Par Camille Gobourg (artiste) et Leo Lamotte (rédacteur)
Pour essayer de sortir de la pauvreté, de nombreux Latino-Américains se laissent tenter par les promesses de richesse que fait miroiter l’El Dorado. Pourtant, si l’orpaillage illégal s’intensifie, il n’apporte pas de réponses aux problèmes de ces hommes qui, remplis d’espoir, quittent tout pour s’embarquer dans le mythe de la quête de l’or. Bien souvent, le crime organisé s’en mêle et s’accapare les recettes des chercheurs d’or, dont l’activité menace dramatiquement l’environnement.
2017, COSTA RICA.
Les premiers jours de décembre signent la brusque démission de dizaines d’ouvriers agricoles. Pour eux, l’avenir est au nord, dans la mine (fermée) de Crucitas. Tous s’y dirigent pour la même raison, la même folie. Finie la pauvreté, ils deviendront riches grâce à l’or. La fièvre touchera même certains étudiants, finie l’école, ils deviendront riches grâce à l’or.
Ce regain d’intérêt pour le précieux métal n’est pas proprement costaricien. Depuis les années 2000, le prix de l’or s’est envolé, passant d’environ 300$ l’once en 2002 à plus de 1300$ quinze ans plus tard. L’orpaillage – exploitation artisanale de rivières aurifères – se fait ainsi de plus en plus récurrent dans de nombreux pays, n’en déplaise tant à la loi qu’à l’environnement. En Amérique Latine, la course à l’or entraîne déforestation et pollution des ressources hydriques. En amont et en aval, ces maux écologiques se doublent même d’une problématique sociale déclinée en matière de pauvreté, de violence et de santé. Finie l’idylle : perdront-ils tout à cause de l’or ?
L’orpaillage en Amérique latine
L’orpaillage correspond à une extraction artisanale de l’or présent dans des alluvions, soit des dépôts de sédiments – de sable, de vase ou d’argile par exemple – abandonnés par un cours d’eau. Si l’orpaillage persiste en Amérique Latine, cela s’explique par la densité de la forêt qui empêche le développement de l’exploitation industrielle, comme en Guyane, où il représente l’essentiel de l’exploitation aurifère.
La production d’or en Amérique Latine s’avère relativement dispersée, mais elle se concentre cependant au Pérou et au Brésil qui, en 2015, ont produit respectivement 150 et 80 tonnes d’or. Néanmoins, l’intensification de l’orpaillage illégal semble se généraliser sur l’ensemble du continent. Elle touche le Costa Rica depuis cette année, mais on constate depuis longtemps le même phénomène en Guyane, où la production aurifère demeure majoritairement illégale. L’année dernière, le New York Times mentionnait à cet égard le Pérou, mais le Brésil ou la Colombie auraient pu être cités, entre autres.
Le lucratif prend ainsi sans surprise le pas sur le légal dans de nombreux pays d’Amérique Latine. Pour cause, le cours de l’or qui atteint des niveaux historiques tandis que la demande mondiale reste constante. En 2016, elle s’élevait à plus de 4.300 tonnes, grandement portée par le secteur de la bijouterie qui concentre à lui seul presque la moitié de celle-ci. Simultanément, la production d’or mondiale – au volume similaire – ne dépend qu’à environ 30% de l’or recyclé, le reste provenant donc directement de mines.
Chercher, trouver, malmener
La première étape correspond à la phase de prospection. Il faut trouver une zone où la concentration d’or est suffisamment importante pour justifier son exploitation. Une fois le filon trouvé, les premiers dommages environnementaux se font sentir. De fait, il faut préparer le site d’exploitation, ce qui implique de couper des arbres voire de détourner des cours d’eau. En 2015 en Guyane française, selon le WWF, environ 1.000 hectares de forêt ont été rasés à cause de l’extraction de l’or.
Vient ensuite la phase d’extraction, dont les dangers sont intimement liés au mercure. Il peut affecter l’environnement de deux façons. Premièrement, les orpailleurs utilisent parfois des lances à eau pour extraire les alluvions aurifères des sols, libérant au passage le mercure contenu dans la terre. Deuxièmement, si l’utilisation des lances à eau n’est pas commune à tous les processus d’orpaillage, celle du mercure l’est. Il est ajouté au concentré liquide issu de la rampe de lavage – appelée sluice – afin qu’il s’attache à l’or. L’amalgame ainsi formé est ensuite chauffé dans une batée et, alors que l’or reste au fond de cette dernière, le mercure s’évapore dans l’air.
L’orpaillage illégal nécessiterait ainsi 1,3 kilogramme de mercure pour la production d’un kilogramme d’or. C’est autant de mercure qui se retrouvera ensuite dans les cours d’eau, puis dans les êtres vivants. La phase d’extraction finie, le site d’orpaillage est abandonné, offrant un spectacle désolant de bassins boueux, pollués et polluants.
L’or : du mythe à l’absence de bénéfices, un contraste pernicieux
Proche du mythe du self-made man, le chercheur d’or construirait seul sa richesse à force de persévérance, d’ingéniosité et de coups de chance. Objet de légendes, moyen d’ostentation ou encore outil monétaire, l’or est devenu au cours de l’histoire un symbole d’opulence et de réussite. Son caractère inaltérable l’a même rendu déterminant dans l’évolution de l’humanité. Utilisé en tant que monnaie, il a conduit le commerce durant des siècles. Ce n’est qu’en 1976 avec les accords de la Jamaïque que son rôle monétaire a été aboli, du moins officiellement. L’or reste toutefois une réserve de valeur résistant à la démonétisation et l’évolution de son cours peut refléter (grossièrement) l’état de l’économie. En effet, la confiance envers l’or est inébranlable ; en période de crise, le métal précieux tient un rôle de valeur refuge dans laquelle on investit. Il était l’apanage des classes dominantes dans de nombreuses civilisations et, aujourd’hui encore, la médaille d’or récompense le gagnant d’une compétition, celui qui, littéralement, s’élève au-dessus des autres lorsqu’il la reçoit.
Mais derrière cet ensemble de belles images se cache une réalité tout autre. Dans les pays producteurs d’or, le métal jaune demeure synonyme de pauvreté et vecteur de violence. Les ouvriers agricoles costariciens partis chercher de l’or à Crucitas fuient la précarité de leur métier, peu importe si cela implique l’illégalité. Le mythe de l’or paraît ainsi offrir une porte de sortie illusoire aux plus démunis qui, pourtant, même s’ils trouvent de l’or, ne pourront pas forcément le vendre. Un rapport de 2016 publié par l’ONG américaine The Global Initiative Against Transnational Organized Crime révèle même qu’au Pérou et en Colombie – les deux plus grands producteurs de cocaïne au monde – , le crime organisé tire maintenant plus de bénéfices de l’orpaillage illégal que de la drogue. Un univers de violence éloignant le chercheur d’or du self-made man.
Soigner la maladie, pas les symptômes
L’exploitation aurifère en Amérique Latine pose plus de problèmes qu’elle devrait en résoudre. La volonté d’enrichissement des chercheurs d’or participe à la déforestation, à la pollution des sols et des eaux et à l’augmentation du pouvoir du crime organisé, sans pour autant leur permettre de sortir de la pauvreté. Il convient de noter que l’ensemble de ces retombées écologiques et sociales désastreuses s’avère d’autant plus néfaste que l’orpaillage est illégal. La solution serait-elle de réguler l’orpaillage par l’implémentation d’un cadre légal contraignant ? Cela pourrait être envisageable uniquement dans la mesure où les orpailleurs le respectent, ce qui est illusoire. C’est donc aux racines du problème qu’il faudrait s’attaquer. Il s’agirait alors de lutter contre la pauvreté, premier vecteur de la fièvre de l’or. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) émet de fortes inquiétudes à propos des 25 à 30 millions de Latino-Américains susceptibles de retomber prochainement dans la pauvreté après en être sortis grâce à une croissance économique soutenue.
Le Costa Rica offre ici un exemple intéressant. Le village de Dos Brazos del Río Tigre – situé dans la péninsule d’Osa au sud-ouest du pays – possède une tradition forte et persistante de quête de l’or qui affecte considérablement son environnement et son climat social. Mais une transition a été amorcée en 2014 : certains chercheurs d’or considèrent aujourd’hui l’écotourisme comme une alternative à l’orpaillage illégal et s’organisent pour en faire une source de revenus. Selon l’ICT (Institut Costaricien du Tourisme), le Costa Rica a accueilli près de trois millions de touristes en 2016 dont les deux tiers ont pratiqué au moins une activité liée à l’écotourisme. Pour Dos Brazos, situé à deux pas du parc national du Corcovado, le marché est réel et conséquent et le village a tout à gagner à défendre ses ressources naturelles au lieu de les détruire. Peu à peu, l’écotourisme s’y affirme réellement comme une alternative à l’orpaillage et, même si les trois quarts des habitants du village continuent à en vivre, selon un ancien chercheur d’or qui y est devenu guide, les mentalités commencent à évoluer. 23 guides anciennement orpailleurs s’y relaient aujourd’hui pour faire découvrir les richesses naturelles de leur péninsule sans y porter atteinte.
Déforestation, pollution des eaux et des sols, renforcement du crime organisé… Les conséquences de l’orpaillage en Amérique Latine sont nombreuses et néfastes. L’El Dorado continue à attirer travailleurs comme étudiants, poussés par la volonté de sortir de la pauvreté, vers cette activité illégale. Pourtant, le contraste entre le mythe de l’or et sa réalité est saisissant : bon nombre de ces chercheurs d’or sont en fait victimes d’une illusion. Néanmoins, démystifier l’or demeure possible. Si l’écotourisme ne peut s’imposer partout comme une solution alternative, le village de Dos Brazos a tout de même montré qu’il pouvait exister une autre voie.
– Gold Mining in the Peruvian Amazon: Global Prices, Deforestation, and Mercury Imports. Doi : https://doi.org/10.1371/journal.pone.0018875.g003 / http://journals.plos.org/plosone/article/ figure?id=10.1371/journal.pone.0018875.g003#pone.0018875-World1
– Didier Moullet, Pascal Saffache et Anne-Laure Transler, « L’orpaillage en Guyane française : synthèse des connaissances », Études caribéennes [En ligne], 4 | Juillet 2006, mis en ligne le 15 juillet 2006, consulté le 24 octobre 2017. URL : http://etudescaribeennes.revues.org/753 ; DOI : 10.4000/etudescaribeennes.753Définitions d’orpaillage et d’alluvions : Larousse
– U.S. Geological Survey, 2016, Mineral commodity summaries 2016: U.S. Geological Survey, pp. 72-73, http://dx.doi.org/10.3133/70140094.
– NY Times : https://www.nytimes.com/es/2016/07/29/la-busqueda-ilegal-de-oro-acaba-con- una-reserva-natural-en-peru/
– El País : https://elpais.com/elpais/2017/09/15/album/1505461699_037195.html
– Independent : http://www.independent.co.uk/news/world/illegal-gold-mining-killing-rainforest-7438696.html
– La Nación : http://www.nacion.com/nacional/Fiebre-atrae-multitud-mina-Crucitas_0_1657434272.html
– World Gold Council : Prix de l’or (https://www.gold.org/data/gold-price) ; Demande et
Production mondiale de l’or (https://www.gold.org/data/gold-supply-and-demand)
– http://globalinitiative.net/organized-crime-and-illegally-mined-gold-in-latin-america/
– PNUD, Millions of Latin Americans risk sliding back into poverty; new generation of public policies crucial to prevent setbacks. http://www.undp.org/content/undp/en/home/presscenter/ pressreleases/2016/06/14/reca-da-de-millones-de-latinoamericanos-a-la-pobreza-es-evitable- con-pol-ticas-publicas-de-nueva-generaci-n-pnud.html
– Vidaselegidas : https://www.vidaselegidas.com/single-post/2017/09/14/Crucitas-VS-Dos- Brazos-—-L’or-et-l’Écologie-au-Costa-Rica ; https://www.vidaselegidas.com/single-post/ 2017/10/13/Tourisme-et-Costa-Rica-une-Association-Bénéfique-
– ICT, Anuario de Estadístico de Turismo 2016 : http://www.ict.go.cr/es/documentos- institucionales/estad%C3%ADsticas/informes-estad%C3%ADsticos/anuarios/ 2005-2015/950-2016/file.html