieu l’ensemble de la communauté scientifique pour limiter les impacts du changement climatique), il est évident que la production va diminuer. Et une production qui diminue, c’est un pays, c’est un monde sans croissance, un monde en décroissance.
Arrêter la croissance, n’est-ce pas revenir à l’âge de pierre ?
Là où cette approche pose souvent problème, c’est que pour beaucoup d’entre nous, elle signifie une diminution de notre qualité de vie. Moins de produits, moins de services, moins d’énergie, ça ne fait pas rêver grand monde. À cela s’ajoute la considération pour les pays en développement : n’est-il pas égoïste de prôner la fin de la croissance quand des centaines de millions de personnes n’ont pas encore accès à des services de base comme l’eau, la nourriture ou les soins ?
La bonne nouvelle, c’est que si pendant les cent dernières années l’amélioration du niveau de vie était en grande partie reliée à la croissance économique, la corrélation est aujourd’hui de plus en plus faible, voire négative. La croissance dans les pays riches n’apporte plus d’amélioration significative de la qualité de vie. Pire, les externalités négatives qu’elle émet conduirait à une diminution de la qualité de vie. Une récente étude menée par l’économiste Dan O’Neill étudiant 8 indicateurs de bien-être dans 175 pays fixe plusieurs limites au-delà desquelles la croissance devient néfaste. Ainsi, dans les pays riches, réduire le PIB dans une logique de réduction de la consommation n’aurait non seulement pas d’impact sur le niveau de vie mais pourrait même améliorer la vie des gens, notamment en réduisant les attaques contre la biodiversité, en diminuant la pollution ou encore en ralentissant le rythme d’accroissement des inégalités.
À cela s’ajoute le fait que la croissance est aujourd’hui très mal répartie à l’intérieur des pays comme entre les pays. À l’échelle mondiale, ce sont 82 % des richesses créées en 2017 qui appartiennent au 1 % les plus riches, pendant que les 50 % les plus pauvres n’ont vu aucune augmentation de leur richesse. Avec de tels écarts, il est patent que la croissance est loin d’être toujours un outil efficace pour sortir les populations de la pauvreté.
Une réduction du PIB des États les plus riches permettrait en plus de libérer des opportunités de marchés pour les pays les plus pauvres et donc d’augmenter leur production nécessaire au développement de leurs services de base. Par exemple, cela diminuerait le taux d’exploitation de leurs ressources par des multinationales étrangères ou bien encore le flux d’importation de produits et services étrangers qui empêchent aujourd’hui le développement de leur industrie. Cela aurait donc l’avantage d’augmenter les capacités productives de ces pays et de leur permettre de constituer un tissu économique local essentiel à toute recherche d’économie d’énergie. Réduire la consommation des pays riches aurait également l’avantage de diminuer la dépendance à une économie d’exportation encore présente dans beaucoup d’États postcoloniaux.
Par ailleurs, il ne faut pas imaginer qu’une société sans croissance de son PIB serait une société sans innovation, sans nouveauté ou qui reviendrait à l’âge de pierre, bien au contraire. Un tel modèle économique devra sans cesse continuer à innover afin d’améliorer l’efficacité énergétique et matérielle de ses technologies. Ces technologies de demain appelleront à une autre forme de créativité, qui prendra en compte toutes les étapes de la production d’un produit et qui privilégiera avant tout la réutilisation et la combinaison d’éléments déjà existants à la création ex nihilo d’un nouvel objet. Combiner les plantes entre elles pour nourrir des villes entières sur des parcelles de terre de plus en plus petites, réinventer l’organisation de nos systèmes de production industrielle pour qu’ils puissent fonctionner efficacement malgré l’inconstance des vents, du soleil et des marées, ou encore transformer des bâtiments afin qu’ils soient capables de fonctionner par la seule énergie dégagée par ses habitants, voilà autant d’inventions, de low-tech, qui attendent ce monde de l’après-croissance.
En réalité, la question à se poser n’est pas tant de savoir si nous voulons vivre dans un monde d’après-croissance, mais plutôt quand nous y vivrons. Continuer dans notre modèle d’exploitation des ressources mènera tôt ou tard à leur épuisement, que ce soit accompagné d’un réchauffement climatique sévère ou non. Plus nous les extrairons rapidement, plus vite ce jour arrivera et avec lui la nécessité matérielle de restreindre drastiquement notre consommation d’énergie et par ricochet, de tout le reste.
Ce sera une décroissance brutale et l’adaptation de nos sociétés en sera d’autant plus difficile, avec le risque que certaines ne s’en remettent tout simplement pas. La croissance verte vend l’illusion d’une vision long terme quand en réalité, elle est tout aussi court-termiste que notre modèle actuel. Elle utilise les enjeux du réchauffement climatique comme un moyen de faire perdurer notre système productiviste pour quelques dizaines d’année de plus. Il s’agit en effet d’une troisième révolution industrielle, et comme ses deux consoeurs, elle ne prend toujours pas en compte le caractère limité de ce monde.
L’autre solution impliquerait certes de réduire notre consommation dès maintenant et de sacrifier l’immédiat pour les prochaines décennies, mais elle nous permettrait d’avoir le temps de changer nos modes de vie progressivement. Il s’agit d’économiser les ressources qui nous restent le plus longtemps possible en privilégiant l’usage des plus abondantes et en améliorant au maximum l’efficacité de ce que nous avons déjà. Ce n’est pas un retour à l’âge de pierre mais bien au contraire, la promesse d’un nouvel âge de l’humanité, plus consciente que jamais de sa position dans son écosystème et capable de faire les choix nécessaires à sa survie.